M. Noël Bouttier vient de faire un séjour en Algérie avec ses parents. «Ce voyage familial dit-il, a été réalisé pour que mes parents octogénaires puissent une dernière fois(?), revoir l’Algérie où ils se sont rencontrés au lendemain de l’indépendance».
Ce pays a sur moi une force d’attraction
Atterrir à Orly après des heures de voyage. Prendre le RER puis le métro. Dire aurevoir à mes parents et à mes frère et sœurs. Retrouver avec joie les siens. Offrir les cadeaux. Le soir, prendre un bain salvateur. Ecouter du raï et revivre ces 14 jours de voyage en Algérie (10 jours pour moi). Et me demander pourquoi ce pays très curieux me parle autant, pourquoi j’en reviens chamboulé. Une fois encore.
…L’Algérie est confrontée à des problèmes structurels d’ordre démographique, écologique et social. L’avenir n’est pas écrit… Tout ça, je le savais avant d’y aller et les quelques échanges que j’ai eus ici ou là et mes propres observations n’ont fait que le confirmer. Pour autant, ce pays a sur moi une force d’attraction exceptionnelle. Et cela ne se limite pas à la beauté et la diversité des paysages, comme à Constantine ou Ghardaïa…
Je ne m’explique pas tout. Commençons par un élément que beaucoup d’Européens jugeront négativement, ce que j’appellerai la fierté nationale. Ce pays est porté par un amour du drapeau, de l’unité nationale. Fierté de s’être libéré de la colonisation française, d’avoir su renaître après la décennie noire des années 90, de s’être (définitivement ?) défait de l’hydre islamiste.
Il y a dans ce pays composé de Berbères de régions diverses (Kabyles, Chaouis, Mozabites, Touaregs…), de descendants d’Arabes et d’Ottomans, sans oublier quelques poignées de juifs et d’Européens, un vrai sentiment national. Le Français que je suis ne peut qu’être admiratif de cette capacité du peuple algérien à se respecter et à vivre ensemble. Je ne sous-estime pas les tensions entre communautés, la difficulté des langues tamazight (berbères) à avoir voix au chapitre. Tout cela est vrai, mais indéniablement le sentiment d’unité nationale existe. C’est précieux !
L’autre chose qui frappe et qui interroge le sentiment de supériorité communément partagé par les Européens, c’est la capacité instinctive des Algériens à accueillir les étrangers. Les manifestations de ce sens de l’hospitalité ont été permanents pendant ces deux semaines. C’est la fille d’un couple d’amis de mes parents qui réserve à ses frais un taxi pour nous accompagner pendant une journée lors des visites. Ce sont des centaines d’Algériens qui nous apostrophent dans la rue par un « Vous êtes les bienvenus », « Welcome » ou par un surprenant « Vous êtes chez vous », sans oublier les klaxons et les pouces levés. Ce sont des chauffeurs de taxi qui nous dispensent du prix de la course. C’est encore un Algérois qui nous offre dans une pâtisserie des gâteaux, etc. etc.
Quand je raconte ces anecdotes qui nous ont éblouis, je ne peux que ressentir une honte d’aussi mal accueillir les touristes occidentaux et a fortiori les étrangers des pays pauvres. Quel Français a, dans sa vie, offert un gâteau à un de nos visiteurs ? Qui de nous a consacré plus de 5 mn à orienter un étranger perdu dans nos villes ?
Quand on revient de deux semaines en Algérie, on ne peut que s’interroger sur notre comportement collectif, en se demandant si nous avons gardé notre humanité, concentrés que nous sommes sur des objectifs de rentabilité et de course (vers quoi ?). Le PIB de la France est plus de dix fois supérieur à celui de l’Algérie alors que notre population est simplement supérieure de 50 %. Mais au final, qui est le plus riche ?
Ce genre de propos pourrait être interprété comme un caprice de riche qui va s’offrir un peu d’exotisme et de rêve à pas cher (le coût de la vie est très faible). Non je ne crois pas que ce soit ça : je connais suffisamment l’Algérie pour ne pas être dupe. Je pense simplement que la force des relations humaines qu’on retrouve encore en Algérie malgré le rouleau compresseur de la mondialisation est vraiment un élément de richesse. Et que pour notre part, nous avons abandonné– malgré les efforts de quelques minorités – l’idéal de la fraternité. Les pauvres, les fracassés de la vie et tous les pas-comme-les-autres n’ont qu’à bien s’accrocher. Et la bourrasque (à venir) de l’extrême droite va encore accentuer les fractures de la société.
Voilà quelques réflexions générales que m’inspire ce voyage qui fut d’abord un pèlerinage familial sur les traces de l’histoire d’amour de nos parents. Peut-être une note plus personnelle pour finir. De par mon métier de journaliste, je suis aux prises avec les questions du vieillissement. La situation en France est très périlleuse, pas simplement parce que les solutions de prise en charge seraient inadaptées ou trop chères. Mais parce que notre société isole massivement les vieux, les jugeant inutiles, voire une charge pour la société.
La situation est totalement différente en Algérie où les vieux restent dans les familles. Ce n’est pas toujours simple évidemment, mais les enfants, petits-enfants voire les arrière-petits-enfants, voient leurs aïeux vieillir puis mourir. De ce voyage, j’ai dans ma tête l’image de deux vieux magnifiques (dans des situations très différentes). Le premier, c’est de guide qui nous a fait visiter la palmeraie de Ghardaïa. Petit détail : il a 81 ans. Et je vous assure qu’il a galopé pendant plus d’une heure dans les rues étroites de ce village, sans compter qu’il avait plaisir à cabotiner et à sortir des blagues. En France, un octogénaire aurait-il tout simplement le droit d’organiser ce genre de visite ?
Le deuxième vieux qui m’a ébloui, c’est une vieille de 88 ans. Petit détail : c’est mon ex-belle-mère. Elle ne m’a pas reconnu car, autre détail, elle perd vraiment la tête. La prise en charge 24 heures sur 24 de leur mère est très lourde pour les enfants, mais je sais que c’est une chance pour elle et peut-être pour eux. Elle est au milieu de la vie, ses petits-enfants passent régulièrement la voir. Elle va vers la mort, mais elle est encore dans la vie.
Pendant une grosse matinée, je suis restée avec elle, seul. Par moments, peu habitué à être en compagnie d’une personne désorientée, je craignais de perdre ma patience. Entendre toutes les 3 ou 4 minutes « Tu veux prendre un café » (ou une autre expression) met à rude épreuve notre patience. Mais écouter la douceur de sa voix et une forme de joie de vivre a été une expérience inoubliable. Elle avait gardé, dans ses yeux, la lumière que je lui connaissais voici 30 ans.
Encore une fois, ce sont deux exemples non généralisables. Mais j’ai la faiblesse de penser qu’une société qui permet à ses vieux de rester debout, au milieu des autres est plus solide qu’une autre qui les parque loin des yeux… et des cœurs.
Noël Bouttier