Les Pères et la synodalité (2)

Le choix des nouveaux évêques

Un domaine important dans lequel s’exerçait spécialement la synodalité au sein de l’Eglise des premiers siècle est celui du choix des évêques. Très documenté, prenons l’exemple de Synésios, qui naquit à Cyrène en 370, sur le territoire de l’actuelle Libye. Après des études philosophiques et scientifiques à Alexandrie, il épouse une chrétienne, union de laquelle naîtront trois enfants qui décèderont tous avant lui. De retour en Libye, Synésios est pressenti pour devenir évêque de Ptolémaïs, près de la ville actuelle de Tolmeita, à 110 km au nord-est de Benghazi. Synésios n’est encore que catéchumène. Le cas est rare mais n’est pas isolé. A la même époque, il en fut de même à Milan pour Ambroise, qui sera même choisi par acclamation.

Dans l’antiquité, l’élection d’un nouvel évêque se fait selon une procédure impliquant tout le peuple de Dieu. Un vote à main levée en présence de tous les fidèles, de tous états de vie (laïcs, moines, prêtres, diacres…) qui choisissent la personne en examinant ses qualités humaines, morales, intellectuelles… Il arrivait que le candidat manque de certaines compétences ecclésiastiques, ce qui était le cas de Synésios, qui opposa cet argument au fait d’être choisi. Trois évêques, également, votent avec le peuple et ont le pouvoir de ne pas avaliser le choix final de l’assemblée. Une sorte de droit de véto, sachant que dans le cas particulier d’Alexandrie, l’élection n’était pleine et entière qu’une fois ratifiée par le patriarche, dont la juridiction s’étendait jusqu’en Cyrénaïque. Le patriarche avait aussi la possibilité de suggérer des noms en amont du processus, sans que cela ne remette en cause la nécessité du discernement et du vote de tous les fidèles. Une fois accomplies chacune de ces étapes, le nouvel évêque était alors consacré, par l’imposition des mains, soit du patriarche lui-même (ce fut le cas de Synésios), soit de trois évêques délégués par lui, le plus souvent ceux qui avaient participé à l’élection. Depuis le IIIe siècle, de façon plus générale, le choix d’un nouvel évêque était ratifié de manière collégiale par les autres évêques de la région, cette collégialité étant manifestée par la présence de trois évêques consécrateurs, comme cela est toujours le cas aujourd’hui. Le cas spécial d’Alexandrie fut précisé par les décisions du concile de Nicée en 325.

La place de l’ensemble du peuple de Dieu dans le choix des évêques est donc centrale dans l’antiquité, selon un principe humain et spirituel avant que d’être canonique. Cyprien de Carthage le résume de la sorte : « Il faut que là où l’on doit ordonner un chef pour le peuple fidèle, les évêques de la province se rassemblent et que l’élection de l’évêque se fasse en présence du peuple, qui connaît la vie et a pu apprécier la conduite de chacun en vivant près de lui » (Lettre 67). Hippolyte, auteur de la Tradition Apostolique, disait au début du IIIe siècle : « Que l’on ordonne évêque celui qui aura été choisi et voulu par le peuple tout entier » (n.2). En Afrique du Nord latine, la procédure prenait une tournure différente de celle qui prévalait à Alexandrie : une fois recueilli le « témoignage » (testimonium) des clercs et l’ « approbation du peuple » (suffragium), les évêques de la province ecclésiastique validaient le discernement en y reconnaissant le choix de Dieu (judicium), et ordonnaient le nouvel évêque par l’imposition des mains de trois d’entre eux.

Aujourd’hui, la nomination des évêques est du seul ressort du pape, suite à une consultation menée par le Nonce apostolique de la région concernée. En octobre 2023, l’assemblée synodale formulait la proposition suivante, qui n’est pas sans rappeler certains aspects de la pratique des premiers siècles : « L’Assemblée appelle à une révision des critères de sélection des candidats à l’épiscopat, en adjoignant à l’autorité du Nonce apostolique la participation de la Conférence épiscopale. Elle demande également de développer la consultation du Peuple de Dieu, en écoutant un plus grand nombre de laïcs, hommes et femmes, de personnes consacrées, en veillant à se prémunir de toute pression inopportune » (Rapport de synthèse, 12 l).

+ Nicolas Lhernould

Église Catholique d'Algérie