Notre Église : table ronde ou table à angles ?

Notre société moderne est souvent marquée par la frénésie : le passage d’une réalité à une autre est souvent trop rapide, ce qui nous empêche d’assimiler les choses… Cette situation nous donne l’impression d’être constamment sous pression : tâches à accomplir, réalités à suivre…
Je commence cette réflexion par ce constat, car notre Église vit un chemin synodal commencé en 2021, qui s’est conclu en 2024 avec l’Assemblée synodale. Aujourd’hui il nous est proposé la phase de mise en œuvre du synode, qui, en principe, s’achèvera en 2028. Comment ce synode sur la synodalité est-il en train de nous transformer ? Sommes-nous toujours « branchés » sur ce synode, ou désormais sur d’autres réalités ?
Quand je pense à l’Église synodale, je pense à l’image de la table ronde. Image que nous avons sûrement vue du Synode, autour de laquelle il s’est déroulé.
Une table ronde n’est pas faite pour des places privilégiées ; elle n’a pas d’angles qui isolent : chacun voit tous les participants, tous écoutent celui qui parle… Il n’y a pas de « chef de table » qui donne le ton, mais un cercle qui recueille et met en communication. La forme même invite à la fraternité, au partage, à l’agir ensemble, à la coresponsabilité.
Le pape François nous rappelle : « La synodalité est le chemin que Dieu attend de l’Église du troisième millénaire » (Discours, 17 octobre 2015). Une table ronde, c’est précisément cela : un lieu où personne ne reste invisible, où chaque voix, même la plus faible, trouve écoute.
La table ronde est l’image d’une Église qui chemine ensemble : personne n’est trop loin, personne n’est caché derrière un angle. Ici, les différences ne créent pas de séparation, mais enrichissent le dialogue. Saint Paul a écrit : « Si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui ; si un membre est à l’honneur, tous les membres se réjouissent avec lui » (1 Co 12,26).
C’est autour d’une table ronde qu’une Église de frères et de sœurs se réalise. C’est autour d’une table ronde que le pardon, que le geste de prendre par la main celui qui est plus fragile pour le soutenir, deviennent possibles.
Les Actes des Apôtres nous disent : « Ils rompaient le pain dans les maisons, prenant leur nourriture avec allégresse et simplicité de cœur, louant Dieu et ayant la faveur de tout le peuple » (Ac 2,46-47).
Cette image de la communauté chrétienne des origines, unie autour de la table, accueillante et solidaire, exprime bien, je crois, l’idée de la “table ronde” comme lieu de pardon et de soutien mutuel.
À l’inverse, une table à angles exprime une autre image. Aux côtés longs, certains dominent la conversation ; aux coins, d’autres restent exclus. Il y a des places “stratégiques” et des places “marginales”. Les angles deviennent parfois un symbole de frottement : si l’on n’y prend pas garde, on se heurte ; si l’on ne bouge pas avec délicatesse, on se blesse.
Saint Jean XXIII, ouvrant le Concile Vatican II, invitait à « ne pas regarder aux signes de condamnation, mais aux signes des temps ». Une table à angles est souvent le signe d’une rigidité, d’une fermeture, de hiérarchies qui mettent plus de distance que de proximité.
Combien de fois, dans nos communautés, risquons-nous de nous asseoir à une table à angles ? Lorsque nos réunions sont dominées par quelques-uns, lorsque nous ne nous regardons pas dans les yeux, lorsque ceux qui sont en marge restent en dehors de la conversation, la table perd sa rondeur et devient un lieu où l’on se heurte, où l’on se divise.
Peut-être que le chemin synodal que nous vivons consiste justement à limer les angles pour transformer notre table en un cercle de fraternité. Comme le dit le Psaume : « Qu’il est bon, qu’il est doux pour des frères de vivre ensemble ! » (Ps 133,1). Non pas pour uniformiser tout le monde, mais pour créer un espace où personne n’a peur de s’asseoir et où chacun trouve sa place.
Au bout du compte, la question demeure : dans nos paroisses, dans nos lieux d’insertion, dans notre diocèse, dans nos familles, sur nos lieux de travail… sommes-nous en train de préparer une table ronde ou une table à angles ?

Pour mémoire, voici le calendrier synodal qui nous est proposé :
(1) Juin 2025 – décembre 2026 : parcours de mise en œuvre dans les Églises locales
(2) Premier semestre 2027 : assemblées d’évaluation dans les diocèses
(3) Second semestre 2027 : assemblées d’évaluation dans les conférences épiscopales nationales et internationales
(4) Premier quadrimestre 2028 : assemblées continentales d’évaluation
(5) Octobre 2028 : assemblée ecclésiale au Vatican
Actuellement, nous sommes en train de vivre le premier point de ce calendrier.

Bon chemin synodal et bonne préparation de l’année pastorale 2025-2026 qui est à nos portes.
+ Davide Carraro
Évêque d’Oran

Église Catholique d'Algérie