Le Liban est sous les bombes, un pays habitué, pourrait-on dire. L’incertitude est totale, les gens du sud se réfugient où ils peuvent. Accueillir des Chiites n’est pas sans risque en ce moment, mais la légendaire solidarité libanaise est toujours bien présente. Exemple avec la communauté des Focolari sur place.
« Christian, contrairement au Liban qu’on aime, ce Liban qu’on voit aujourd’hui est écœurant, on a toujours envie de pleurer, on a le cœur serré. Pourquoi ? Pourquoi depuis cinquante ans on vit toujours des catastrophes ? Tu vois les banlieues de Beyrouth, le sud du Liban, maintenant partout au Liban, même où je suis maintenant on a toujours peur… La situation à tous les points de vue, surtout humaine, c’est catastrophique. Vraiment on ne sait rien, on ne peut rien savoir, on est dans l’inconnu. On vit l’instant présent avec tant de prières.
Moi, pour la première fois depuis toutes ces guerres, j’ai très peur, (…) je suis inquiète, j’ai peur, je prie. Je ne sais pas quelle décision prendre. Avant, il y avait nos parents qui prenaient les décisions, maintenant c’est moi qui dois les prendre pour moi, pour ma sœur âgée, pour la maison, le travail… Ce n’est pas facile. On prie beaucoup pour que le Bon Dieu nous donne la bonne inspiration, la sagesse et nous aide à savoir comment agir et comment faire… Espérons ! » Hyam, femme courageuse et déterminée, est restée à Beyrouth malgré quatorze jours et quatorze nuits de bombardements meurtriers dans les quartiers voisins du sien, et garde courage par sa foi et sa persévérance.
Qui arrêtera cette folie de la guerre ? Cette question lancinante -et malheureusement sans réponse- nous revient inlassablement. Alors chacun s’active pour venir en aide aux familles forcées de quitter leur logement dans l’urgence sans rien emporter ou presque. Comme en juillet 2006 où l’armée israélienne avait envahi la moitié du pays, notre Centre Mariapolis avait ouvert grand ses portes à 130 réfugiés, bien au-delà de ses capacités d’accueil habituelles.
Aujourd’hui encore avec les derniers évènements, tous les matins, Jihad, éducateur dans le collège Mariste voisin, fermé à cause de l’insécurité, viens nous rejoindre pour se mettre au service de la vingtaine de garçons par des jeux et activités.
« Voilà plusieurs jours que je viens au Centre » confie Jihad. « Je suis très, très content. On fait jouer les jeunes au foot, on discute, on fait aussi des promenades les après-midis. Je commence un peu à les connaître, ils me parlent parfois de leurs problèmes, de ce qu’ils aiment, de leurs études. Je viens ici pour aimer. Je ne me sens pas obligé de venir mais je viens pour aimer : je suis tombé amoureux de ces familles accueillies, et sincèrement, je viens pour les aimer, pour être avec eux, pour donner le meilleur de moi-même. J’ai fait une expérience : on pense parfois que nous on donne, mais on reçoit plus que ce qu’on donne… Je ne suis pas le seul à venir au Centre, beaucoup d’autres amis des Focolari passent au Centre, des voisins aussi nous aident par exemple pour chercher de l’eau, des dames font des ateliers de dessins, de réalisations de bracelets de perles, des psychologues apportent aussi un soutien à qui a besoin. On est en train de les soutenir autant que possible ! »
Parmi les personnes musulmanes accueillies, une longue amitié nous liait déjà avec certaines, comme Zainab : « Depuis mon village du sud-Liban, je connaissais des histoires de ma mère, de mon père et de ma tante avec les chrétiens de leur village, avant qu’ils l’aient quitté. La vie était meilleure avec eux là-bas, et leurs maisons et leurs cœurs étaient ouverts les uns aux autres… Et toutes ces histoires restaient vivantes dans mon cœur et je rêvais qu’un jour ou l’autre, les chrétiens reviendraient. L’une des plus grandes bénédictions de Dieu sur nous est qu’Il nous donne toujours la force de pouvoir nous relever après chaque incident. Nous sommes capables d’oublier et de retrouver notre enthousiasme pour la vie. (…) C’est par hasard que j’ai connu cette maison vers 2003, grâce à mon travail au sein des institutions de l’Imam Chams al-Din. Nous avons pu faire de nombreuses réunions ensemble, chacune d’entre elles nous procurant une charge inhabituelle de joie et de force.
Puis un comité interreligieux a été créé. Jusqu’à ce que la guerre éclate l’été 2006 et que commencent les appels des amis Focolari, notamment Laure et Roger, à quitter notre domicile et venir ici. Lorsque vous êtes obligé de partir, vous vous retrouvez avec une douleur au cœur et une larme aux yeux, vous partez avec la douleur et cette douleur a besoin d’un baume. Et ce baume, nous l’avons trouvé dans cette maison. Une maison pleine d’amour, de fraternité, de douceur et de foi. Dans cette maison, j’ai appris que le monde est meilleur avec vos frères qui, diffèrent de vous par leurs croyances religieuses et peut-être par le lieu où ils se trouvent, mais qui partagent certainement avec vous leurs principes humanitaires et leur nature aimable et pure. (…) De cette façon, Dieu nous a aidés à vivre ensemble ce moment : C’est l’amour et la paix qui ont éteint la haine et le crime qui brûlaient tout. Malheureusement, la guerre est de retour, et cette fois elle est plus violente, plus dure et plus difficile. Mais cette fois, nous savons que nous avons une maison qui nous attend et que nous avons une famille qui est généreuse avec nous. Je ne pourrai peut-être pas vous dire toutes les belles choses que nous vivons ici. Nous connaissons bien les gens des Focolari et nous ne sommes pas surpris de ce qu’ils nous font. Mais en vérité, cette fois, il y a une amitié et une solidarité sans précédent avec nous, aussi de la part des gens du village ici et des villages aux alentours Cela dépasse nos attentes.
« Sais-tu la dernière chose qui nous est arrivée hier matin ? Un vieil homme se présente, après quatre bons kilomètres de marche, les larmes aux yeux et le visage plein d’amour et de sympathie. Il sort de sa poche 400 000 Livres Libanaises (5 euros) et dit que c’est ce tout ce qu’il a pu récolter, car il veut nous aider. Je lui ai dit que pour nous cela veut plus que tous les trésors du monde… et Qasim a acheté du pain pour que tout le monde puisse en manger. Nous ressentons la grâce de notre Dieu en présence de ces personnes bonnes et fidèles. C’est une confirmation des paroles de notre Prophète Mohammad : « L’exemple des croyants dans leur amour mutuel, leur compassion et leur sympathie est comme l’exemple d’un seul corps. Si un membre se plaint, le reste du corps répond par de la fièvre et des nuits blanches. »
Christian Charnay
Focolari au Liban