Le soir d’Algérie, « Notre Dame d’Afrique haut lieu du tourisme Algérois »

Lorsque les mots peinent à décrire la majesté d’un lieu, il ne reste plus qu’à laisser parler la photographie. En ce samedi 13 mars, premier jour des vacances scolaires dans le pays, les flashs crépitent pour immortaliser l’image de la basilique de Notre-Dame-d’Afrique baignant dans une lumière presque irréelle.
Abla Chérif – Alger (Le Soir) – « Elle change de couleur en fonction du passage du temps et des heures de la journée, parfois elle s’assombrit, d’autres fois elle s’illumine, c’est comme l’humeur d’une personne », s’amuse à expliquer une dame âgée à un enfant qui demande à sa maman si l’édifice est recouvert d’or.
Fahima, soixante dix ans bien portés, est une habituée des lieux. Fille de Bologhine, ex-Saint-Eugène ou «Santodji» selon l’appellation locale, elle garde en mémoire toute une partie de l’histoire de la basilique et l’évoque surtout avec grand plaisir. « Encore enfant, je venais ici avec ma mère et ma tante, des voisines nous accompagnaient très souvent. Même dans les familles les plus conservatrices, les hommes n’intervenaient pas, ne nous empêchaient pas d’y aller.
Venir à Notre-Dame-d’Afrique n’a jamais été considéré comme étant un péché ou une faute que l’on commet, elle nous appartient, d’ailleurs dans le coin, beaucoup préfèrent l’appeler Lalla Meriem, mère du prophète Aïssa .»
Elle explique encore : « Même durant les années difficiles que nous avons traversées (terrorisme), nous avons continué à venir ici et personne ne nous en a jamais empêchés, on y rencontrait des femmes venues d’autres quartiers, elles venaient de partout, parfois d’autres régions du pays, pas pour prier, c’est pour la promenade, la beauté du lieu et les vœux .» Elle resserre le foulard qui couvre sa tête puis, d’un geste de la main, balaye l’esplanade où vont et viennent des groupes de personnes. Les cinq ou six bancs sont tous occupés.
Il y a là de jeunes mères avec des enfants en bas âge, elles côtoient des femmes plus âgées, des jeunes, beaucoup de jeunes alignés gardent le regard plongé dans l’incroyable vue qui s’offre à eux et comme les bancs s’avèrent insuffisants, tout le reste des présents se presse sous l’ombre qu’offrent les arbres ou gardent longtemps le torse penché sur la balustrade, fixant le panorama féerique qui s’étale plus bas.
Un silence paradoxal règne sur place. Les enfants s’amusent sans crier, les discussions se déroulent à voix basse. Fahima, qui prend très au sérieux son rôle de guide, explique : « Il y a une règle ici : le silence ! Les gens qui travaillent là tiennent à la quiétude des lieux, ils n’ont même pas besoin d’intervenir lorsqu’un chahut s’élève, les visiteurs ou les gens qui connaissent bien la place s’en chargent, des codes se sont mis en place depuis longtemps en tout respect, en toute harmonie .»
C’est un peu comme si l’obligation de silence faite à l’intérieur de l’édifice trouvait son extension à l’extérieur. Il est 12h passées, l’heure à laquelle la basilique est en principe censée fermer ses portes pour la pause de la mi-journée, mais l’affluence des visiteurs contraint les religieux et les employés à poursuivre leur mission.
La prise de température est obligatoire à l’entrée de la basilique. Une pancarte exigeant le silence s’affiche aussi à l’entrée. Le nombre de visiteurs ne doit pas dépasser les vingt-cinq personnes et il est également désormais interdit de prendre des photos à l’intérieur. Les seuls clichés autorisés doivent être pris du fond, tout à l’arrière des bancs de prière.
Les gardiens des lieux y veillent particulièrement. « Des gens sont venus, ils ont pris des photos de jeunes filles et les ont postées sur Facebook, ce n’est pas bien, la vie privée des personnes est sacrée, donc les photos ne sont plus autorisées », explique-t-on.
« Nous recevons quotidiennement du monde, nous dit-on encore. Il y a entre 120 et 300 personnes qui viennent chaque jour ici, bien sûr cela dépend des périodes, mais le nombre de visiteurs par semaine este estimé à environ 1 200 personnes .»
Enfants et adultes semblent ravis de découvrir la basilique de l’intérieur. Les yeux s’écarquillent devant les mosaïques colorées, s’interrogent face à l’orgue imposant surplombant l’église, fixent les sièges vides où s’assoient les fidèles durant les messes ou les jours de prière et s’attardent devant les innombrables inscriptions rendant grâce après un vœu exaucé.
À droite du chœur, un espace interdit renferme les tombes de Monseigneur Henry Teissier, ancien archevêque d’Alger décédé le 1er décembre 2020, et du cardinal Duval, décédé en 1996.
Les funérailles de ce dernier se sont déroulées en même temps que celles des sept moines de Tibhirine assassinés en 1996. Un ruban sépare les deux tombes de deux supports circulaires où crépitent de nombreuses petites flammes, celle des bougies que des visiteurs allument.
Le moment est solennel, attendu par des enfants trop heureux qui se succèdent pour déposer des bougies qui brillent doublement dans leur petit contenant rubis. « Avant, on faisait des vœux pour la paix, certaines personnes avaient aussi des demandes à faire à Madame l’Afrique (autre nom donné au lieu) comme réussir son mariage, ses études ou assagir un enfant trop turbulent, maintenant on ne sait pas ce qu’il y a dans la tête des gens », chuchote Fahima, en déposant à son tour sa bougie.
Dans la boutique, à l’arrière de l’église, une femme souriante accueille les visiteurs désireux d’emporter avec eux des souvenirs. Des cartes postales de différents formats, des mugs frappés de la photo de la basilique et autres articles font, là aussi, le bonheur des plus jeunes.
Une maman accompagnée de ses deux enfants explique la raison de sa visite aujourd’hui : « Il n’y a pas beaucoup de lieux à visiter, nous avons déjà fait la Casbah, les musées et même les ruines romaines auparavant mais je voulais autre chose, je veux aussi construire leur personnalité et leur apprendre la tolérance, leur expliquer qu’il existe d’autres religions que nous nous devons de respecter, ils font le cours à l’école mais cela reste abstrait, voir ce que c’est qu’une basilique, la visiter et leur expliquer de quoi il s’agit, leur faire toucher du doigt la réalité. De plus, il y a une magnifique vue à partir de l’esplanade .»
Il y est bientôt 13 h, les portes de la basilique ferment, elles ouvriront de nouveau après une courte pause. Les visites, elles, s’achèvent vers 15h. Il y a de plus en plus de monde sur l’esplanade. La silhouette de Fahima disparaît sur le chemin du retour.
Un homme d’un certain âge raconte aux personnes dans l’attente de leur tour de visite que la basilique est classée sur la liste des biens culturels algériens comme monument historique depuis 2012. Des étudiants prennent des notes lorsqu’il évoque les dégâts qui ont affecté l’édifice durant le séisme de 2003. Photos, photos et encore photos des lieux.
Le soleil est à son zénith, le dôme de la basilique brille de mille feux. L’appel du muezzin brise le silence ambiant. À l’ombre d’un arbre, un homme qui vient d’achever la visite des lieux finit ses ablutions et entame la prière du dhor.
Abla Cherif
15/03/2021

16 Mar 2021 | A la une, Société

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