Cristina, Silvia et Pascale, les sœurs de la communauté des disciples de l’Evangile implantée à Alger, ont accepté de répondre à trois questions que nous leur avons posées. Voilà leur témoignage.
par Marie France Grangaud
- Comment est née la communauté des Disciples de l’Evangile ?
Les origines de notre histoire remontent au temps d’après Concile Vatican II, lorsque l’Eglise traversait un élan de renouveau et d’ouverture au monde contemporain. Dans le même temps, la vie religieuse, stimulée par les perspectives du Concile, était, elle aussi, invitée à un renouveau et encouragée à repenser sa mission.
Dans ce contexte ecclésial fervent, huit sœurs, qui faisaient alors partie d’un institut italien né au XIXème siècle, ont essayé, sans résultats, de demander un renouveau interne. Avec beaucoup de souffrance, elles sont arrivées au choix de quitter cet Institut, afin de pouvoir vivre une vie religieuse plus authentique, à l’écoute de l’Évangile et dans le partage fraternel.
C’était le 22 août 1973, il y a cinquante ans. Grâce au soutien et à l’échange avec des médiations ecclésiales, les premières sœurs ont commencé une vie commune dans des petites fraternités au nord de l’Italie, vivant de leur travail et participant à la vie des paroisses. Le 20 janvier 1975 elles reçoivent une première reconnaissance officielle par l’Evêque de Trévise.
Les premiers temps sont des moments de recherche : quelle orientation se donner ? Comment façonner la vie religieuse de leur communauté ? Quelle spiritualité assumer ? Aucune d’entre-elles n’avait d’intuition charismatique particulière, mais ensembles elles voulaient écouter l’Esprit et comprendre progressivement quel chemin prendre. Au cours de ces années, elles se sont laissées interroger par les événements qui se produisaient autour d’elles, elles se sont laissées toucher par les situations de certaines personnes pauvres qu’elles rencontraient, elles se sont ouvertes à des expériences d’accueil qui peu à peu sont devenues des traits caractéristiques de leur vie. Certaines jeunes filles ont commencé également à rejoindre le premier groupe, attirées par cette vie.
Un jour, on leur a posé cette question : « Pourquoi ne pas penser à Charles de Foucauld pour votre spiritualité ? En fait, vous vivez déjà quelque chose de son style… ». Depuis des années, elles allaient à Spello (centre Italie) pour participer à des semaines de prière, de contemplation et de travail manuel, dans le style de vie de Nazareth, sous la conduite des Petits Frères de l’Évangile. Cependant, elles ne savaient pas qu’ils s’inspiraient à frère Charles. Peu à peu, en approfondissant sa connaissance, en étudiant ses écrits, elles se sont retrouvées sur certains aspects de la spiritualité de Charles de Foucauld, et elles ont orienté leur charisme : la prière quotidienne, l’accueil des sœurs et frères nécessiteux dans de petites fraternités, l’attention portée à la vie spirituelle, un style de partage avec tous. Le travail quotidien, vécu autant que possible selon les capacités de chacune, est un autre lieu important de partage et de témoignage.
Petit à petit, d’autres jeunes sont arrivées avec le désir de vivre la même vie. En 2000, nous avons été reconnues comme Institut Religieux de droit diocésain, et en 2007, à Tamanrasset, en Algérie, nous avons rejoint l’Association Famille Spirituelle Charles de Foucauld, qui rassemble une vingtaine de groupes de religieuses, de religieux, de prêtres et de laïcs.
Jusqu’alors, nous étions seulement en Italie. Mais, au contact de l’expérience missionnaire du groupe Charles de Foucauld, sollicitées aussi par certains membres de cette famille, nous avons commencé à nous interroger, ressentant un appel à une ouverture plus large et universelle. Dès 2011, nous avons ouvert une première fraternité à l’étranger, à Viviers, en France, puis progressivement d’autres missions : Marseille, Tirana (Albanie) et en 2021 en Algérie, à Alger.
Aujourd’hui nous sommes 50 sœurs reparties dans treize fraternités.
- Comment vivez-vous en communauté ?
Notre vie est simple, une vie de famille, faite de partage et de soutien mutuel, d’engagements dans la vie quotidienne, d’amitié avec nos voisins et avec ceux qui veulent nous rencontrer et connaitre. C’est pour nous le Nazareth, la vie cachée et humble que Jesus a vécu avec Marie et Joseph pendant trente ans.
Dans nos journées la prière a une place importante : une prière personnelle et en commun (liturgie des heures, adoration silencieuse, Eucharistie), dans laquelle nous relisons nos journées et ses évènements. La recherche de Dieu surgit en effet dans l’écoute des évènements de la vie : à travers les rencontres, les faits, ou bien en contemplant la beauté d’un paysage, d’une situation. Contempler c’est aussi chercher et trouver Dieu dans la vie de chacun, de chacune, dans ses dons, ses désirs de bien, ses efforts, et se réjouir ensemble de cette découverte.
Accueillir et être accueillies… deux expériences humaines qui génèrent la rencontre entre personnes différentes et construisent amitié, confiance et paix… Nous tenons à ce que nos maisons soient des lieux ouverts à tous ceux qui souhaitent y entrer, à ceux qui ont besoin d’un accueil d’urgence, sans distinction, sans formalité. En même temps, nous sommes heureuses si quelqu’un nous invite chez lui, nous accueille, s’il souhaite partager avec nous quelque chose de lui-même et de sa famille.
Enfin, pour nous il est important de témoigner de l’amour de Dieu à travers nos vie données et de le retrouver aussi dans la vie des gens qui nous entourent. Nous croyons en la valeur du quotidien, à l’importance des petites choses qui constituent la vie ordinaire de tous : les joies, les peines, les désirs, les souffrances, les efforts. Dans cette vie et dans le bien accompli par chaque créature, nous découvrons Dieu, sa bonté et sa miséricorde.
- Comment vivez-vous cette vocation en Algérie ?
Nous sommes arrivés ici à la suite d’un « dialogue » né au sein de la famille foucaldienne.
Notre présence ici s’inscrit donc dans la continuité de celle des petits frères et petites sœurs qui sont ici depuis longtemps et ont conservé la spiritualité foucaldienne dans ce pays. Dans cette grande famille, chaque réalité a sa spécificité. Nous venons d’arriver ici et nous sommes contentes de pouvoir nous insérer dans un chemin déjà bien tracé.
Être ici nous engage à être des femmes de prière au milieu d’autres hommes et femmes croyants : en portant dans notre prière ce que nous vivons, dans la fidélité et le silence de notre relation avec Dieu ; en contemplant le mystère de la différence religieuse qui enrichit, interroge, et ouvre à l’accueil de l’autre comme une personne aimée de Dieu ; en reconnaissant dans les visages et dans les histoires des personnes que nous rencontrons, l’esprit de Dieu et de sa miséricorde.
Ici nous faisons l’expérience de l’accueil attentif, solidaire de nos voisins et de la communauté ecclésiale. Nous comprenons aussi que dans cet accueil mutuel, il est nécessaire d’écouter l’autre avec attention, respect, bienveillance et discrétion. Ici les relations se construisent patiemment dans le temps et cela nous demande la disponibilité de nous remettre en question, de concrétiser les intentions, de ne pas s’arrêter aux premières impressions, de préserver la vraie liberté de l’autre… Ce n’est pas toujours facile…mais tout cela nous travaille intérieurement et nous fait découvrir la richesse et complexité de la rencontre.
Nous souhaitons partager la vie avec les gens d’ici, avec ce que nous sommes, dans la simplicité et dans ce que la vie quotidienne nous réserve au sein de notre quartier ou dans les lieux de service. En même temps nous désirons être témoins de la bonté de Dieu qui nous appelle au don gratuit… Nous ne faisons pas de grandes choses, nous essayons d’être des sœurs pour les autres, en valorisant l’humanité de chacun et l’aspiration à une vie pleine, vraie et heureuse. C’est ainsi que nous essayons de vivre, concrètement, la fraternité universelle.