Un rebelle au grand cœur

Quand on pense à un archiviste on imagine une cave remplie de papiers et de dossiers classés dans des armoires. C’est bien dans une cave de l’évêché d’Alger, où l’on peut trouver près de 600 casiers répertoriés et classés, au milieu de quelques papiers épars, que je retrouve mon interlocuteur. C’est normal puisque le père Jean-Pierre Henry est l’archiviste du diocèse. Nous remontons dans une salle où la lumière automnale nous accueille en cette belle journée d’octobre. Avec Jean-Pierre Henry c’est tout un pan de l’histoire d’Algérie qui défile et déborde de tout son être.

Enfance, jeunesse

Le temps de naître à Oran en 1934 et de partir à Sidi Bel Abbes où il va rester jusqu’à ses douze ans : son père, fonctionnaire, devait se déplacer avec toute sa famille. Dans cette ville il n’y avait pas d’arabes, parce que c’était une ville de garnison avec un gros contingent de la légion étrangère. Il habitait dans un des faubourgs de Bel Abbes et n’était en contact qu’avec des européens, surtout des français, des enfants de colons qui cultivaient essentiellement la vigne, et un sous-prolétariat espagnol. Même s’il y a du sang sang espagnol dans la famille, son unique frère est blond et ce n’est pas bien vu, alors il faut souvent se battre à l’école pour prouver que l’on est un garçon.

Puis passage à Tlemcen où il se retrouve dans une ville arabe avec « des gens raffinés », un lycée mixte, contrairement à celui de Bel Abbes.  Mais la mixité était réservée aux Européens, pour les algériens alors on n’envoyait pas les filles à l’école. « À mon âge, vers les 10-12ans, , entre copains on se visitait les uns les autres, mais quand arrivait la puberté nous n’avions plus le droit de rentrer dans les familles musulmanes. On se rencontrait dans la rue pour jouer au foot ou dans le contexte scolaire.»

Tlemcen, Sidi Boumediene

Après cette période tlemcénienne et ces contacts riches et nombreux avec les algériens qu’il a beaucoup appréciés, son papa est nommé à Alger et c’est le lycée Bugeaud , aujourd’hui Abdelkader (norrmal !!!) qui accueillera Jean-Pierre. Puis, l’université où il entreprend des études de géographie et travaille comme cartographe, un petit boulot d’étudiant à la direction de l’hydraulique. Précision : « La direction de la colonisation et de l’hydraulique changera de nom et devient peu à peu le service de l’hydraulique car le mot colonisation avait une connotation positive, mais celle-ci était de moins en moins appréciée ! »

Il fait beaucoup de scoutisme et à 19 ans il dirige déjà un camp scout en France avec une quinzaine de jeunes algériens.

J’ai toujours aimé l’Église

« Jusqu’à 24 ans je n’avais jamais pensé être prêtre ; un soir, invité dans une famille plutôt contraire à l’Église, je passe une mauvaise nuit et me réveille en disant (bessif), par l’épée en arabe, c’est un mot qui fait partie de ma vie, ‘tu es prêtre’. (je ne parle pas la langue arabe mais l’arabe populaire m’est sympathique) . Ce fut une très mauvaise nuit, presque ’une catastrophe ! » « Je connaissais un certain père Doncieux, prêtre jésuite, avec qui je m’engueulais une heure chaque samedi car lui était pour l’indépendance et moi pour l’Algérie française. Mais après je me confessais à lui. J’ai eu la chance d’être en relation avec des gens qui avaient des opinions très différentes des miennes, ce qui ne nous empêchait pas d’être les meilleurs amis du monde. Les méditerranéens commencent par s’engueuler puis deviennent amis ! » 

«… Durant deux à trois semaines je suis malheureux comme une pierre : je n’aurai pas d’enfants…finalement j’accepte cette éventualité ! Le père Doncieux m’envoie aux facultés de théologie et de philosophie de Lyon durant six ans, mais tous les étés je reviens en vacances. » Son ordination sacerdotale a lieu à la cathédrale du Sacré Cœur par Mgr Duval dans une Algérie devenue indépendante. « Je trouvais que Mgr Duval ouvrait trop grande la porte pour l’indépendance, mais j’ai toujours aimé l’Église. »

Sortie de messe église Saint Charles Alger (années 60)

Nous voilà en 1969, le père Jean-Pierre Henry est nommé vicaire à l’Église St Charles où il y avait cinq messes chaque dimanche car il y avait dans ce quartier des entreprises françaises et européennes. En 1975 le président Boumediene nationalise toutes les entreprises françaises, les français quittent le pays et les algériens remplacent les coopérants et prennent les appartements . En 1980 l’église est fermée.

Écarté du diocèse

« J’ai eu des difficultés dans cette Église (éclats de rire), des désaccords avec un autre aumônier de lycée dont j’étais l’adjoint ; il était un peu trop moralisant :  il me disait comment je devais faire, je ne supportais pas sa façon de faire, je ne supporte pas que l’on me fasse la morale. Ce lycée a fermé, puis je suis allé à l’ancien lycée Descartes, pendant environ 10 ans. J’étais un pied noir qui avait été pour l’Algérie française et cela n’était pas bien vu, les « progressistes » (pour l’indépendance) de l’époque s’étaient réfugiés à la paroisse d’El Biar pour une Algérie nouvelle ». Ce groupe le détestait. Jean-Pierre Henry choquait les grandes familles bourgeoises d’Hydra, le cardinal savait tout cela. Le scoutisme demeure toujours une passion pour lui et alors qu’il prépare un camp il rencontre le cardinal qui s’exclame : « Il faut partir, aller à l’école des hautes études en France. Je sentais bien qu’il était ému en me disant cela, mais je devais être écarté. » Il part donc en France faire des études de théologie à Lyon, prépare une thèse qu’il ne terminera pas car au bout de deux ans il rentre en Algérie.,

Il reprendra exactement tout ce qu’il faisait auparavant comme si de rien n’était : aumônier au lycée de Ben Aknoun jusqu’en 1995, il développe le scoutisme etc… Ses relations avec les profs du lycée sont bonnes il est même invité une fois à parler de la bible comme avènement historique en cours d’histoire.

Bou-Ismaïl

Une maison du diocèse se libère à Bou Ismaïl, quarante km d’Alger. Il apprivoise les jeunes du quartier et vice-versa. Il peut agir auprès d’eux avec beaucoup de liberté et développera de nombreuses activités, durant près de vingt 20 ans. Et aujourd’hui après le COVID, « Ils sont devenus plus pauvres et maintenant ils attendent de moi seulement de l’argent ce qui complique la relation. »

Le père Henry a vécu une longue page de l’histoire de l’Église en Algérie. Qu’en est-il aujourd’hui ? « Ce qui est bien c’est que le clergé a été entièrement renouvelé, mais il n’y a plus de tradition, on a même jeté des archives. » A propos de l’avenir de l’Église ici : « Je n’ai jamais pensé à l’avenir de l’Église, je ne pense qu’au présent, je n’ai pas d’idéologie sur cela mais je crois qu’il faut qu’elle agisse, qu’elle intervienne, qu’elle ait de l’influence au jour le jour.»

L’Église d’aujourd’hui

L’arrêt du fonctionnement de Caritas ne le choque pas, il pense qu’elle s’était éloignée des pauvres. Pour lui « L’Église ce sont des êtres humains qui rencontrent d’autres êtres humains et qui se laissent toucher par leurs souffrances. Porter l’évangile c’est changer nos cœurs. »

« Un prêtre est au service de la religion des autres, par exemple je ne suis pas très chapelet, contemplatif mais si on me charge d’un groupe qui est ainsi je dois faire miens leurs choix et faire en sorte que les gens progressent à l’intérieur de leurs choix. Quand nous sommes avec des musulmans nous sommes, d’une certaine façon au service de leur religion dans ce qu’elle a d’intime, c’est le cœur que l’on met dans nos rapports qui compte. »  

À propos de la démarche synodale qui nous est proposée : «  Je n’y comprends rien, quelle idée a eu le Pape ! Mais bon, on obéit au Pape, je ne comprends pas ce que cela veut dire : on fait une réunion de temps en temps, mais on n’en saisit pas le sens. » 

C’est dans un grand éclat de rire que nous terminons notre échange.

Propos recueillis par Didier Lucas

7 Nov 2022 | A la une, Témoignages

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Église Catholique d'Algérie