Saad Sallum, universitaire irakien: « Avec ses yeux sur Abraham, le pape vient pour tout le monde ».

Bagdad (AsiaNews) – Le Pape François en Irak est un « événement important pour toutes les minorités », car il envoie un « signal fort de grand soutien » après les souffrances « subies sous Daech [acronyme arabe pour l’État islamique] ». C’est ce qui  a déclaré Saad Salloum qui est un universitaire et journaliste irakien spécialisé dans les minorités irakiennes et les droits de l’homme. Il dirige le département de recherche du Collège des sciences politiques de l’Université Mustansiriya et est l’un des membres fondateurs du Conseil irakien pour le dialogue interconfessionnel. Ses publications portent sur les minorités irakiennes et comprennent les livres «Minorities in Iraq» (2013), «Christians in Iraq» (2014) et «Policies and Ethnic Groups in Iraq» (2014). En 2018, il a remporté le prix Stefanus pour la liberté religieuse.

Professeur, la visite du pape François en Irak est un événement historique pour les chrétiens. La même chose s’applique-t-elle aux autres minorités?

Bien sûr! C’est un événement important pour toutes les minorités, car il envoie un signal fort de grand soutien après les souffrances subies sous Daech. En particulier pour les Yézidis, les Turkmènes, les Shabak, les chrétiens eux-mêmes. [Les jihadistes] ont également attaqué les musulmans chiites et sunnites, de sorte que le message du pape s’adresse à toute la communauté irakienne. La visite de la ville historique d’Ur, dans le sud, où le prophète Abraham est né, a une valeur particulière, même symbolique. Un événement simple mais unique, capable également d’unir car il est le père des prophètes de toutes les religions de l’Irak.

Par le passé, le pontife a fait de nombreux gestes en vue de dialoguer avec d’autres confessions, notamment l’islam sunnite. Sera-t’elle l’occasion d’un changement dans les relations avec les chiites?

Je pense que la perspective d’un arrêt à Nadjaf serait très importante, car c’est le « Vatican des chiites », un point de référence pour des millions de fidèles de tout le Moyen-Orient et du monde islamique qui se tournent vers [le grand ayatollah Ali] al-Sistani et ils ont Najaf comme modèle et exemple. Je vois plusieurs similitudes entre al-Sistani et le pape dans la promotion de la paix, dans la dimension élevée de la spiritualité. De nombreux Irakiens, de communautés différentes, respectent al-Sistani et ses discours, qui valorisent la diversité et soutiennent la liberté d’expression. Voir le Pape François marcher dans ces rues et traverser son humble demeure, je pense que ce serait un message très fort.

Serait-ce le début d’une nouvelle ère pour le pays?

Je le pense vraiment! Ce voyage est vraiment le signe d’une nouvelle saison, après Isis, une nouvelle société qui a vaincu Daech et qui  désormais doit faire face à de nouveaux défis économiques, sociaux, et de stabilité. Je pense à une nouvelle ère, surtout après les manifestations populaires [d’octobre 2019] dont nous avons été témoins et qui ont fait des centaines de victimes, notamment des jeunes. Un nouveau mouvement social, une impulsion qui représentait peut-être ce qu’exigeait la réalité irakienne. Un esprit patriarcal, où les gens peuvent se reconnaître dans une identité nationale. Le changement de gouvernement est l’un des effets de ces protestations, je pense vraiment que la visite du pape pourrait être un signe supplémentaire de reconnaissance pour ce nouvel esprit, pour cette nouvelle ère.

L’extrémisme, le fondamentalisme, les idéologies violentes et radicales comme celle de l’Etat islamique sont-ils toujours une menace actuelle?

On peut dire que la défaite d’Isis en termes de guerre est accomplie, mais sa défaite dans le cœur et l’esprit du peuple est tout aussi importante. Le pape peut aider à répandre l’amour et la coexistence entre différentes réalités, lutter contre le discours de haine. Il peut englober toutes les âmes du pays sous son parapluie idéal de paix, guérissant les blessures à l’occasion de la visite des villes chrétiennes et yézidies, dans la plaine de Ninive et à Sinjar. Toutes les personnes ne sont pas revenues dans ces régions; l’une de ses étapes peut donner un nouvel élan à la coexistence dans les lieux qui sont l’épicentre de leur origine, après les terribles moments vécus sous Daech.

Quel rôle les chrétiens et les autres minorités peuvent-ils jouer pour l’avenir de l’Irak?

Par le dialogue et les relations mutuelles entre chrétiens et musulmans, ainsi que les Yézidis, les Sabéens peuvent accentuer les différences, faire ressortir tous ces différents aspects qui caractérisent l’Irak et qui peuvent aussi représenter l’une de ses forces. Nous avons ici une plus grande diversité que toutes les autres nations du Moyen-Orient, une sorte de soft power qui découle précisément de cette diversité parmi les nombreuses minorités, devenant un héritage commun sur le plan religieux et non religieux.

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