La Pratique de la Lectio Divina
Fr. Martin McGee, bénédictin anglais, est passionné par l’Algérie et son Église, sur laquelle il a publié divers ouvrages et articles. Il vient d’écrire un livre en français sur Frère Christophe « Le Combat spirituel de Frère Christophe de Tibhirine : Un Bonheur d’Evangile » qui va paraître dans quelques semaines, publié par Parole et Silence. Il l’a dédié « À l’Église d’Algérie qui proclame la bonne nouvelle de la relation islamo-chrétienne, à temps et à contretemps ».
La redécouverte de la lectio divina dans l’Église contemporaine est un des fruits du Concile Vatican II. Le pape émérite Benoit XV1 a affirmé en 2005 que cette « pratique, si elle est promue efficacement, apportera à l’Église, j’en suis convaincu, un nouveau printemps spirituel. » Mais qu’est-ce que la lectio divina (lecture divine ou sacrée) ? En bref, c’est prier l’Écriture Sainte en essayant de rester ouvert à ce que l’Esprit veut nous dire aujourd’hui à travers sa Parole. L’accent est surtout mis sur les mots « prier » et « aujourd’hui ». La lectio cherche à établir dans le moment présent une relation avec le Seigneur ressuscité qui vit dans sa Parole. « Car la parole de Dieu est vivante et efficace, … elle juge les sentiments et les pensées du cœur (Hébreux 4 :12). » La pratique de la lectio est une façon d’écouter, de se laisser imprégner par la Parole de Dieu.
Je crois que la pratique de la lectio pourrait apporter beaucoup à la vie de l’Église d’Algérie parce que la lectio est accessible à tout le monde, que le pratiquant soit catholique, protestant ou musulman. Chacun peut s’ouvrir au passage biblique au niveau de sa propre expérience de la vie. Un de mes amis, Alexander McLean, le jeune fondateur de Justice Defenders, une organisation qui travaille avec des prisonniers dans plusieurs pays africains, a trouvé que des groupes composés de chrétiens, musulmans, agnostiques et même athées ont réagi positivement à la lectio. Pour un tel groupe il faudrait, bien sûr, choisir le passage avec soin.
Se Laisser Imprégner Par la Parole de Dieu
La lecture, la méditation, la prière et la contemplation sont les quatre étapes traditionnelles de la lectio divina. La première étape est la lecture (lectio) du texte où l’on essaie de cerner le sens du passage dans son contexte historique. À ce stade on aurait sûrement besoin de consulter des commentaires ou dictionnaires bibliques. Autrement, on court le risque d’imposer au texte ses propres lubies au lieu de chercher son sens originel. Avec la deuxième étape, la méditation (medatatio), on entre dans un dialogue personnel avec le texte, un dialogue en lien avec sa propre vie. Qu’est-ce que ce texte me dit actuellement ? La troisième étape, la prière (oratio), est une réponse à la parole du Seigneur, un dialogue à cœur ouvert entre moi et celui qui m’aime et qui est présent à travers sa parole. Et finalement on arrive à la contemplation (contemplatio) où l’on se tient en silence devant le Seigneur et se repose dans son amour.1
La pratique de la lectio divina est un long chemin de conversion où l’on cherche à avoir «la pensée du Christ » (1 Cor. 2 :16). En méditant la Parole de Dieu, en dialoguant avec le Seigneur, nous commençons petit à petit à renouveler notre propre esprit, à voir le monde à travers l’optique de l’Évangile. Saint Paul, dans la Lettre aux Romains insiste : « Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser » (12, 2). Pour St Benoît et la tradition monastique, la lectio est le chemin le plus sûr de la conversion, le moyen le plus sûr pour renouveler notre façon de penser et d’agir selon la volonté de Dieu.
Se Mettre en Présence de Quelqu’un
Dans Le livre de nos passages : La Bible, (Éd du Cerf, 2014), écrit par le Bienheureux Pierre Claverie, le mot lectio divina n’apparaît pas mais la visée principale du livre, me semble-t-il, sous-tend la pratique de la lectio. Pour Pierre, comme pour quiconque qui pratique la lectio, la Bible n’est pas un livre où l’on cherche en premier lieu des préceptes moraux ni des doctrines mais c’est plutôt une question d’une rencontre personnelle : « Ouvrir le Livre, c’est se mettre en présence de Quelqu’un dont je crois, avec l’écrivain sacré, qu’il veut entrer dans ma vie aujourd’hui et me provoquer à accueillir sa parole (Ibid., p. 20) ».
On pourrait prendre le journal de frère Christophe de Tibhirine, Le souffle du don, comme un bel exemple de lectio divina. Tous les écrits de Christophe, surtout son journal, sont une forme de lectio de sa vie, une prise de conscience de la présence du Seigneur, l’Esprit de Jésus, dans sa vie relationnelle de tous les jours. Dans une homélie dominicale, Christophe parle de la lectio comme une source de guérison : « Et je me dis : si je touche au moins les mots, si je touche la lettre… Et je lis l’Écriture, je touche ce vêtement du Verbe et il m’arrive des fois de connaître en mon corps quelque chose comme une guérison. (La Table Et Le Pain Pour Les Pauvres, p.103). On voit combien la parole de Dieu nourrit Christophe et le guérit, combien elle « est vivante et efficace » (Hébreux 4, 12).
Ce qui est vrai pour frère Christophe l’est aussi, je crois, pour chacun d’entre nous. Je ne sais pas s’il y a des groupes de lectio divina en Algérie. Sans doute y a-t-il beaucoup de personnes, chrétiens et musulmans, qui la pratiquent individuellement avec leurs textes sacrés respectifs. Quoi qu’il en soit, je suis persuadé, avec le Pape Benoît, que la pratique de la lectio divina, individuellement ou en groupe, est un moyen sûr pour promouvoir un « nouveau printemps spirituel » dans l’Église.
Martin McGee osb, mmcgee@worth.org.uk
1Voir nos 27-36 du Directoire Sur L’Homélie pour une excellente explication des étapes de la lectio divina. https://diaconat.catholique.fr/wpcontent/uploads/sites/5/2015/06/Homelie_Directoire_sur_2014.pdf