Il y a quelques jours, d’une personne que je ne connais pas, je recevais l’email suivant, sans doute comme tous les membres du synode : « Le canon 1024 relève de l’idéologie patriarcale du genre. » Après avoir passé en revue sur Google tous les modèles de photocopieuses Canon, j’arrive au code de droit canonique et au canon 1024 : « Seul un homme baptisé reçoit validement l’ordination sacrée ».
Le même matin, une participante envoyait sur un de nos groupes WhatsApp une longue proposition sur le thème des LGBTQ+ pour lutter contre l’idéologie du genre.
Mais ce type de pression n’est pas trop fort ; il l’est sans doute davantage sur les personnes plus en vue ou plus influentes que moi.
On mesure ses mots pour parler de la mystique de la pauvreté
Aujourd’hui, dans la discussion sur le rapport de synthèse et les amendements que nous proposons, nous mesurions le bénéfice d’un mois de travail commun, de la connaissance mutuelle, de la perception de la situation d’où chacun parle. Par exemple, quand un évêque raconte ses visites pastorales dans une région où les gens ne mangent qu’une fois tous les deux jours et qu’il met plusieurs jours à rejoindre à pied, on mesure ses mots pour parler de la mystique de la pauvreté.
Nous avions reçu mercredi en milieu de matinée le projet de synthèse, rédigé en anglais et italien. Les autres versions étaient en « traduction Google » et n’étaient donc pas le texte de référence. Il fallait lire les 40 pages avant la séance de 16h00. Le soir, nous avons terminé à 21h00 et il fallait préparer nos propositions amendements pour ce matin 9h00 !
Ce soir, j’ai quitté la salle Paul VI à 21h00, mais nous savons qu’un groupe va travailler toute la nuit pour prendre en compte nos amendements. Le texte de base a été plutôt bien reçu, mais il leur va quand même falloir intégrer des centaines d’amendements. Chacun des 35 groupes a produit dans la journée entre 25 et 65 amendements adoptés à la majorité ; cela peut faire plus d’un millier d’amendements, qu’il conviendra d’intégrer au texte travaillé en anglais et italien. Puis les traducteurs prendront le relais pour établir la version en espagnol, français et portugais… pour samedi matin après relecture par la Commission qui patronne la synthèse, composée d’une personne élue par continent auxquels le pape a ajouté trois autres membres.
Demain, nous parlerons de la phase qui va suivre notre assemblée,
Demain, nous parlerons de la phase qui va suivre notre assemblée, la période qui nous sépare de l’assemblée d’octobre 2024, et l’assemblée d’octobre prochain aussi. Nous aurons une demi-journée bienvenue de congés demain après-midi avant de reprendre samedi matin jusqu’à la messe de clôture de dimanche. Dimanche midi, je pourrai retirer mon col, puisque la mode vestimentaire n’est pas la même selon les pays ; après un mois, m’aura-t-il laissé des cicatrices ? En tout cas, qu’on soit cardinal, laïc ou un petit prêtre comme moi, il est sûr qu’aucun de nous ne pourra sortir indemne d’une pareille expérience. Restera à atterrir, à la partager, à mettre nos bonnes intentions à l’épreuve du réel, et à continuer à avancer sur toutes les questions où nous sommes restés au milieu du gué parce qu’elles ne sont culturellement ou théologiquement pas mûres.
1.125 amendements des groupes (et 126 autres propositions d’amendements individuelles)
Ce matin, nous attendons dans nos lieux d’hébergement que nous soit apportée la copie de la synthèse finale. Nous aurons juste le temps de la lire avant de nous retrouver cet après-midi pour la voter, paragraphe par paragraphe. Ce sera très rapide, avec le système de vote électronique : oui ou non pour chaque paragraphe numéroté. Chacun remplit son « QCM » sur sa tablette et envoie. Et nous aurons le résultat presque immédiatement… si tout marche bien. Avant-hier, il y a eu un moment où tous les micros s’allumaient en même temps, mais d’une manière générale la technique fonctionne admirablement, de même que l’organisation.
Hier soir, après la prière pour la paix à la basilique St Pierre, la Commission pour le Rapport de Synthèse se réunissait à 21h pour relire la synthèse où les théologiens ont intégré les 1.125 amendements des groupes (et 126 autres propositions d’amendements individuelles). La synthèse est rédigée en anglais et italien, et la majorité des membres de la Commission sont francophones. Je ne sais pas comment ils font ! Après leurs retouches et validation du texte, les traducteurs se sont remis en route. Nous attendons impatiemment le résultat.
Ceci dit, ce texte sera comme un compte-rendu organisé de nos échanges. Illisible pour la plupart des chrétiens (40 pages), il supposera qu’en soient dégagés quelques points prioritaires, que ceux-ci soient dégrossis par des théologiens et autres experts, pour que nous les reprenions de manière plus efficace l’an prochain, lors d’une session vraisemblablement un peu plus courte, qui comme d’habitude présentera le résultat de ses travaux au pape, lequel rédigera une exhortation apostolique en reprenant les choses à sa manière.
Le changement portera sans doute d’abord sur « le style d’Eglise«
Les changements porteront peut-être sur quelques aspects structurels, mais le changement portera sans doute d’abord sur « le style d’Eglise » que nous serons, et ce changement est déjà en route. Même les vieux routards des synodes disent déjà que celui-ci n’a rien à voir avec les précédents. Derrière la façade des liturgies encore inchangées (ou presque), les relations réciproques, la manière de s’écouter et d’avancer ensemble, entre évêques, entre tous, ont été transformés par ce que nous avons vécu au cours de ce mois. Beaucoup retrouveront au retour la force des habitudes, l’inertie paralysante de certaines structures, depuis les communautés locales jusqu’à la Curie romaine, mais il y aura aussi les attentes de beaucoup, la poussée des jeunes, le souffle de l’Esprit. Pour les Eglises du Maghreb, ces changements seront sans doute moins sensibles, mais adopter « le style de Jésus » est bien un défi pour tous !
Le secrétariat du Synode a fait et poursuit un travail énorme, sur la forme et sur le fond ; une organisation impressionnante, mais aussi en tenant le cap, faisant des propositions audacieuses. Il y a encore des points où il peut aller plus loin (notamment nous faire expérimenter des choses que personne n’imaginait possibles et qu’il vaut mieux vivre directement que d’en discuter l’hypothèse), mais il est déjà plus en avant que beaucoup d’Eglises locales !
J’ai eu la chance d’être dans un lieu d’hébergement où le groupe était particulièrement motivant et vivant : un cardinal indien et trois évêques du Bengladesh, d’Inde et de Turquie; des laïques femmes et hommes de Suisse, Liban, Costa-Rica, Ukraine, Colombie, du Brésil et du Japon ; des sœurs du Burundi, de Madagascar et du Vénézuela, des prêtres d’Espagne, Tanzanie, Nigéria, Sri-Lanka, Portugal ; membres du Synode, ou facilitateurs, traducteurs, de la Commission Communication, … Nos allers-retours en bus et repas sont l’occasion de bonnes rigolades. Nous célébrons à tour de rôle chaque matin en tournant entre 7 ou 8 langues. Ce n’était peut-être pas la même fraternité joyeuse et détendue dans tous les lieux d’hébergement !
Mais je crois entendre que notre texte arrive ; au travail !
Michel Guillaud