Je n’habite pas en Algérie. J’y vis !

D’un pays à un autre, de ville en ville, vivre sa religion à côté d’une autre, aller d’un service à un autre, faire avec chacun à tout moment ont été les atouts d’intégration de Mme Marie MENAR. Elle devient ainsi une femme, une épouse, une mère, une voisine de référence. Avec un demi-siècle de présence en Algérie, elle est une partie de la bibliothèque vivante de l’Eglise d’Algérie.

Interview de Marie Menar

R.S. :Que pouvons-nous savoir de vous ? Sur vos origines, votre famille ?

Marie M. : Je m’appelle Marie MENAR. Je viens d’Annecy, en France. Je suis née en 1949, le 2 février, jour de la Présentation de Jésus au Temple, quatrième de sept enfants. Mes parents se sont rencontrés grâce à la J.O.C. (Jeunesse Ouvrière Chrétienne). J’ai eu une éducation catholique pratiquante, engagée et j’ai fréquenté une école catholique dans une commune ouvrière. Chef scoute, membre de la chorale, j’ai enseigné le catéchisme, organisé des kermesses, des camps, des crèches de Noël avec des thèmes. Mon mari s’appelle Tahar. Il est originaire de Souk-Ahras. A l’époque c’était un événement d’épouser un étranger. J’ai été couverte de cadeaux de la part de mon entourage familial et des membres de la chorale. Mon fils aîné est né le 27 décembre 1970, le jour de la Sainte Famille. Nous avons trois enfants, deux garçons et une fille.

R.S. : Comment êtes-vous arrivée en Algérie et depuis quand ?

Marie M. : Mon mari faisait ses études d’ingénieur en électricité à Paris. Il a effectué un stage de deux mois à Annecy en 1970, et on s’y est rencontrés. Je suis arrivée en Algérie le 12 décembre 1970, jour de la Sainte Jeanne-Françoise de Chantal, très vénérée à Annecy. Nous nous sommes mariés en 1971. Nous étions jeunes, fous, amoureux. On a galéré au début comme Joseph et Marie, sans logis à Alger. On a toujours trouvé des gens pour nous aider.

R.S. :Que pensait ton entourage de ton m ariage ?

Marie M. :Je connaissais déjà des Algériens qui travaillaient autour de nous, ma mère les accueillait souvent, leur offrant du café quand il faisait froid. Quand ils rentraient en Algérie, au retour ils nous apportaient des dattes, etc. J’ai suivi mon mari sans préjugés. Ma famille n’a pas eu le temps de connaître mon mari avant mon mariage, ils nous ont fait confiance.

Tous mes enfants sont musulmans comme mon mari. Le Cardinal Duval était le cousin de mon curé d’Annecy. Il nous a reçus chez lui, il est même venu me voir à la maternité à la naissance de mon premier fils. Il m’a écrit aussi une lettre que j’ai toujours.

R.S. : Quels sont les activités qui ont été les vôtres jusqu’à aujourd’hui en Algérie ?

Marie M. :Mon mari était directeur à la SONELGAZ. D’Alger, on a été mutés à Constantine, puis Skikda, ensuite à Bejaïa et pour finir à Annaba. A Skikda, je donnais des cours de maths à domicile. J’ai remplacé la directrice d’une école de sœurs, avant que ces écoles soient nationalisées. Je fréquentais la paroisse de Skikda, on jouait à la belote. Mon mari et moi avons des prêtres comme meilleurs amis. Nous les recevons souvent pour manger. Nous avons toujours eu beaucoup d’amis partout où nous sommes passés. Mon mari a toujours été chouette. On a tissé des liens avec des coopérants qui perdurent ; on se retrouvait à Paris, en Espagne. On s’amusait bien.

R.S. : Quelle est le sceau de l’Algérie dans votre vie ? 

Marie M. : Cinquante et un ans, c’est toute une vie ! Je suis bien intégrée, je connais les traditions. On est différents, je les écoute, je fais comme eux, j’ai fait les efforts nécessaires, j’ai appris à manger sur la « maïda », vivant les cérémonies de circoncision de mes enfants. J’ai accepté d’être parfois envahie. J’ai fait les mariages de mes enfants avec tout ce que demandait la tradition. Bien intégrée dans la famille de mon mari, je ne suis pas à part penda

SKIKDA                       photo de  Djamel RAMDANI de Pixabay

nt le Ramadan, l’Aïd, etc. Certains me taquinent en disant que je ferais bien une députée, car j’ai évolué dans plusieurs services, créant des relations partout.

Mes différentes activités m’ont façonnée et ont été une opportunité d’ouverture, d’assurance. A Annaba, avant d’avoir un poste fixe au Consulat, j’ai effectué des remplacements comme aide maternelle, surveillante d’internat, agent-chef au lycée. Lingère secouriste, pendant un an, j’ai coupé et cousu des blouses. J’ai tenu une librairie comme gérante. J’ai travaillé chez mon fils quand il a ouvert son atelier d’art en ferronnerie. Je suis membre de l’association « In Memoriam » d’abord secrétaire et présentement la présidente pour sauvegarder la mémoire des cimetières juifs et chrétiens. En 2017 j’ai eu la charge de la petite bibliothèque paroissiale. L’Eglise a toujours été ma colonne vertébrale.

R.S. : Quelles sont vos relations avec la population ? Parlez-vous l’arabe ?

Marie M. : Les gens sont sympas. J’ai souvent eu des cadeaux de Noël de mes voisins. Mes relations sont bonnes avec mon entourage, ma belle famille. Mes parents m’ont appris que c’est moi qui devrait m’inculturer. Je l’ai appris, rien ne s’est fait facilement. J’ai pris des cours d’arabe, je me débrouille pour des conversations faciles. J’ai fait l’islamologie à distance, assurée par le Centre diocésain des Glycines pendant deux ans. Pendant le Ramadan j’arrivais à tout préparer à l’heure malgré le service. Je marche à pied, je salue en passant. Les gens me parlent en français. Je parle l’arabe du cœur.

R.S. :Qu’est-ce qui vous plaît en Algérie,  L’expérience vaut-elle la peine ?

Marie M. : Je suis allée de mes racines avec saint François de Sales à saint Augustin. L’expérience de l’Algérie en vaut la peine. Ce qui me plaît, c’est la rencontre plus facile qu’ailleurs. Individuellement, il y a une chaleur humaine. Quand je prends le taxi, je discute avec le chauffeur, c’est la rencontre au quotidien. Je suis toujours subjuguée, fascinée par le paysage, le ciel d’Algérie. Je n’ai pas d’a priori sur l’Algérie.

R.S. : Qu’est-ce qui vous manquerait si vous quittiez l’Algérie et qu’est-ce qui vous pèse?

Marie M. : Je ne pourrais pas quitter l’Algérie, il y a trop de gens qui m’ont fait confiance. C’est difficile de quitter après un demi-siècle. L’enlèvement et la mort des moines de Tibhirine a été terrible. Ca me manque de ne pas connaître Tibhirine. Il y a beaucoup d’endroits que je n’ai pas visités.

R.S. : Que pensez-vous de l’Eglise catholique d’Algérie ? Quels sont les moments marquants de la vie de l’Eglise dont vous avez été témoin où actrice ?

Marie M. : Au synode de 1993, au Bon Pasteur, j’avais représenté les épouses chrétiennes d’Algériens. Ce synode a été un moment très fort, très marquant. A l’époque j’avais évoqué déjà le terme « périphérie », trouvant que les prêtres étaient froids envers les épouses des musulmans. Certaines se sont converties à l‘islam. C’est après le départ des sœurs que nous avons pris en main certaines activités qui semblaient être la chasse gardée des prêtres et des sœurs. L’Eglise d’Algérie est plus extra-muros qu’intra-muros, c’est-à-dire elle est dans les rencontres de tous les jours. L’Eglise d’Algérie est chouette, très originale. Les laïcs ont plus de place maintenant qu’avant. Elle a de multiples visages. L’assemblée interdiocésaine en 2004 a été très bien organisée. J’étais déléguée et ça correspondait à un besoin pour moi de connaître la vie des autres diocèses. La session diocésaine sur l’ « Apocalypse » au Bon Pasteur a été une semaine avant les attentats du « World Trade Center » aux Etats-Unis ; ça m’a semblé prémonitoire après coup. On a vécu et aimé des moments de ferveur, les quelques rares ordinations sacerdotales ou l’installation d’évêques. L’arrivée de Mgr Nicolas est un chamboulement, il nous bouscule et nous met au travail.

R.S. : Qu’attendez-vous de l’Algérie et que peut-elle attendre de vous en retour ?

Marie M. : L’Algérie d’aujourd’hui m’effraie, trop de rapport à l’argent. Les gens veulent maintenant la facilité. Nous avons eu une jeunesse plus riche loin des Smartphones. Ça me manque, les concerts de musique classique, l’aspect culturel d’une vie. Je prie les moines de Tibhirine pour l’Algérie.

Par Sr Rosalie SANON, SAB

Église Catholique d'Algérie