Vivre ensemble avec Marie

Une bonne recette de couscous

Journée ensoleillée où le bleu du ciel et de la mer se confondent avec celui de la mosaïque de Notre Dame d’Afrique. Ne voit-on pas Marie, la mère de Jésus, souvent vêtue de bleu ? Après que j’ai eu décliné mon identité, deux jeunes filles me remettent ma carte d’accès. Je me demande comment Marie, Myriam peut attirer ces jeunes filles ici, l’une se dit athée et l’autre musulmane de tradition mais non pratiquante. Elles me répondent que Marie est pour elles aussi une figure qui attire. Deux autres personnes contrôlent les cartes d’accès à l’entrée de la basilique, une musulmane et l’autre chrétienne, voilà qui est bon signe.

Le père Anselme m’explique comment on est arrivé à la septième journée mariale : «On voyait beaucoup de musulmans venir visiter la basilique et on s’est dit qu’il faudrait peut-être dédier une journée spéciale afin de favoriser les rencontres autour de Madame l’Afrique. C’est ainsi que tout a commencé. Mgr Teissier en fut stupéfait et très heureux. A cette époque le ministère des affaires religieuses s’était proposé pour prendre en charge les transports des 45 petits chanteurs de Saint Marc venus exprès de France. Et puis l’idée du couscous marial a été une proposition qui interrogeait ; et quelle serait donc la recette de ce couscous ? »

À la semoule « made in bledi » ajouter beaucoup d’amour pour les autres 

Les organisateurs attendent environ 300 personnes et petit à petit la basilique se remplit. La variété de l’assistance est étonnante. On trouve deux imams du quartier, des jeunes chrétiens algériens, des moins jeunes, des femmes musulmanes avec foulard ou sans foulard, des religieux et religieuses de l’Église catholique et un petit groupe venu de Kabylie pour être au service de l’organisation. En attendant le début du programme, les gens font connaissance et l’ambiance est vraiment sous le signe du vivre ensemble. Le père José Maria prononce son mot d’accueil à l’heure pile, les deux imams font ensuite une petite introduction et l’un d’eux psalmodie la sourate dédiée à Myriam.

L’ambiance est déjà bien créée et c’est le tour des intervenants.  Dr Arifi, Maître de recherche en archéologie, nous parle de la basilique découverte à la place des martyrs lors de la construction de la station de métro. Une basilique qui date de l’an 342, dont certaines mosaïques ont pu être sauvées et sont en cours de restauration. Beaucoup d’informations sur les fouilles nous seront données, malheureusement sans photos, l’éclairage de la basilique ne le permettant pas. L’histoire de cette basilique atteste une présence chrétienne très tôt sur ces terres.

En roulant la semoule penser aux gestes de tendresse que nous pouvons nous manifester les uns aux autres

Madame Asma Nouira du Groupe de Recherche Islamo Chrétienne (GRIC), venue de Tunisie, nous montre la figure de Marie qu’apprécie la foi populaire musulmane, spécialement en Afrique du Nord, où il n’est pas rare de rencontrer des femmes qui vénèrent Marie à la façon chrétienne dans de nombreuses églises locales. Elle nous rappelle, au passage, que Marie est une des quatre femmes citées dans le Coran, qu’elle est aussi un modèle de Foi et une figure de sainteté. Des apparitions de Marie ont aussi eu lieu dans des contextes musulmans. Elle termine son e       xposé en récitant le « Je vous salue Marie » en arabe

Retirer de la sauce les petits problèmes entre les cultures et les religions pour les remplacer par de la bonne humeur

Monsieur Ahmed Abdel Djalil nous fait découvrir le « Ribat essalam » fondé par Christian de Chergé, de Thibhirine, et qui continue aujourd’hui et même à l’étranger. C’est une façon d’aller vers Dieu, ensemble, chrétiens et musulmans. Il nous raconte son parcours dans un petit village au cœur du Sahara où il a fait la connaissance d’un petit frère de Jésus qui vit au milieu des Touaregs : cette rencontre fera disparaître sa peur du contact des chrétiens, tout en lui faisant prendre conscience de sa grande ignorance. « Chaque main lave l’autre », on change de regard au contact de personnes de culture différente, tout en restant soi-même.

Madame Feyrouz Bibi, enseignante de religion comparée, nous raconte son expérience avec un prêtre à Constantine et son implication dans l’association Kaîcid qui organise des évènements de formation à la diversité religieuse. Elle nous parle aussi de son projet de guide des lieux saints dans le Maghreb, où l’on pourra visiter le monastère de Thibhirine, les zaouia, les lieux de fondations des petites sœurs de Jésus etc…

Le père Sylvio Moreno (Tunis) n’ayant pas eu son visa, nous sommes passés aux questions/ réponses aux intervenants.

Avant de se servir, faire aux autres croyants ce que nous voudrions qu’on nous fasse

Poser des questions sur l’archéologie entraîne sur le chemin des décideurs politiques et là les intervenants n’avaient pas les solutions. Un petit débat s’est aussi installé entre ceux qui croient au dialogue entre les religions et ceux qui le trouvent utopique. Monsieur Abdel Djali

l a bien spécifié qu’il s’agit pour eux d’un dialogue entre croyants de différentes religions, acceptant la vérité de l’autre. Comment faire lorsque l’autre veut absolument nous convertir ? et bien d’autres questions encore suivies de tentatives de réponses pas toujours évidentes. Comme disait le père José Maria, certains ne sont pas intéressés par ce rapprochement entre croyants, ils sont libres, mais travaillons avec ceux qui sont intéressés. Le problème des minorités chrétiennes en Algérie est apparu aussi, nous montrant cette grande souffrance.

Après ces riches échanges c’est le « coucous marial »1 qui nous attendait dans la cour du Centre. En attendant la préparation, la convivialité se concrétise à travers des échanges spontanés en grande liberté. « Je suis athée, mais je tiens absolument à ces espaces de dialogue » ; « pour moi ce que l’on vit ici me rappelle ma jeunesse où chrétiens, musulmans, juifs vivaient côte à côte sans soucis » ; « Nous avons besoin de ces moments pour avancer dans notre société » ; « Finalement en allant vers l’autre on va vers soi » ; « un show de plus », « les barrières tombent, on se retrouve hommes-femmes avant tout » ; « il y a un problème de citoyenneté » ; «  ce n’est pas assez concret, c’est depuis 1962 que nous faisons cela» ; « Cela ne suffit pas de dire que je connais un chrétien… ».Le couscous, différent de la maison bien sûr…, mais très apprécié, a cimenté les amitiés qui se sont créées et qui vont certainement continuer par la suite ; on échange les numéros de téléphone.C’est dans une atmosphère religieuse que se termine la journée, en musique, avec un concert de flûte et piano Djamel Ghazi (flute) et Feriel Sadi (piano) ainsi qu’un solo de Oud avec Mohamed Tarek Tobni.

« Marie, signe du vivre ensemble », tel était le titre de la journée, finalement on a peu parlé de Marie, nos Écritures ne lui donnent pas non plus beaucoup la parole, mais elle est présente dans tous les moments cruciaux de l’Évangile, ne serait-ce pas là sa « marque de fabrique ».

 

Elias Duric

 

 

1Voici la recette : Le secret du couscous marial est autant dans les ingrédients, le cadre et les convives. Voici la recette : Dans un cadre amical et réunis en tant que croyants différents avec la noble intention de vivre ensemble en paix, à la semoule « made in bledi » ajouter beaucoup d’amour pour les autres ;  En roulant la semoule penser aux gestes de tendresse que nous pouvons nous manifester les uns aux autres ;  cuire lentement le poulet (ou la viande ou même les poissons !) avec des rires et de la joie ;  Retirer de la sauce les petits problèmes entre les cultures et les religions pour les remplacer par de la bonne humeur ;  Avant de se servir, faire aux autres croyants ce que nous voudrions qu’on nous fasse;  Recevoir sa part avec un grand sourire et un grand merci pour tous ceux qui travaillent dans l’ombre en vue d’un monde plus fraternel ;  Choisir une place pour le déguster en prenant soin de saisir la chance de tisser de nouvelles amitiés : ne pas hésiter à  demander le numéro de portable de vos nouveaux amis… avant de jeter les assiettes dans la poubelle !

16 Mai 2022 | A la une, Vivre ensemble

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