Minoritaires dans un pays où prédomine la religion musulmane, les chrétiens d’Irak forment une communauté composite aux racines anciennes, remontant à l’apôtre Thomas. Entre catholiques de différents rites, orthodoxes et même protestants, en voici un panorama.
«Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, (…) Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes, tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu» (Ac 2, 9.11). Le récit de la Pentecôte dans les Actes des Apôtres témoigne de l’évangélisation de la Mésopotamie, territoire de l’Irak actuel, dès les temps apostoliques.
Les premiers siècles: une Église missionnaire
Les chrétiens irakiens sont donc les héritiers d’une implantation religieuse très ancienne, bien antérieure à la naissance de l’islam au VIIe siècle. L’Église chaldéenne a été fondée à Babylone par saint Thomas, en route vers l’Inde, et par ses disciples, parmi lesquels Addaï et Mari. Ils évangélisèrent des païens et des juifs exilés. Vers l’an 70 après Jésus-Christ, une église est déjà construite à Séleucie; vers 90, l’Église est établie à Arbèle et Adiabène, au nord de l’actuel Irak, comme le relève Mgr Petrus Yousif, Professeur à l’Institut Catholique de Paris et à l’Institut Pontifical Oriental de Rome. Elle s’appelle alors « Église de l’Orient ». Les communautés grandissent, et au début du IVe siècle se concrétise l’unification hiérarchique, alors même que les persécutions persanes se déchaînent.
En 345, le Patriarche envoie une grande mission au Malabar (en Inde), une région déjà évangélisée par saint Thomas. À partir de 646, commence une véritable épopée missionnaire vers la Chine, puis la Mongolie. L’Église d’Orient parvient jusqu’en Mandchourie, à Sumatra et aux frontières du Japon à l’Est, jusqu’à Chypre à l’Ouest et jusqu’au Yémen au Sud. Aux XIIe et XIIIe siècles, l’Église d’Orient compte plus de 200 diocèses et représente la moitié de la chrétienté en nombre de fidèles et en superficie.
De grandes écoles catéchétiques et théologiques se mettent en place, comme celles d’Édesse, d’Antioche et de Nisibe. D’illustres auteurs contribuent au rayonnement de ces centres de production littéraire et spirituelle, tels que saint Éphrem.
La rupture avec Rome
Mais des schismes ont aussi jalonné l’histoire du christianisme en Irak, dès que le christianisme est devenu religion d’État – statut acquis en Orient dès 380, avec l’arrivée au pouvoir du l’empereur nicéen Théodose. Après les Conciles d’Éphèse (431) et de Chalcédoine (451), des écoles théologiques développant des christologies divergentes ont donné naissance à différentes familles, résume Christian Cannuyer, historien et docteur en égyptologie, enseignant à la Faculté de Théologie de l’Université catholique de Lille. Ultérieurement, les ingérences occidentales ont encore accentué ces divisions. Après la séparation du Concile d’Éphèse, l’Église d’Orient rentre dans le giron de l’ Église catholique en 1553.
Déclin à partir du XIVe siècle
À l’époque de la conquête arabe, au VIIe siècle, les chrétiens constituaient la quasi-totalité de la population du Proche-Orient. Les échanges culturels entre chrétiens et musulmans connurent un âge d’or du IXe au XIIIe siècle, tant en Égypte, qu’en Syrie ou en Mésopotamie. C’est surtout à partir du XIVe siècle que le nombre des chrétiens a commencé à décroître très significativement au Moyen-Orient. Une certaine coercition musulmane a eu sa part dans le phénomène, mais pas seulement, selon Christian Cannuyer. Par ailleurs, la décroissance n’a pas été constante: sous l’Empire ottoman, du XVIe au début du XXe siècle, les communautés chrétiennes du Levant ont même connu un regain démographique.
Aujourd’hui, une mosaïque de Chrétiens
Au début du XXe siècle, la communauté chrétienne représentait 30% de la population mais par la suite, ils ont été nombreux à quitter le pays à cause des persécutions et des guerres. La religion prédominante est aujourd’hui l’Islam, avec 62 % de chiites et 37 % de sunnites, d’après les chiffres de L’Œuvre d’Orient. Les chrétiens représentent moins de 2 % de la population, soit 400 000 personnes selon des estimations rapportées par La Croix. Des minorités yézidies et sabéennes-mandéennes sont également présentes.
Gérard-François Dumont, professeur à l’Université de Paris-Sorbonne, distingue 12 courants au sein du christianisme irakien: l’Église chaldéenne, catholique de rite oriental; l’Église assyrienne d’Orient; l’Église syriaque catholique unie à Rome; l’Église syriaque orthodoxe dite jacobite; l’Église arménienne orthodoxe (dite aussi « apostolique »); l’Église arménienne catholique; l’Église catholique de rite latin; des Églises protestantes; l’Église grecque-orthodoxe (de rite byzantin); l’Église grecque-catholique (ou melkite); les Coptes; les Anglicans.
D’où viennent ces dénominations et que représentent ces différentes Églises dans l’Irak actuel? Voici quelques précisions, issues pour la plupart de L’Œuvre d’Orient.
Les Églises chaldéenne et assyrienne
L’Église chaldéenne est issue de l’Église d’Orient, et devient autonome à partir de 431, en refusant le Concile d’Éphèse. Florissante en Mésopotamie et en Perse, elle évangélise l’Inde et la Chine du IVe au XIIIe siècle. Envoyé à Rome, le moine Jean Simon Soulaka est élu Patriarche en 1551 et reconnu en 1553 comme Patriarche des Chaldéens. Le lien avec Rome de cet Église catholique de rite oriental est alors rétabli. En 1830, le métropolite de Mossoul, Jean Hormizd II est confirmé par le Pape Pie VIII avec le titre de Patriarche de Babylone des Chaldéens. Sous Emmanuel II Thomas (1900-1947), la majorité des Chaldéens non catholiques rallie l’Église catholique. Le Patriarche de Babylone des Chaldéens réside à Bagdad. Son Église compte plus de 1 million de fidèles (Irak, Iran, Syrie, Turquie, Liban, Jordanie et diaspora), dont environ deux tiers des chrétiens d’Irak. L’actuel Patriarche de l’Église chaldéenne, élu le 1er février 2013, est le cardinal Louis Raphaël Sako.
Mais en 1553, l’Église chaldéenne n’était pas parvenue à regrouper tous les anciens fidèles de l’église assyrienne d’Orient. Celle-ci conserve donc son autonomie: c’est l’Église assyrienne (autrefois appelée nestorienne). Elle a deux patriarches et rassemble environ 300 000 fidèles.
Quant à ceux qui décident de suivre le rite latin, ils ont créé de leur côté une petite Église catholique de rite latin. En 2005, 4000 fidèles d’Irak en faisaient partie, soit 0,6% des chrétiens du pays. Mgr Jean-Benjamin Sleiman, religieux carme libanais et formé en France, est depuis 2000 l’archevêque de Bagdad des Latins.
Les Églises syriaque catholique et syriaque orthodoxe
À partir du Concile de Chalcédoine (451), les Grecs d’Antioche adoptent progressivement la christologie de Chalcédoine, alors que les Syriaques d’Antioche adoptent la christologie monophysite, ce qui explique la rupture avec Rome et Constantinople. Au début du VIIIe siècle, les Arabes déferlent sur la Mésopotamie et la Syrie. L’Église syriaque est persécutée par les Byzantins (IXe siècle), les Arabes (Xe siècle), les Mongols (XIIIe siècle) et Tamerlan (XVe siècle).
Fidèles à leur histoire et à leur tradition, les Syriaques n’envisagent d’abord pas de rejoindre une Église catholique unique – donc, celle formée par les Chaldéens. Mais en 1557, le patriarche Ignace Nemetallah se rapproche de Rome. Avec Ignace André Akhidjan, élu patriarche en 1662, l’Église prend le nom d’Église syriaque catholique. L’opposition à l’union persiste toutefois jusqu’en 1783, année du rattachement à Rome. Cette Église, dont le Patriarche réside au Liban, est appelée indifféremment syriaque ou syrienne. Elle regroupe environ 175 000 fidèles, et rassemble environ 9% des chrétiens d’Irak. Depuis le 22 janvier 2009, le Patriarcat, établi au Liban est gouverné par S.B. Ignace Youssef III Younan.
En 1783, une partie des fidèles refuse l’union à Rome: apparaît alors l’Église syriaque jacobite, qui a son siège à Damas. Elle compte 750 000 fidèles, et 10% des chrétiens d’Irak en font partie.
Les Églises arménienne catholique et arménienne orthodoxe
En 491, c’est au tour des Arméniens de s’opposer aux conclusions du concile de Chalcédoine. Ils forment alors une Église chrétienne séparée, appelée également arménienne orthodoxe (ou apostolique). En raison des vicissitudes de l’histoire, et notamment du génocide arménien de 1915, l’exode de populations explique la présence en Irak de deux petites communautés arméniennes, distinguant les orthodoxes et ceux qui sont en communion avec Rome, au sein de l’Église arménienne catholique. Au total, ce sont 20 000 fidèles vivant en Irak.
Enfin, la chrétienté d’Irak a également été influencée par la colonisation britannique, souligne Gérard-François Dumont dans son étude. Cette dernière a laissé en héritage l’existence d’une petite communauté anglicane, comptant environ 200 personnes, et qui vient ajouter à la diversité chrétienne irakienne.