La première expérience pascale est celle d’un manque

En ce mois de mars, nos frères et sœurs musulmans commencent le Ramadan, et nous terminons le chemin du carême. Le dernier jour du mois, ce sera déjà Pâques. En guise de « billet de l’évêque », plutôt « parole d’un bienheureux » de notre terre d’Algérie, voici un extrait de l’homélie prononcée par Christian de Chergé lors de la vigile pascale 1995, un an avant sa mort. Joyeuses Pâques à tous !

+ Nicolas Lhernould

Evêque de Constantine et Hippone

« Dans le Christ ressuscité, tout est à nous, sur la terre comme au ciel. En lui le Père à TOUT donné… et nous voici prêts à TOUT prendre ! Pourtant, cette Pâque est aussi un exode. On nous l’a rappelé : pour gagner la Terre Promise, il avait bien fallu accepter de laisser derrière soi les ‘oignons de l’Egypte’. ‘Je t’ai fait goûter la pauvreté’, dit Dieu. Cette Pâque est aussi un chemin d’Abraham : à la pauvreté du père prêt à sacrifier à Dieu son unique vient se substituer une pauvreté plus grande, et plus riche de réalité. Cet unique lui est rendu, mais il se dérobe. Désormais, il appartient à Dieu qui l’a reçu ; il est fils de Dieu. Dans la Pâque de Jésus, tout se dérobe : un grand vide ! Même les signes de notre pauvre attachement que nous destinions à ce mort gisent là, inutiles, dépourvus de sens : inutiles les aromates d’un grand prix ! Inutiles les linges qui enveloppaient le gisant ! Inutile aussi ce tombeau neuf et à jamais inutilisable ! Le mort lui-même a disparu ! Et inutile de le chercher. Nous sommes dépouillés de sa dépouille… PAUVRETE de la foi quand elle bute sur l’évidence : ‘Il n’est plus ici !’ Peur, perplexité… Pauvreté, encore, du témoignage quand il ne sert à rien : personne pour donner crédit à ce que disent les femmes. Pauvreté de la mémoire, celle de Pierre et des autres : ils ont tout oublié. Et pauvre intelligence qui n’a rien compris. La première expérience pascale est celle d’un manque. Il nous aura fallu vivre en Eglise quelque chose de ce manque dans le passage à vide du samedi saint, cette perte de signes, de repères de la foi. Plus de présence réelle, plus de sacrement, plus d’icônes ou de croix. Même le Livre suspend son sens… Reste l’espérance qui est aussi expérience radicale de pauvreté : on accepte de ne pas voir devant, et on se retient de retourner en arrière. C’est alors que se donne à goûter la pauvreté qui est le Royaume. Il fallait ce dépaysement pour laisser vraiment place au Ressuscité. Nous allons avoir tendance à nous agripper à lui, dans la joie de le posséder à nouveau. Mais non, il ne sera plus comme avant. Il nous échappe… […] PAQUES, c’est la grande célébration du sens caché des choses de Dieu. La création tout entière s’éveille à la vie de Dieu qui couvait en son sein. Dans cet immense enfantement qui commence, il lui faut abandonner tout ce qu’elle a pour découvrir enfin ce qu’elle est. En se laissant façonner comme à nouveau, à l’ombre de l’Esprit Saint, mieux encore qu’aux jours de sa genèse. »

C. de CHERGE, « Homélie pour la Vigile Pascale (Lc 24,1-12) – Fès, 15 avril 1995 », in L’autre que nous attendons – Homélies de Père Christian de Chergé (1970-1996), Les cahiers de Tibhirine, 2, Aiguebelle 2006, pp.459-460.

 

Église Catholique d'Algérie