Les textes du concile Vatican II ont utilisé 111 fois le mot « communion », en référence essentiellement à l’Eglise. Cette approche s’enracine dans la pensée des premiers siècles. Dans le Nouveau Testament, le mot grec « koinônia » apparaît une vingtaine de fois, avec trois significations complémentaires : « partager » (cf. Ac 2,42-47 ; 2 Co 8,9), « participer » (1 Co 10,16 ; 1 Co 1,9), « faire communauté » (cf. Ac 2,42 ; 1 Jn 1,3.6-7). Le premier parmi les Pères de l’Eglise à insister sur le terme dans son œuvre théologique est Irénée de Lyon (qui vécut environ de l’an 140 à l’an 200), en le traduisant en latin par le double mot de « communication » et de « communion » : en se communiquant à travers l’incarnation du Verbe, Dieu entre en communion avec le genre humain pour que celui-ci retrouve la pleine communion avec Dieu. Après lui, les auteurs latins insisteront sur le fait que l’Eglise doit être le signe de ce mouvement de Dieu vers l’homme et de l’homme vers Dieu, par la qualité de la communion entre ses membres et la communication du mystère de Dieu par son témoignage. C’est parce que Dieu donne sa vie en « partage » que nous pouvons « participer » à son mystère et qu’une unité nouvelle est possible en « faisant communauté » dans l’amour dont il est la source. On retrouve ici les trois sens du mot « koinônia ». Ceci est rendu possible par l’action de l’Esprit Saint, qui réalise la communion des cœurs du fait qu’il est la communion du Père et du Fils : « C’est par ce qui est commun au Père et au Fils qu’ils ont voulu établir la communion avec nous et entre nous, et par ce don ils nous rassemblent dans l’unité ; il s’agit du Saint-Esprit, don de Dieu » (Saint Augustin, Sermon 71,18).
Avant de faire référence à des questions de structures ou d’organisation, la « koinônia ou « communion » qu’est l’Eglise renvoie donc à l’action de la grâce qui la constitue et qui oriente son agir. L’Eglise tire son existence de la communion trinitaire et tend vers cette même communion au nom du genre humain dans son entier. En chemin, il lui faut en être le signe, à travers l’unité qu’elle s’efforce de manifester, dans la diversité de ses membres, par le témoignage rendu à l’Evangile. Structures et organisations n’en seront que la conséquence, au titre de moyens. Un paragraphe du rapport de synthèse du synode sur la synodalité exprime cela d’une très belle manière, comme une invitation à envisager la synodalité dans une perspective d’abord spirituelle, sous l’angle d’une Eglise « koinônia » ou « communion » : « Le renouveau de la communauté chrétienne n’est possible qu’en reconnaissant la primauté de la grâce. Si la profondeur spirituelle fait défaut, la synodalité reste un renouvellement cosmétique. Ce à quoi nous sommes appelés, cependant, ce n’est pas seulement à traduire une expérience spirituelle acquise ailleurs dans des processus communautaires, mais plus profondément à expérimenter comment les relations fraternelles sont le lieu et la forme d’une rencontre authentique avec Dieu. En ce sens, la perspective synodale, tout en s’appuyant sur le riche patrimoine spirituel de la Tradition, contribue à en renouveler les formes : une prière ouverte à la participation, un discernement vécu ensemble, une énergie missionnaire née du partage et rayonnant comme service. (Synode sur la synodalité, Rapport de synthèse, 2, « Rassemblés et envoyés par la Trinité », convergences, alinéa c, octobre 2023).
La pensée des Pères de l’Eglise portait surtout sur la communion interne de l’Eglise envisagée comme Corps. La réflexion synodale de nos Eglises d’Afrique du Nord propose de l’élargir en travaillant davantage les notions de Peuple et de fraternité : « L’Eglise est un Corps. Elle est aussi un Peuple, et ce Peuple dépasse les frontières visibles de ce Corps. Comme le souligne le Concile, il en va de sa catholicité, pas seulement comme une note de fait, mais comme une mission en devenir : ‘A cette unité catholique du Peuple de Dieu qui préfigure et promeut la paix universelle, tous les hommes sont appelés ; à cette unité appartiennent sous diverses formes ou sont ordonnés, et les fidèles catholiques et ceux qui, par ailleurs, ont foi dans le Christ, et finalement tous les hommes sans exception que la grâce de Dieu appelle au salut » (Lumen Gentium 13) ; assertion à relire en lien avec le paragraphe 22 de Gaudium et Spes : « Cela ne vaut pas seulement pour ceux qui croient au Christ, mais bien pour tous les hommes de bonne volonté, dans le cœur desquels, invisiblement, agit la grâce. En effet, puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal ». Les deux notions de « Corps » et de « Peuple » ne sont pas superposables. Nos Eglises nord-africaines sont un laboratoire permettant d’approfondir leur lien à partir d’une expérience vécue. Sans doute est-il urgent aujourd’hui, au bénéfice de l’Eglise entière, d’élargir l’ecclésiologie de communion des Pères des premiers siècles en référence au Corps à une ecclésiologie de la fraternité en référence au Peuple. Sans remplacer la première par la seconde, sans penser l’une et l’autre dans un rapport d’opposition mais de nécessaire complémentarité. […] » (CERNA, Rapport de synthèse, août 2022).
+ Nicolas Lhernould