Six années au service de l’Église d’Algérie, Marie et Luc Feillée, bilan-témoignage

Six années passées en Algérie, vous êtes différents après ce long séjour en Algérie ?

MF : nous avons vécu six ans dans un pays qui n’était pas le nôtre, dont la religion n’est pas la nôtre. Et nous y étions accueillis, en étrangers, oui, mais pas en visiteurs. Le fait d’appartenir à la kanissa était, pour les Algériens du sud, une garantie que nous étions là « pour le bien« . Ceci nous a permis de nous comprendre comme des héritiers de tous ces religieux (Pères Blancs et Sœurs Blanches, Petits Frères et Petites Sœurs, etc.) qui ont donné leurs savoirs, leurs capacités, leur vie aux Algériens, sans vouloir les ‘récupérer’.

Et nous aussi, nous nous sommes pris d’amour pour l’Algérie !

Dans une autre dimension, nous avons été, parmi les 50 permanents du diocèse, le seul couple marié, ce qui ne ressemble pas à l’Église dans laquelle nous étions engagés, et dans laquelle nous sommes revenus maintenant. Pourtant, il nous a semblé que l’Église du Sahara était, du moins parmi les permanents, synodale, à sa façon. Mon service comme secrétaire du diocèse m’a permis de me sentir utile à l’Église, moi, une femme mariée, et pas seulement pour l’administration ou l’accueil à la maison diocésaine.

Quelle est votre témoignage et votre vision de l’Église locale en Algérie vue de l’intérieur ?

MF : L’Église du sud algérien est bien particulière, car elle est faite d’abord de permanents de 18 nationalités, qui font peu de pastorale, et sont tournés principalement vers le service de la population musulmane. Ce n’est pas toujours facile, mais ce sont des missions magnifiques. Les communautés, très dispersées, se ressourcent dans la prière, chacune à leur façon.

Bien entendu, il y a aussi des chrétiens, très peu nombreux, et très discrets. Finalement, les « paroisses«  les plus actives se trouvent dans les prisons, hors pandémie, bien sûr. Là, les aumôniers, hommes ou femmes, visitent, réconfortent des chrétiens de toutes Églises, et lisent l’Évangile avec eux. Toutes ces activités me font penser aux œuvres de miséricorde.

Votre rôle dans l’Église du Sahara vous a fait rencontrer beaucoup de personnes, qu’en retenez-vous ?

LF J’ai eu de nombreuses responsabilités durant ses six années de volontariat. J’ai commencé par m’occuper de la photothèque des Pères Blancs à Ghardaïa pour gérer des fonds photographiques de plaques de verre représentant un patrimoine culturel inestimable pour le sud de l’Algérie. En développant tout un programme d’exposition de photos dans des villes du sud et à Alger, j’ai été amené à faire des belles rencontres avec des femmes et des hommes passionnés par la culture et l’histoire de leur région. Certaines de ces rencontres se sont soldées par de fidèles amitiés et de nombreuses escapades pour découvrir l’Algérie.

Ma seconde mission, comme économe diocésain, fut moins fun, mais m’a permis de connaître le diocèse du Sahara en profondeur et dans ses détails. Là encore, outre les nombreuses visites aux communautés du diocèse où l’accueil était digne de celui des Algériens, j’ai lié des amitiés très fortes avec des Algériens musulmans proches des chrétiens, de manière désintéressée.

Ma troisième mission, complémentaire à la précédente, comme directeur Caritas par intérim, m’a fait prendre conscience du drame que vivent les enfants IMC (Infirme Moteur Cérébraux) et du dévouement des Sœurs qui donnent toutes leurs forces, avec Les mains que Dieu leur donne, pour apporter du réconfort aux enfants et à la famille, et essayer qu’ils aient un avenir plus serein.

Nos rencontres, nous les avons mises en images ici :Marie et Luc

Auriez-vous quelques anecdotes de rencontres insolites ?

LF A Adrar, sur un rond-point, en voiture, je croise une semi-remorque chargée d’une vingtaine de chameaux baraqués, dont on ne voyait que le cou avec leur tête qui vous regardait de haut…

Ce sont ces familles de migrants (avec femmes et enfants en bas âge) qui remontent depuis Tamanrasset à pied par la route nationale 1 jusqu’à Ghardaïa et au-delà que l’on croise en voiture lors de nos déplacements.

Cette femme Mozabite à Ghardaïa en haïk blanc traditionnel et qui porte devant elle son bébé dans un kangourou… ou encore cette autre femme aperçue de bonne heure le matin dans une rue de Guerrara en haïk et sur un vélo ! ou bien des Sœurs Burkinabé en moto dans les rues de Timimoun.

MF : un après-midi dans un mausolée mozabite, dans une réunion de femmes : prière, partage de friandises, et prédictions par deux femmes-oracles à partir d’objets personnels. Luc, ne pouvant entrer, a attendu deux heures sur la place !

Au contact avec les Algériens et la religion de l’Islam, qu’avez-vous appris sur cette religion ?

LF Que les ksour de Ghardaïa sont des couvents immenses (hors pandémie) à partir de 13 heures et jusqu’au soir. Les hommes portent à 90% leur vêtement de prière (djellaba blanche) et la vie est rythmée par les appels à la prière et les déplacements vers la mosquée. Cette ferveur religieuse est très impressionnante et pose question.

MF : J’ai surtout partagé avec mes amies musulmanes, à la foi simple et profonde. Nous n’avons jamais eu de dispute théologique ! Mais nous avons prié les unes pour les autres.

Les Mozabites, avec leur islam différent, sont très puritains pour eux-mêmes, peu aimés par les autres musulmans, et tolérants avec les chrétiens.

 

Vous avez tous les deux collaboré à l’équipe de la revue Pax & Concordia ainsi qu’au site web, quelle a été votre expérience au sein de cette équipe ?

MF : J’étais correctrice, donc j’ai tout lu ! j’ai beaucoup aimé cette expérience de Pax & Concordia : l’objectif étant de faire aimer l’Eglise, l’Algérie, et l’Eglise en Algérie, l’éventail de sujets abordés était vraiment intéressant.

LF : Ce fut pour moi une aventure passionnante, faite de rencontres fraternelles avec l’équipe de rédacteurs et de découvertes des autres diocèses en allant les visiter. Cela m’a permis de mieux comprendre les réalités du pays et de les vivre. C’est une expérience que je conseille à tous.

Luc, toi qui es passionné de photo, aurais-tu un moment une émotion particulièr

e vécu en faisant des photos qui t’aurait marqué particulièrement ?

LF La photo est mon moyen d’expression privilégié. Lorsque nous sommes en balade avec Marie, je fais « l’élastique », c’est à dire que je m’arrête très souvent pour prendre un paysage, un détail, et pendant ce temps-là Marie passe devant. Ensuite je rame pour la rattraper et ainsi de suite….

Pendant toute la durée de notre séjour nous avons animé un blog privé qui raconte nos expériences, nos observations sur la culture du pays, nos voyages et découvertes pour les partager avec nos amis de France, et d’Algérie. Luc prend les photos et Marie écrit. C’est une bonne complémentarité.

J’ai beaucoup aimé faire les reportages photos pour l’ADA pour certains évènements importants de notre Eglise, comme la béatification à Oran, saisir les expressions des gens, mettre en valeur des détails, rendre beaux ces moments importants. Maintenant sur le plan esthétique, il n’y a rien de plus beau qu’un lever de soleil depuis un ermitage de l’Assekrem….Maintenant que vous allez retourner près des vôtres, quel message fruit de votre expérience en Algérie portez-vous qu’il vous semble bon de transmettre en France.

L’Eglise en Algérie est une Eglise fragile, dérisoire, vivante, polyphonique. Elle expérimente la fraternité en son sein, le vivre-ensemble avec les Algériens. Elle sert avant de célébrer. Elle est en visitation permanente. Elle dépend de la générosité des autres Eglises (humainement et financièrement). Un ‘modèle’ à étudier ?

Retour en France quels sont vos projets ?

Nous sommes en France, mais nous sommes toujours en poste, par suite de l

a fermeture des frontières à nos successeurs. Nous rendons le plus possible de services à distance. Lorsque la directrice de Caritas, l’économe et le secrétaire auront réussi à rejoindre Ghardaia, nous pourrons travailler sur des projets ponctuels. Nous nous sentons encore pleinement membres du diocèse et nous y retournerons pour des missions ponctuelles !

Parallèlement, la restriction des liens sociaux nous permet de restaurer notre maison familiale, qui en avait bien besoin. Mais nous avons la possibilité de nous retrouver en petits groupes pour réfléchir à « Dieu créateur« , ou pour lire l’Évangile de Matthieu, ou pour partager sur ce qui est vécu ici avec notre équipe locale de la Mission de France. Les retrouvailles familiales sont très limitées, mais bonnes… et nous n’avons pas perdu l’habitude de communiquer numériquement avec nos enfants et notre famille !

Propos recueillis par Didier Lucas

 

25 Mar 2021 | A la une, Témoignages

Print Friendly, PDF & Email

Église Catholique d'Algérie