Les temps, les lieux et les compagnons du confinement
Après la participation à l’ordination épiscopale de Mgr Lhernould à Tunis, puis ma présence à son entrée en fonction comme évêque de Constantine et d’Hippone, à la basilique Saint Augustin, j’ai quitté Alger. En effet je devais revenir en France pour une réunion, début mars, à Paris, du comité de publication des écrits des moines de Tibhirine. Quelques jours après la France décrétait le confinement. J’ai donc du vivre cette période dans la Maison Monchanin, résidence de prêtres anciens à Lyon dans laquelle je suis accueilli pendant mes séjours en France. Nous ne sommes qu’une dizaine de prêtres. Pour éviter les éventuelles contagions entre nous, les responsables ont décidé qu’il n’y aurait plus de repas pris en commun, mais qu’ils seraient servi à chacun dans sa chambre et préparé à l’extérieur par une entreprise spécialisée. Pour notre Maison cette situation a duré jusqu’à la fin mai. Le seul moment de vie commune fut désormais pendant deux mois et demi la célébration de l’eucharistie avec une méditation préparée alternativement par l’un d’entre nous. Grâce à Dieu aucun d’entre nous n’a été, jusqu’à ce jour, atteint par le coronavirus.
Le partage spirituel avec les résidents, mais aussi avec nos correspondants ecclésiaux ou non
Pour éviter le confinement dans un espace trop restreint, la célébration de la messe fut transférée dans la salle à manger qui offrait un espace plus grand que la petite chapelle de la maison. Cette communion eucharistique a, dans ce contexte, pris une signification particulière puisqu’elle représentait le seul moment de rencontre de la journée. La méditation du jour, alternativement assurée par chacun de nous, prenait aussi une dimension plus marquée. Les dimanches étaient célébrés, outre la messe commune, par l’accueil de chacun de nous, dans sa chambre, de la messe radio diffusée sur Antenne II. En semaine s’y ajoutaient des thèmes de réflexion proposées par KTO ou par les diocèses ou les Congrégation ou les mouvements de chacun d’entre nous. Personnellement j’ai profité, en particulier, des messages de l’archevêque d’Alger et des autres instances du diocèse, voire même par les messages du Saint Père qui nous furent présentés.
Ce partage spirituel prenait, en effet, également, pendant le confinement, une autre dimension à travers les mails ou les correspondances téléphoniques, car cette période de confinement fut marquée, pour tous, par un usage plus fréquent de la communication avec tous les amis, parents, collaborateurs ou mouvements spirituels. Des amis, y compris de confession musulmane, ont retrouvés dans leur ordinateur mon adresse mail dont il n’avait pas usé depuis longtemps. Certains l’ont même fait pour m’envoyer des documents sur la période du martyre de notre Église en Algérie.
Les travaux du confinement
Il se trouve qu’avant le confinement j’avais promis à plusieurs groupes la rédaction de plusieurs textes ou la participation à des travaux collectifs. Pour plusieurs de ces travaux j’avais pris du retard par rapport à mes engagements
Il s’agissait d’abord d’un ouvrage promis à l’Institut du Monde Arabe pour une collection sur les personnalités qui avaient servi la relation Orient/Occident. On m’avait confié le soin de rédiger le livre sur l’Emir Abdelkader, personnalité sur laquelle j’avais rassemblé une grande documentation. Grâce au confinement j’ai pu, fin mars et début avril, leur envoyer mon manuscrit. Ce livre vient d’être publié par l’Institut du monde arabe.
J’ai travaillé d’abord à ma contribution finale au livre sur l’Eglise d’Algérie publié chez Karthala ( L’Eglise et les chrétiens dans l’Algérie indépendante, 734 p.) Je m’étais également engagé, à la demande des diocèses d’Algérie, à préparer la retraite des prêtres sur les messages de vie des moines de Tibhrine. Cette retraite, d’abord prévue fin juin, fut reportée à la fin septembre à cause du virus. Dans ce but j’ai travaillé surtout avec les deux nouveaux livres, très riches, publiés récemment sur les œuvres des moines ( tomes 1 et 2 de cette collection , 700 pages et 300 pages) Ce travail rencontrait aussi un autre projet lié relatif au tome 3 pour lequel je travaille à la rédaction d’un chapitre d’ouverture au contexte. Le confinement m’a permis d’avancer dans la rédaction de ce texte. J’ai eu aussi l’occasion de faire l’expérience de débats par internet sur des thèmes que je travaillais avec d’autres.
Interrogations personnelles
Il est évident qu’une menace qui rejoignait peu à peu la vie de millions de personnes dans la quasi-totalité des pays du monde interrogeait profondément la foi de chacun de nous et particulièrement des croyants. Nous sommes habitués à chercher le sens spirituel des événements de notre vie et de celle de l’Église ou du monde. Une menace qui atteignait ainsi, en même temps, tous les humains, et particulièrement les plus démunis, devenait une question grave pour le croyant. Par ailleurs l’impossibilité de maintenir les rencontres de la liturgie ou celles de la foi, hors de chez soi, n’était pas suffisamment suppléé par les possibilités qu’offraient les médias et posait des questions sur l’avenir de la pratique dans les communautés chrétiennes.
2020-10-15
† Henri Teissier
L’humour de Monseigneur Teissier
Un hasard plutôt sympathique m’a conduit à écouter Monseigneur Teissier dans l’une de ces conférences ouvertes que le nouveau recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz, a organisée. C’est une réelle délectation d’entendre cet archevêque qui n’est pas natif d’Algérie mais qui fait corps avec ce pays. En le voyant dans le décor de la mosquée de Paris, lui qui a fait une partie de ses études à la Sorbonne, à deux pas de là, j’ai eu la curieuse sensation de me trouver en présence d’un Algérien de chez nous, égaré dans la mondanité de ce lieu et de cet instant parisiens.
Avant de s’attacher à son propos, il faut en souligner le régal de la subtilité et de l’humour. Celui-ci est d’une finesse et d’une sincérité touchante. Il raconte, par exemple, par petites touches presque solennelles cette anecdote qui a fait s’esclaffer le public. Lorsqu’il a pris sa retraite, il a été contraint, comme tout un chacun, de s’acquitter d’une formalité administrative auprès des autorités algériennes. Il a dû à cette fin, remplir un quelconque formulaire. Il a indiqué son nom, prénom, date de naissance, etc. À la case situation familiale, il a coché célibataire. En toute bonne foi, le jeune fonctionnaire algérien s’étonne :
– Vous n’êtes pas marié ?
Monseigneur Teissier répond par la négative. L’autre lui en demande la raison. Afin d’expliquer le célibat obligatoire du clergé catholique sans entrer dans les détails, l’évêque précise :
– Le travail que je faisais me contraignait au célibat.
Et le jeune fonctionnaire de compatir.
– Maintenant que tu es à la retraite tu peux te marier !
Henri Teissier fait partie des quelque 5 000 Algériens bloqués en France à cause de la crise sanitaire. Car, faut-il le rappeler, il est Algérien. Quand une auditrice lui demande pourquoi le choix de l’Algérie, lui qui est né en France, et surtout les raisons de son attachement à ce pays, il répond sobrement à la première question:
– On est forcément attaché à l’endroit où l’on vit.
Quant à la seconde question, il ajoute cette nuance complétive :
– Ce sont les Algériens que j’aime.
Affirmer aimer les Algériens, c’est donner un visage humain à l’amour du prochain, et non pas se contenter d’une incantation à l’endroit d’un pays désincarné.
Les Algériens, il les a aimés dès le début de son sacerdoce, alors que dans la proximité du célèbre Père Scotto, curé de Hussein Dey, il intervenait avec d’autres dans les bidonvilles d’Oued Ouchayah. Né à Lyon en 1929, il arrive en Algérie à l’âge de 17 ans. Son parcours ecclésiastique épouse celui du processus de l’indépendance du peuple algérien. La rencontre sur son chemin avec des hommes d’Église comme le Père Scotto puis Monseigneur Duval, plaidera en faveur d’une conception de l’Église au service des opprimés.
À l’indépendance, lorsque les Chrétiens font partie des 650 000 personnes qui quittent en masse l’Algérie, il est au côté de Monseigneur Duval quand l’Église choisira de «ne pas être étrangère, mais algérienne».
Dans les décennies 1970-1980, évêque d’Oran, puis archevêque d’Alger, il œuvre dans le cadre de l’Église d’Algérie, au développement social en faveur des plus déshérités dans un œcuménisme qui rapproche les chrétiens des musulmans. La tâche est d’autant plus complexe que la mémoire algérienne tient l’Église sous la double suspicion d’avoir été à la fois du côté de la colonisation – le sabre et le goupillon —, et de moins viser l’assistance aux plus faibles que l’évangélisation des musulmans. C’est dans ce climat de méfiance aggravé pour l’Église d’Algérie par l’amalgame créé par l’offensive des églises évangéliques US, que surviennent les années de la montée des fondamentalismes islamiques, puis celles du terrorisme. 19 religieux chrétiens dont Monseigneur Claverie, évêque d’Oran, et les moines de Tibhirine, sont victimes du terrorisme. Mais Monseigneur Teissier les considère comme faisant partie des 200 000 victimes algériennes de ces années de malheur. Il est de ceux qui font observer que, sans aller dans le détail d’une comptabilité macabre, il y eut plus de 100 imams algériens victimes du terrorisme.
Pendant la Décennie noire, il a dû assumer la responsabilité de l’Église d’Algérie, naturellement placée dans le viseur des terroristes. Mais qu’il s’agisse des moines de Tibhirine ou de tout autre membre de cette Eglise, personne ne voulait se dérober au devoir fraternel de rester auprès de leurs amis musulmans dans la terrible souffrance qui leur était imposée. Monseigneur Teissier parle, à propos de la décennie noire, «de martyrs chrétiens et musulmans» de son pays, l’Algérie. Il dit que les chrétiens étaient visés au même titre que la population algérienne.
Monseigneur Teissier est un segment de l’histoire d’une Algérie fraternelle. Il a été en faveur de l’indépendance de l’Algérie, tout comme Monseigneur Duval qui avait gagné le prénom de Mohamed, et il a toujours eu à cœur d’aller à la rencontre de ses compatriotes musulmans. Toute sa réflexion et son action, dans l’incandescence d’un présent radical, tourne autour de l’amitié entre chrétiens et musulmans. Mais – et surtout —, ce conférencier est un véritable conteur qui vous transporte dans un survol du temps qui transforme les pires épreuves en des moments de grâce que procurent l’optimisme et la fraternité.
Arezki Metref