La figure de l’évêque dans les premiers siècles

Le 11 février 2022, le diocèse d’Alger accueillera son nouvel archevêque, en la personne de Mgr Jean-Paul Vesco. Une occasion de revenir aux origines de la fonction épiscopale, et à son évolution à l’époque de nos Pères dans la foi, au cours des premiers siècles de l’Eglise.

Dans le Nouveau Testament, le terme episkopos est utilisé cinq fois seulement, en référence au Christ lui-même (cf. 1 P 2,25), et à des chrétiens chargés d’un ministère de vigilance (cf. Ac 20,28 ; Ph 1,1 ; 1 Tm 3,2 ; Tt 1,7). Responsables d’une Eglise locale, les « épiscopes » se distinguent des « apôtres », des « prophètes » et des « docteurs », dont le ministère est itinérant, également des « diacres », qui comptent parmi leurs collaborateurs directs. Paul présente les « épiscopes » comme des personnes en charge de « présider » (1 Th 5,12) et de conduire la communauté en qualité de « bergers » (cf. Ep 4,11). Dans les lettres pastorales (les épîtres à Timothée et la lettre à Tite), les épiscopes se voient confier le ministère d’enseignement, initialement dévolu aux prophètes et aux docteurs.

Corinthe

L’ancienne ville de Corinthe

Dans les trois premiers siècles, la fonction épiscopale connaît une première évolution : dans les communautés judéo-chrétiennes primitives des Ier-IIe siècles, des « presbytres » assument les mêmes fonctions que les épiscopes, les uns étant peu distincts des autres (cf. Ac 20,17.28). Ils sont toujours mentionnés au pluriel. Les textes de la Didachè et de la première lettre de Clément, qui reflètent respectivement les contextes de Rome et de Corinthe à la charnière entre le Ier et le IIe siècles, présentent la fonction épiscopale comme exercée collégialement. Ce n’est qu’avec Ignace d’Antioche, qui vécut en Syrie dans la première partie du IIe siècle, qu’apparaît clairement le monoépiscopat, les prêtres et les diacres étant subordonnés à l’évêque. L’unicité de l’évêque et la territorialité de sa compétence sont conçus comme signes et garanties de la catholicité de l’Eglise : « Là où est l’évêque, là est l’Eglise catholique », écrit Ignace d’Antioche dans sa lettre aux chrétiens de Smyrne (8,2). « Monoépiscopat » ne veut pas dire néanmoins épiscopat « monarchique » : l’évêque doit être élu avec le concours de son Eglise, reçu par celle-ci ainsi que par ses confrères pour pouvoir conserver sa charge. L’élection est nécessaire, mais ne suffit pas : il faut l’imposition des mains de tous les évêques de la région (au minimum trois, à partir du concile de Nicée, en 325). Comme en témoigne Cyprien de Carthage au IIIe siècle, l’évêque traite les affaires avec ses confrères, le collège des prêtres de son diocèse, et aussi avec son peuple (cf. Lettre 14,4 ; 34,4). L’Eglise antique savait allier au quotidien monoépiscopat et synodalité.

Au IVe et au Ve siècles, des différences s’affirment entre l’Orient et l’Occident : en Afrique du Nord, les évêchés sont de petite taille, parfois seulement une ville moyenne. L’Egypte et la Gaule, au contraire, ne connaissent longtemps qu’un seul siège épiscopal, les prêtres étant responsables pastoraux des communautés locales plus éloignées, ancêtres des paroisses. Une hiérarchie apparaît petit à petit. Des « métropolitains » (aujourd’hui, les archevêques) sont établis dans les grandes villes avec notamment pour fonction de présider les conciles régionaux. Le concile œcuménique de Nicée stipule aussi (cf. canons 4 et 6) qu’aucune ordination épiscopale dans la région placée sous son autorité ne sera plus valide sans le consentement du métropolitain, disposition qui n’existe plus aujourd’hui. C’est l’empereur Justinien Ier (527-565), en Orient, qui imposera le célibat aux évêques, recrutés parmi les moines ou les hommes veufs, ce qui est toujours le cas dans les Eglises orientales. En Occident, le célibat du clergé dans son ensemble fut érigé comme règle au concile du Latran, en 1139, mais la première prescription connue en ce sens remonte au concile d’Elvire, au début du IIIe siècle, confirmée par le troisième canon du concile de Nicée (325). La participation du peuple à l’élection des évêques survit seulement de nos jours à Chypre et à Antioche, les empereurs byzantins puis les tsars de Russie l’ayant éliminée ailleurs.

La notion de succession apostolique est centrale et structurante : les épîtres pastorales du Nouveau Testament attestent dès les années 80 que les différents ministères de l’Eglise trouvent leur point d’ancrage dans celui des apôtres. Clément, dans sa première lettre aux Corinthiens, datant de la fin du Ier siècle, affirme que les épiscopes ont été institués par les apôtres en personne (cf. 44,2). Très tôt, des listes de succession épiscopale remontant aux apôtres sont établies et diffusées, depuis la première connue, établie par Hégésippe de Jérusalem aux alentours de l’an 150, comme témoins et garanties de l’apostolicité de l’Eglise et de la validité de tous ses ministères. Optat de Milev, dans sa lutte contre le donatisme au IVe siècle, présentera théologiquement la succession apostolique comme l’un des traits fondateurs de la catholicité de l’Eglise, et avec Augustin, au Ve siècle, à la suite du texte du credo mûri entre les conciles de Nicée (325) et de Constantinople (381), la doctrine de la succession apostolique deviendra de fait définitive.

L’Eglise des premiers siècles, dans sa conception de l’épiscopat, est à même d’inspirer la réflexion synodale que nous menons aujourd’hui. Elle illustre en effet, dans la majorité des cas, une manière d’être Eglise où épiscopat et peuple de Dieu marchent et grandissent en complémentarité, sans les deux excès opposés d’une situation dans laquelle le pouvoir de l’évêque est vu comme absolu, et une autre où l’autorité est rattachée au seul peuple.. L’évêque n’est pas représentant du « haut personnel dirigeant de l’Eglise » (selon le mot du grand théologien Karl Rahner) mais institué au service de l’Evangile, de l’eucharistie, du peuple de Dieu. Selon l’approche du concile Vatican II, la « charge confiée aux pasteurs » (Lumen Gentium 24) invite ces derniers à « se faire serviteurs » (Id., 27), en exerçant le triple ministère de la parole, « la première charge des évêques » (cf. Id., 23), des sacrements et du pastorat, en communion avec le pape et le collège épiscopal dans son ensemble ; en marche aussi avec un peuple, duquel ils émanent et au service duquel il sont institués et envoyés.

SOURCE : D’après H. LEGRAND, « Evêque », in J.-Y. LACOSTE (Ed.), Dictionnaire critique de théologie, PUF, 1998, 440-442.

 

+ Nicolas Lhernould

Église Catholique d'Algérie