Le père José Maria Cantal Rivas : Un pont entre les cultures et les confessions en Algérie

Algérie, terre d’histoire et de culture, où le Père José Maria Cantal Rivas a laissé une marque indélébile sur le tissu social et religieux. Connu pour son engagement auprès de la communauté, le Père José, un Espagnol de 58 ans, a servi avec compassion et dévouement à la Basilique Notre-Dame d’Afrique, située dans la vibrante capitale, Alger. Sa passion pour le dialogue interreligieux, son amour pour la culture algérienne, et son histoire personnelle riche et inspirante avec la communauté chrétienne et musulmane en Algérie, sont au cœur de cet entretien exclusif pour Africa Inside.

Q1-Père José, vous êtes connu et apprécié des Algériens. Qui est le Père José ?

Un espagnol de 58 ans, né à Grenade (connue pour son palais Al-Hambra, Qsar Al Hamra). Le deuxième de trois enfants. Orphelin de père dès mon enfance nous avons été élevés par une mère exceptionnelle qui, malgré le fait qu’elle avait suivi uniquement l’école primaire nous a inculqué le goût de la lecture et de la culture. J’aime les films d’aventures (mais pas le film d’horreur ou violents !) et la lecture est une passion dans ma famille. Les Makrout et les Griouche (gâteaux traditionnels algériens) sont mon point faible. Je suis optimiste et j’aime rire avec des amis. Je suis un des rares Espagnols qui ne s’intéresse pas à la Liga !

Q2-Pouvez-vous nous décrire votre parcours avant d’assumer le rôle de recteur de la Basilique Notre-Dame ?

Dans mon enfance je voulais être vétérinaire, ensuite acteur de cinéma, ensuite éducateur spécialisé pour les enfants avec handicap, ensuite clown dans un cirque… Pour ne pas vous ennuyer je dirais que l’année du Bac j’ai senti une forte envie de me consacrer à Dieu en Afrique : j’ai alors fait ma formation chez les prêtres qu’on appelle (à cause de leur tenue !) les pères blancs, car je savais qu’ils se dédiaient exclusivement au monde africain. Après une licence en philosophie et une autre en théologie je suis nommé au Burkina Faso où j’ai vécu 5 ans dans une zone rurale très pauvre. En plus des activités liées à l’animation des petites communautés chrétiennes, j’étais particulièrement engagé dans la prévention du SIDA et de ses conséquences. Mais quand ma mère est tombée gravement malade je suis retourné en Espagne pour aider mes frères mariés. Je suis resté avec ma mère pendant 2 ans, jusqu’à son décès. En 2002 je fais une première expérience à Ouargla avant de partir pour deux années d’arabe en Egypte et en 2005 je reviens en Algérie… ici j’ai assumé des fonctions diverses à Oran et Alger qu’il serait peut-être fastidieux de détailler. En mai 2016 j’obtiens un master de l’université espagnole comme coach certifié et, en septembre de la même année, je suis nommé à Notre-Dame d’Afrique dans la capitale algérienne.

3- Quelles étaient vos principales responsabilités en tant que recteur de Notre-Dame ?

La première chose à dire est que, si bien le recteur est très visible et peut donner l’impression qu’il fait tout seul, la vérité est que nous travaillons en équipe : nous étions 3 confrères (de trois pays différents) à nous impliquer dans le bon déroulement de la vie de la basilique. Sans le soutien de mes frères je n’aurais pu rien faire !

En tant que lieu de culte catholique la première responsabilité était d’organiser les prières et cérémonies religieuses (en français, arabe et anglais) de manière simple, belle et priante. Il y aussi tout ce qui concerne la gestion des délégations officielles qui viennent découvrir la basilique ainsi que l’organisation de l’accueil quotidien avec une équipe magnifique de bénévoles : une fois de plus, je dois insister pour dire que sans eux il serait impossible d’accueillir les visiteurs.

L’entretient du bâtiment (petits et grands chantiers) est aussi une responsabilité à assumer et qu’exige beaucoup de temps pour planifier les dépenses, trouver les fonds car nous en recevons aucune aide officielle de personne, programmer les interventions, suivre les chantiers, etc. Mais chaque fois je me disait que c’est pour le bonheur de tous ceux qui trouvent les lieux propres, beaux, entretenus, rénovés… contribuant modestement ainsi à rendre Alger encore plus belle.

C’est toujours en équipe que nous organisions des activités culturelles, dont les concerts sont devenus un rendez-vous attendu. Puisque nous n’avons pas de fonds il nous faut trouver des sponsors qui couvrent tous les frais liés aux prestations des artistes. Nous voulons que les activités culturelles soient gratuites, car la culture ne peut pas être réservée à une élite. Moi, qui n’a aucun talent musical, quand je vois le bonheur sur les visages de ceux qui assistent aux concerts, je suis comblé !

Un dernier volet consister à recevoir les personnes (officiels ou simples citoyens, chrétiens ou pas) qui veulent me rencontrer : pour demander des informations, des documents d’archives, pour faire des confidences, pour demander un conseil… vous imaginez facilement que si je consacre du temps à les recevoir, c’est parce que mes confrères prêtres ou les bénévoles sont en train de travailler pour me permettre d’avoir du temps pour cet accueil. Une fois de plus j’insiste pour dire que le recteur n’est pas grande chose sans son équipe. Qu’ils soient tous ici vivement remerciés !

Q4- Comment avez-vous vu la communauté chrétienne de Notre-Dame évoluer durant votre mandat ?

A mon avis il n’y a pas d’évolution linéaire ni unique car la communauté chrétienne en Algérie est, en fait, très plurielle. Par exemple, les expatriés occidentaux chrétiens n’ont pas les mêmes attentes que, par exemple, les migrants subsahariens chrétiens. Les Algériens chrétiens et les religieuses (les bonnes sœurs, comme on dit) évoluent différemment : les premiers sont dans leur pays mais les autres sont à la merci de l’octroi ou pas des visas d’entrée et des cartes de séjour. Les prisonniers chrétiens (qui ont le droit à recevoir la visite des aumôniers des prisons) ne vivent pas la foi de la même manière que les étudiants étrangers boursiers dans les universités algériennes, etc.

En plus je ne pourrais parler que des quelques catholiques que je connais, les orthodoxes (coptes, russes, ukrainiens, grecs, bulgares…) ou les protestants (dans leurs différentes branches) sont un monde dont j’ignore presque tout.

Mais s’il faut trouver une phrase qui résume ma perception de la situation, après plus de 20 ans ici, je dirais que nous oscillons entre des périodes de grande quiétude suivis des moments d’inquiétude, suivi de moments de paix… et ainsi de suite.

Q5- Quel moment de votre temps à Notre-Dame vous a le plus marqué ?

Je ne vois pas un seul moment… mais une constellation de rencontres très touchantes et qui m’ont marqué. Voici quelques exemples: un groupe de parents dont les enfants étaient partis comme  “harragas” sont venus avec des photos et des échantillons d’ADN pour que je contacte la police de mon pays afin de vérifier si leurs enfants étaient morts ou en prison; un couple âgé qui ne pouvait pas, selon eux, se marier (je en sais pas pourquoi) mais qui sont venus “dans un lieu sacré car ils veulent que Dieu les aide”; un monsieur qui aime sa femme et ne veut pas la renvoyer “uniquement” pour prendre une autre et avoir des enfants; deux dames qui viennent régulièrement parler de leurs souffrances d’enfance; un couple qui vient avec leur enfants “parce que nous voulons qu’ils apprennent la tolérance”; deux migrants qui se sont retrouvé à la basilique et l’un a donné à l’autre, moins chanceux, ses chaussettes car il tremblait de froid; un fonctionnaire du ministère des affaires religieuses qui, en attendant une délégation officielle, nous a aidé à accueillir les visiteurs en leur parlant de l’importance du respect; les gens du quartier qui aiment m’interpeller “ya Youssef”… Bref, une multitude de visages et des situations humaines que Dieu m’a permis de découvrir.

J’espère à mon tour n’avoir blessé ni déçu personne. Si c’est le cas je voudrais demander des excuses.

Q6- Comment Notre-Dame contribue-t-elle au dialogue entre les communautés chrétienne et musulmane en Algérie ?

Avant de répondre je crois qu’il me faut préciser ce que j’entends par “dialogue”. Ce n’est pas faire des discours ou des débats pour arriver à des consensus ! Pour moi “dialogue” signifie que j’apprécie l’autre dans sa différence, que je pense qu’il y a du vrai et du bon chez lui, que je peux en apprendre de lui pour être plus moi-même… Dialoguer c’est être émerveillé des valeurs et de la cohérence, ou du désir de cohérence, que mon interlocuteur tente de mettre en pratique. Le dialogue (comme le dit si bien son origine grecque : dia-logos) présuppose et accepte deux logiques distinctes, deux discours différents, deux explications du monde. Si je pense avoir tout, savoir tout, avoir tout compris… cela devient un monologue !

Après cette longue introduction, dont je vous demande de m’excuser, je dirais, en lien avec votre question, que la basilique Notre-Dame d’Afrique est un des lieux, parmi d’autres, où des personnes concrètes et différentes à la fois peuvent se rencontrer, se découvrir, s’apprécier, se laisser interpeller, se remettre en question, avoir des projets en commun, collaborer… Le dialogue entre croyants, de manière particulière, n’est jamais une imposition : on peut faire le choix de “rester avec les siens”, convaincus que l’autre est moins et n’a rien à m’apprendre. Mais on peut faire aussi le choix, poussé para sa foi, d’aller s’émerveiller du travail de Dieu dans les cœurs de ceux qui ne sont pas comme moi et ne veulent pas être comme moi ! Louer Dieu pour le travail d’amour, de compassion, de droiture qu’Il accompli chez les autres croyants est une manière de reconnaître qu’Il est le Créateur et Seigneur de tous.

Je n’en sais pas si Notre-Dame joue un rôle particulier dans le domaine de la rencontre entre musulmans et chrétiens, mais si c’est le cas c’est uniquement parce que des personnes concrètes font le choix de partager avec les autres ce qu’il y a de plus profond et vrai en eux.

Personnellement j’aime l’inscription sur les murs de la basilique. “N.D. D’Afrique, priez pour nous et pour les Musulmans” : se présenter humblement devant Dieu en portant dans son cœur celui qui n’est pas comme moi. Sans doute, dans le dialogue interreligieux il faut évidemment aussi s’adresser à Dieu !

Q7- Quelle leçon ou quel message retiendrez-vous de votre expérience à Notre-Dame pour les générations futures ?

Les théories (“Nous sommes accueillants”, “notre religion prône la paix”, “nous sommes tous frères”, etc.) ont besoin d’être mises en application quelque part : dans un laboratoire au minimum et à l’échelle mondiale de préférence. Comme dans l’apprentissage des langues : il ne suffit pas de connaître la grammaire, il faut la pratiquer, la parler avec des locuteurs natifs ou avec ceux qui sont en train de l’apprendre aussi ! Si nous voulons un monde fraternel, où la foi puisse avoir sa place avec dignité, il faut bien commencer à faire “les travaux pratiques”. La théorie on la connait : il faut l’appliquer à présent. Peut-être somme nous un petit terrain d’expérimentation et de concrétisation de ce qu’il y a de meilleur en nous pour le bonheur des générations futures qui pourront dire: cela existe, je l’ai vu chez moi!

Q8- Vous avez souvent été vu portant un keffieh. Pourriez-vous partager ce que ce vêtement symbolise pour vous et comment cela reflète votre approche du dialogue interreligieux et interculturel ?

Je n’ai aucun pouvoir et en tant qu’étranger je suis tenu à une obligation de réserve, mais le moins que je peux faire pour la cause palestinienne est de porter ce symbole universel de soutien à son peuple. La dernière guerre à Gaza a été particulièrement dure et à montrer les incohérences de la planète entière… Moi je n’ai pas voulu rester silencieux malgré mes limites: je me suis engagé avec ma conscience à porter dans toutes les occasion publiques et officielles le keffieh, j’ai continué à demander dans les concerts à la basilique une minute de silence pour toutes les victimes du conflit à Gaza même quand “ce n’était plus à la mode”, je n’ai assisté à aucune réception organisée par des pays qui auraient pu freiner ces massacres et ne l’ont pas fait, je en changerais pas mon profil sur les réseaux sociaux tant qu’une amélioration significative et durable ne soit mise en place… j’ai un drapeau palestinien avec moi depuis la première guerre de Gaza et le moins que je peux faire est de montrer mon indignation et ma solidarité.

Q9- Pouvez-vous nous parler de votre nouvelle mission à Adrar et de son importance pour la communauté chrétienne locale ?

Après 8 ans à Notre-Dame, plus 5 autres années à Alger, j’ai dit à mes supérieurs que j’étais disponible pour toute mission et pour aller à n’importe quel endroit… d’Algérie (ça a été ma seule condition !). Je sentais que je risquais de m’embourgeoiser à la capitale, de vivre sur les acquis, sur un réseau d’amis et d’habitudes… j’ai voulu revenir à la disponibilité de mes premières années comme père blanc. Alors j’ai accepté de venir à Adrar (une première nomination à Ouargla, a été changée pour des questions d’organisation interne). C’est une ville magnifique, belle, pittoresque et sans les encombrements de la capitale. Je la découvre peu à peu grâce à mon inséparable scooter !

La communauté catholique est minuscule : nous sommes 4 chrétiens sur l’étendue de la wilaya, ou du moins nous n’en connaissons pas d’autres ! Mais que nous soyons 4 ou 400 la prière doit être célébrée chaque jour. La première mission ici est de remettre en état la maison (qui aussi un lieu de culte) car elle fut construite en terre en 1944 et le temps a accompli son œuvre d’usure ! Beaucoup de petites réparations sont nécessaires : cela prend beaucoup de temps et d’Energie. J’ai aussi l’agrément du Ministère de la Justice pour visiter les prisonniers chrétiens dans la maison d’arrêt de la ville, où j’y vais chaque semaine. Des petites activités de soutien à la population locale et des accompagnements (coaching) via les réseaux sociaux prennent aussi une partie de mon temps. Sans parler du beau jardin à entretenir.

Je pense, comme je disais plus haut, que dans le monde il y a urgence de trouver de lieux où sont mis en pratique les idéaux de paix, de fraternité et de confiance : à Adrar nous essayons de le faire avec tous ceux qui, comme nous, sont convaincus que “même en dehors de la capitale” il est possible de vivre de belles expériences et de tisser des liens profonds et sincères. Comme croyants nous le faisons ici… avec tous ceux qui nous accueillent.

Q10- Un commentaire sur la nomination du cardinal et ce que cela représente pour l’Église catholique en Algérie ainsi que pour le pays en général.

Nous sommes arrivés en Algérie la même année, Jean Paul Vesco et moi. Excusez-moi de ne pas l’appeler par son titre officiel, tellement il est un homme accessible et fraternel ! Comme chez tous ceux qui le connaissent, au moment de sa nomination comme cardinal, il y a eu un sentiment de joie très grande. Un peu de fierté aussi de pouvoir dire : “je le connais, nous avons travaillé ensemble !”. C’est un homme de grande valeur intellectuelle et aussi très honnête : il est incapable de dire le plus petit mensonge, même pour se tirer d’affaire. Sa personnalité et l’attachement à ses convictions lui ont valu, y compris au sein de notre Eglise Catholique, quelques désagréments ! Mais il garde toujours le sourire et continue à faire la vaisselle et à pratiquer la course. C’est quelqu’un qui aime sincèrement l’Algérie, son pays d’adoption par choix. Je sais que, pour beaucoup de personnes, les religieux présents en Algérie nous sommes une sorte de “force infiltrée” pour saper le pays. En général ceux qui nous connaissent ne pensent pas ainsi. Voilà pourquoi je vous invite à découvrir la personnalité de cet homme qui montre au monde entier que l’Algérie peut surprendre par sa capacité à intégrer la diversité en son sein. A titre d’exemple il était parmi les très rares personnalités non musulmanes à avoir été invité à l’inauguration de la Grande Mosquée d’Alger.

Q11- Un dernier mot ou un message à passer

Je suis heureux en Algérie, grâce à tant de personnes qui m’ont accepté et aimé ! Je ne trouve pas les mots pour dire merci : Dieu les récompensera ! Je rêve de recevoir, sans trop tarder, une réponse positive à ma demande de naturalisation, présentée il y a plus de 13 ans…  Ce jour-là je vais acheter tous les Makruts et Gazouzes du pays pour partager ma joie avec tout le monde !

Nawal AIT AHMED
Église Catholique d'Algérie