La canonisation du Frère Charles de Foucauld vecue à El Meniâa-Eglise Saint Joseph

Dimanche 15 mai le Frère Charles de Foucauld et neuf compagnons de lumière ont été déclarés “saints” par le pape François à Rome. Au même moment à l’église Saint Joseph d’El Meniâa, au cœur de l’oasis, une trentaine de chrétiens venus des différents coins de l’Algérie ont célébré la joie de l’Eglise tout entière, et ils ont remercié Dieu d’avoir donné au monde, en la personne de Charles, un exemple et un frère, un ami et un saint. Son corps repose à El Meniâa depuis 1929, lorsque les Pères Blancs, l’y amenèrent de Tamanrasset où il avait  été enterré le1 er décembre 1916. Nous publions quelques passages de l’homélie de Monseigneur Nicolas Lhernould Evêque de Constantine et Hippone qui a présidé la sainte Messe en action de grâce pour ce nouveau saint.

« Quil est grand, quil est beau, ce mystère de lEglise, dautant plus incarnée quelle est universelle, dautant plus universelle quelle vit lincarnation en chacun de ces lieux elle est envoyée par celui qui choisitet qui “nous établitafin que nous allions, que nous nous portions du fruit et que ce fruit demeure (cf. Jn 15,16) ! En chacun de ces lieux, notamment les plus humbles, comme ceux où le Frère Charles avait choisi de vivre, non pas pour fuir le monde, mais pour y rencontrer ceux qui sont les plus loin. Dans le  Coeur  de  Jésus,  quil  choisit  pour  emblème,  toute  rencontre  vraie  de visage à visage, toute Visitation est rencontre de Dieu avec lâme du monde et rencontre du monde avec le Coeur de Dieu. Où quelle soit, où quelle vive, où qu’elle soit envoyée, l’Eglise est la servante de cette même rencontre, de la marche de Dieu vers les peuples du monde, de l’offrande du monde à la tendresse de Dieu.  Aujourd’hui, nous ne célébrons pas la performance de vie d’un homme exceptionnel, mais la foi d’un pécheur qui fut conscient de l’être, qui a cru que la grâce donnait toute sa mesure au coeur de la faiblesse (cf. 2 Co 12,9). Si Frère Charles passe aujourd’hui d’un peuple de bienheureux très souvent anonymes, à l’immense cortège de ceux et celles que l’Eglise nous donne en exemples pour nous encourager à croire en cette même grâce, ce n’est pas pour nourrir le goût des premières places, mais bien pour illustrer ce que l’Apôtre dit aux chrétiens de Corinthe : “Ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre les forts” (1 Co 1,27). (…) Comment devient-on saint ? En essayant d’aimer comme Jésus nous aime ; en mourant à soi-même autant que nécessaire pour laisser à l’amour toute la place en nous ; en désirant enfin, au-delà du constat de ne pas y arriver, pouvoir dire avec Paul : “Je vis, mais ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi” (Ga 2,20). (…) 

“Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; s’il meurt, il porte beaucoup de fruit” (Jn 12,24). Frère Ventura, de l’Assekrem, me disait il y a quelques jours que ce verset de l’Evangile fut le plus commenté de tous par Charles de Foucauld : “Il ne faut pas oublier que les ouvriers de l’Evangile font parfois plus de bien après leur mort que pendant leur vie, et que le bien qu’ils font est exactement à la mesure de leur sainteté”, écrivait- il à son beau-frère Raymond de Blic ; lui qui avait en même temps conscience d’en être tellement loin : “Je ne suis pas mort comme le grain de blé, aussi je reste seul. Priez pour ma conversion, afin que, mourant, je porte du fruit”, disait-il à Suzanne Perret, laquelle, jusqu’à sa mort en 1911, offrit les souffrances de sa maladie pour soutenir l’œuvre de Frère Charles. La racine de la sainteté n’est pas dans le mérite, quelle qu’en soit la valeur, mais dans l’humilité que donne d’éprouver la distance entre ce que l’on sait conduire à joie véritable et l’incapacité à suivre ce chemin. C’est dans cette brèche-là,  assumée  tous  les  jours  dans  le  clair-obscur  d’une  vie  de recherche,  de  prière,  de  rencontres,  de  joies  simples  et  de  larmes,  de vertiges  douloureux  et  d’apaisantes  lumières,  que  la  sagesse  de  Dieu purifie et transforme : “Seigneur, tu as pitié de tous les hommes, parce que tu  peux  tout.  Tu  fermes  les  yeux  sur  leurs  péchés  pour  qu’ils  se convertissent”  (Sg  11,23).  Oui,  Seigneur,  toi  qui,  des  pierres,  peut  faire surgir des enfants à Abraham (cf. Jn 3,8), toi à qui rien n’est impossible (cf. Lc 1,37), tu as fait jaillir dans l’existence de Frère Charles un torrent “sur les hauteurs dénudées” (cf. Is 41,18) d’une vie écartelée, aussi brillante fût-elle et pleine de qualités, entre la gloire du monde et le vide intérieur. Et c’est ce jaillissement,  ce  passage  de  la  mort  à  la  vie,  que  tu  nous  donnes aujourd’hui d’accueillir en exemple, dans la foule de tous ceux qui ont cru à ta grâce et qui ont voulu vivre l’Evangile jusqu’au bout ! Le désert a fleuri, et quelle fécondité : quelques 15000  personnes,  douze  instituts  religieux,  deux  instituts  séculiers,  six associations publiques ou privées de fidèles, vivent aujourd’hui la joie de l’Evangile en marchant sur les pistes que Frère Charles a ouvertes ; sans compter la multitude des hommes et des femmes qui, à titre personnel, s’abreuvent à la source de sa spiritualité. De son vivant, Charles ne vit rien de cela. Il connut même l’épreuve d’un grand découragement. (…)

L’année 1907, Charles connaît une période difficile, semblable à ce désert que traversa Jacob : la sécheresse provoque la famine au Hoggar, il est malade  et  seul,  sans  disciple  avec  lui.  Il  ne  peut  même  pas  célébrer l’eucharistie, les règles de l’Eglise exigeant à l’époque qu’une personne au moins soit là en plus du prêtre. En novembre, il écrit à l’Abbé Huvelin, son fidèle accompagnateur depuis 1886 : “Plus de 21 ans que vous m’avez rendu à Jésus et que vous êtes mon père ; près de 18 ans que je suis entré au couvent ; dans la 50e année de mon âge : quelle moisson je devrais avoir et pour moi et pour les autres ! Et au lieu de cela, moi la misère, le dénuement, et aux autres pas le moindre bien… C’est au fruit qu’on connaît les arbres et ceci montre ce que je suis”. Amaigri, affaibli, il est sauvé par les Touaregs qui se privent d’un rare lait de chèvre pour lui redonner force. Ce geste le bouleverse. Il vit une deuxième conversion. Dès lors, touché au cœur, il ne cherchera plus à convertir mais seulement à aimer. C’est en 1909 qu’il écrit dans son journal intime : “Mon apostolat doit être l’apostolat de la bonté. En me voyant, on doit se dire : ‘Puisque cet homme est si bon, sa religion doit être bonne’ […] Je voudrais être assez bon pour qu’on dise : ‘Si tel est le serviteur, comment donc est le maître ?’ “.

Les évêques du Nord de l’Afrique, dans leur lettre pastorale “Serviteurs de l’Espérance”  publiée  le  1er  décembre  2014,  en  la  fête  de  Charles  de Foucauld, inspirés par son expérience, nous rappelaient ceci : “Le chemin de la rencontre est notre chemin missionnaire […] Un chemin de consentement au projet de l’incarnation […] Ainsi l’évangélisation n’est en rien prosélytisme. Elle est chemin d’incarnation jusqu’au bout, quoi qu’il en coûte. C’est la joie et la grâce de nos Eglises de le découvrir jour après jour et de pouvoir en témoigner : la mission est un chemin d’humanisation qui conduit à la rencontre avec Dieu (n. 4.2). »

+ Nicolas Lhernould Evêque de Constantine et Hippone 

Église Catholique d'Algérie