C’est probablement cette quête de « seul avec Lui » qui attire les personnes qui viennent à l’Assekrem, ce lieu mythique en Algérie perché à 2750 mètres d’altitude dans le Hoggar.
Tandis-que Jeff Bezos et ses amis vont dans l’espace durant 10’et dépensent 75 tonnes de CO2 notre petit groupe de quatre personnes s’est embarqué dans cette quête « d’être seul avec Lui ». En période de pandémie, rien n’est sûr jusqu’au dernier moment, des tests négatif au covid sont bienvenus, il ne s’agit pas de porter ce virus aux deux gardiens de ce temple, en effet c’est un temple puisque selon Charles de Foucauld on ne peut que penser à Dieu. Une étape obligatoire lors du passage à Tamanrasset : les petits frères de Jésus et les petites sœurs du Sacré-Coeur( il n’en reste plus qu’une).
Un accueil comme il se doit dans la tradition bédouine, chacun d’eux est un personnage coloré qui a passé et donner sa vie en Algérie de manière exemplaire, qui comme chauffeur de camion, cultivateur ou bien infirmière auprès des nomades. Les connaître mérite le détour.
Mais bon nous ne sommes pas arrivés : il reste 2h30 de piste et il faut emmener des légumes frais pour le séjour, nous nous approvisionnons au marché.
Puis c’est le départ avec nos nombreux bagages, tous masqués, sauf le chauffeur qui avec son chèche est déjà équipé !
Nous quittons la chaleur de Tam avec escorte, pour nous rapprocher de la fraîcheur du plateau de l’Assekrem sur une piste assez bonne, « top bonne » dises certains car la solitude recherchée là-haut est de moins en moins de mise avec les touristes refoulés aux frontières extérieures du pays qui se rabattent sur l’Algérie. « On voulait aller en Europe », « nous c’était au Québec, ce n’est pas possible alors on est venu ici ». Le prix du voyage entre Tamanrasset et l’Assekrem n’est pas donné pour les étrangers mais pour être seul avec Dieu on est prêt à payer le prix, y compris avec l’escorte !
A notre arrivée Ventura et Zbechek nous accueillent à bras ouvert et le port de nos masques les projette dans la réalité d’en bas. C’est un accueil très fraternel avec un bon repas pris dans leur cuisine et puis distribution des ermitages, nous sommes quatre et chacun aura le sien. La pluie avec un orage s’invite à notre après-midi pour la joie de nos deux petits frères car il faut faire des provisions d’eau, ici il pleut durant 2 mois en moyenne 120mm par m² , cette année les réservoirs d’eau sont presque pleins. N’empêche que l’eau est ce qu’il y a de plus précieux, on ne gaspille pas, l’écologie aussi est très présente, on veille à ne rien jeter, pas de traces de plastiques sur le plateau. Le système ingénieux mis en place par les anciens frères pour recueillir l’eau de pluie pour chaque ermitage permet de vivre sur place, mais attention on ne fait pas la vaisselle comme en bas ! La toilette c’est à la façon Touareg, un bol d’eau doit suffire !
Finalement après l’orage, nous voilà chacun chez soi, la petite lampe d’un panneau solaire enlève un peu d’obscurité, le silence nous envahit, le paysage s’offre à nous, c’est notre télé, dans cette solitude seul Dieu parle il faut l’écouter. La nuit tombe vite et les étoiles prennent le relais pour nous garder en contemplation, le vent est aussi très présent et il faut l’aimer sinon on peut devenir fou.
Dans chaque ermitage il y a une chapelle, mais pour certains l’espace est une cathédrale et tout parle de Dieu.
Petite marche matinale de 30 mn pour aller à la messe célébrée dans l’ermitage de Charles de Foucauld, on se retrouve et nous échangeons nos impressions après cette première nuit, les visages sont beaux et rayonnants, le partage nous fait plus « un ».
Zbetchek, d’origine polonaise, a connu les petits frères de Jésus dans sa paroisse durant l’occupation soviétique et il allait les voir en cachette dans leur localité car, à cette époque, ils étaient interdits. Il est sur ce plateau depuis 15 ans. A cause de toutes les difficultés de la vie qui se posent ici, il cherche et trouve de multiples solutions, il a appris la géologie pour mieux connaître cette immensité montagneuse. Il nous parlait des plantes, des fleurs, c’est le désert vu d’en bas pourrait-on dire, il connaît plein de petits recoins secrets et dès que c’est possible il part quelques jours se promener dans cette immensité en autonomie complète, c’est sa façon de se ressourcer.
Ventura, Catalan d’origine, aurait pu terminer sa vie au monastère de Thibhirine alors qu’il était Trappiste en Andalousie, il avait alors bien connu Christian de Chergé, mais les évènements de la vie l’ont porté sur ce plateau où il est présent depuis vingt ans déjà. Vivre ici dans cette simplicité nécessite un grand amour du désert, c’est bien son cas, mais ce sont les sommets qui l’intéressent davantage, c’est un vrai guide dans tous les sens du terme.
Chaque matin nos deux compères nous donnent des conseils pour vivre nos journées, se rencontrer est vraiment très important, la fraternité reste essentielle pour vivre la contemplation. Puis chacun fait l’ermite comme bon lui semble, cela ne nous empêche pas de marcher ensemble : comme nous sommes sur un plateau il faut toujours descendre avant de remonter au retour, à la différence des randonnées dans les Alpes, c’est le contraire bien entendu !
Dans ce silence la réflexion est très vive. Au milieu de rien il n’est pas facile de se connecter à Internet, même si c’est possible. C’est l’occasion de prendre conscience de la place que cet élément a pris dans notre vie. « Jeter vos préoccupations dans la vallée » nous avait dit en arrivant Zbechek, les informations en font partie et la place qu’elles prennent dans nos vies est considérable, c’est presque devenu un bouche-trou pour éviter de partager notre relation intime avec Dieu au milieu de ce brouhaha. « On ne voit clair qu’avec le cœur » dit le Petit Prince, si ces informations nous submergent, c’est que l’on n’y voit plus très clair.
Que dire des couchers de soleil et de ses levers encore plus magnifiques puisque le matin il y a peu de nuages, du silence impressionnant, des nuits étoilées, c’est pure contemplation.
Ici l’impact des petits frères de Jésus est remarquable : c’est un vivant témoignage de l’esprit de Charles de Foucauld d’autant que depuis quelques années les touristes chrétiens ne peuvent pratiquement plus venir en pèlerinage depuis l’étranger.
Malgré une vie cachée, Charles de Foucauld a laissé sa trace dans différents lieux en y construisant trois ermitages, « le frère universel » nous y fait respirer son abandon à Dieu qu’il nous transmet aussi à travers ses témoins qui magnifient ce lieu, mais qui attendent un peu de relève pour ne pas laisser ce site aux « nouveaux touristes ».
Didier Lucas