Médecin des âmes dans un «  hôpital de campagne » au cœur d’Hydra

Fils de médecin français, prêtre incardiné en Algérie, curé de la paroisse d’Hydra au cœur d’Alger : retour sur le parcours atypique du Père Raphaël Aussedat à la veille de sa rentrée en France pour une période, après onze années vécues en Algérie

Le Père Raphaël nous parle de sa paroisse « hôpital de campagne 1». Ce n’est pas Omar, un adepte de la « Tariqa Alawia » qui le contredira puisqu’il vient faire sa sieste trois fois par semaine dans son salon. Il ne sait pas que ce salon a été donné par une Marocaine qui, en quittant l’Algérie, en a fait cadeau au curé de la paroisse qu’elle ne connaissait même pas.

Père Raphaël Aussedat avec un livre de Cheikh Khaled Bentounes

Ici la vie de la communauté catholique présente une grande variété de fidèles qui proviennent de nombreux pays : « Les paroissiens se renouvellent tous les trois ans sur trois lieux de culte : Hydra, la Maison diocésaine et la chapelle de l’Ambassade de France. » Ce sont essentiellement des « expatriés », comme on les appelle, venus en Algérie pour des raisons professionnelles, ce qui n’empêche pas les baptêmes, les communions, la catéchèse et tous les sacrements ordinair  es. « Les moments qui éclairaient mon année étaient Noël et Pâques, les expatriés étaient souvent absents et l’assemblée étaient composée en majorité de musulmans qui voulaient fêter la naissance de Jésus et revivre le bon vieux temps où les liens entre chrétiens et musulmans étaient plus étroits. Les messes à la radio furent aussi des moments très importants de témoignage. »

Rien n’arrête le Père Raphaël : lors de la Veillée Pascale de 2020, en plein confinement, il célèbre la liturgie avec une famille de musulmans de passage, sous le regard étonné des voisins qui, de leur balcon, le regardent allumer le cierge Pascal bénir de l’eau etc…. « Je me suis dit que la résurrection de Jésus avait dû susciter les mêmes réactions :, tout le monde était surpris. » Plus tard il apprendra que les deux enfants de ce couple avaient été baptisés tout petits dans leur pays natal, en Afrique subsaharienne.

L’insertion dans le quartier se fait aussi à travers le projet d’une bibliothèque qui va bientôt ouvrir. Il n’est pas rare de rencontrer le Père Raphaël en salopette au milieu des pinceaux et autres outils de travail. Les voisins s’interrogent sur ce curé un peu original qui blanchit les murs de son église, ce qui lui donne l’occasion de nouveaux contacts.

Il a tissé un grand réseau de relations dans sa paroisse, y compris avec les autres confessions chrétiennes qui n’ont plus de lieu de culte comme les Protestants et les Méthodistes qui viennent chaque semaine, contribuant ainsi à l’œcuménisme.

Cadeau au père Raphaël de la part de la communauté d’Hydra

« Le confinement m’a particulièrement touché, l’Église a été fermée durant 9 mois, cet isolement a été une épreuve pour moi. Dans cette mission très particulière, pour ne pas se décourager il n’y a pas d’autres moyens que s’appuyer sur l’Esprit du Seigneur. »

Sa participation aux colonies de vacances organisées par les sœurs de Mère Teresa sont aussi des moments de lumière : il évoque cette jeune maman voilée, toute heureuse de montrer une photo d’elle toute petite avec lui. Elle continue à mettre ses enfants dans cette colonie.

« Nous sommes sur des lignes de fracture et en même temps il se passe beaucoup de choses, la vie rejaillit de toute façon. » Comme lorsque sa voisine, bloquée en Algérie, originaire du XVI arrondissement de Paris, lui dit : « Je me suis trouvée bien ici, avec cette église devant chez moi, c’était comme si j’étais à Paris. »

Le Père Raphaël a aussi été très proche des prêtres âgés qui résident à la maison Saint Augustin. Les moments de joie n’ont pas manqué avec ces personnes, très bien entourées et accompagnées par des soignants algériens, une expérience unique !

Oratoire de Notre Dame de Lourdes à la paroisse

« La paroisse est dédiée à Notre Dame de Lourdes et j’y vois une grâce, un pont entre musulmans et chrétiens. Un signe fort pour moi : à l’occasion des travaux effectués au Centre des Glycines on a découvert une statue de la Vierge de Lourdes enfouie sous la terre avec, sur sa couronne, l’inscription ‘Je suis lImmaculée Conception’. Elle est sortie de terre après 50 ans et certains musulmans m’ont dit : « c’est une résurrection ! » Maintenant cette vierge se trouve dans un petit oratoire aménagé derrière l’église. La place que les musulmans donnent à Marie est manifeste, en témoignent ces deux petites filles qui passent demander à manger, Père Raphaël va en cuisine pour préparer quelque chose et à son retour il les trouve agenouillées devant la statue.

Père Raphaël, est un des rares prêtres d’Alger à porter le col romain : cela fait jaser certains, êtes-vous traditionaliste comment voyez-vous cela ?

Père Raphaël Aussedat lors de sa dernière messe à la maison diocésaine

« Tout d’abord je n’arrive pas à porter une cravate avec une chemise, du côté des algériens c’est plutôt bien vu, j’ai souvent des remarques positives. Il y a des réactions négatives et je demande pardon si j’ai choqué des personnes, j’espère que le contenu de ce que je dis n’est pas rigoriste. On est formé à cela dans les séminaires et en arrivant ici on arrive un peu dans la jungle, mais bon je ne m’arrête pas à cela, une chose très positive ici c’est que j’ai pu vivre comme prêtre diocésain en Algérie et c’est une grande joie. On me disait toujours qu’il faut s’insérer, s’enfouir, mais je rencontre des algériens qui me disent souvent il faut que l’on vous voie, vous devez occuper le terrain. Comme dit le pape François il faut sortir de nos presbytères, c’est cela le plus important. Nos presbytères qui sont aussi des refuges pour nombre de personnes fatiguées, chrétiennes ou musulmanes, je le constate chaque jour.

Pour moi la liturgie est très importante, elle doit témoigner de la beauté, je ne peux pas faire n’importe quoi.

Je vois bien qu’ici la vie est fatigante, l’Église est en position de fragilité, de faiblesse et c’est dans cette faiblesse que l’on peut agir. Ici j’ai été très heureux de ce que j’ai vécu, je pars aussi pour changer un peu d’air après ces onze années. »

À Perpignan, où il devrait débarquer, de nombreux « pieds-noirs » l’attendent avec grande joie ! C’est la ville natale d’Henri Vergès, l’un des 19 martyrs proclamés Bienheureux : voilà qui relie déjà Perpignan et Hydra.

Didier Lucas

1En référence à une interview du Pape François a ‘Civilta Cattolica’ en 2013

26 Juin 2021 | A la une, Actualités

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Église Catholique d'Algérie