Interview de Stanley Lubungo, supérieur général des Pères Blancs

Stanley Lubungo, supérieur général des Pères Blancs, est en visite en Algérie pour quelques jours souriant, disponible il s’est prêté en toute simplicité à notre échange

Qui est Stanley Lubungo ?

Stanley Lubungo est né en 1967 à Ndola en Zambie, trois ans après l’accès à l’indépendance de son pays. Ce pays assez grand (1,4 fois la France) est alors très peu peuplé : 4 millions d’habitants ; aujourd’hui il compte 21 millions d’habitants. Ndola, deuxième ville du pays est située dans une zone riche la Copperbelt, la zone minière. Dans cette région, on parle le bemba, une des 7 langes nationales du pays (la langue officielle étant l’anglais) et c’est dans cette langue qu’il commence ses études primaires, avant de poursuivre en secondaire.

Sa vocation

Sa famille est chrétienne, comme 85 à 90% des Zambiens, catholique comme environ 40% de la population. La famille va à l’église le dimanche, puis se réunit en semaine, en petite communautés de base d’une dizaine de familles, pour échanger sur l’évangile entendu à l’église et pour se demander comment le mettre en pratique. A la sortie de ces rencontres, ils se fixent des devoirs : visite de malades, de personnes en prison, actions de solidarité en direction des familles endeuillées … Pour Stanley c’était cela être chrétien. Il participe à la chorale, entre dans des mouvements de jeunesse. A l’école secondaire il est très charismatique et cherche à partager ses expériences avec ses amis. En particulier quand il découvre la pastorale des jeunes, où il s’initie à la prière personnelle, il y amène ses amis. Alors, une des sœurs du couvent où se déroule cette pastorale l’invite à une journée diocésaine des vocations. Un prêtre lui remet des dépliants présentant les congrégations présentes dans le pays. Sur celui des Pères Blancs il est écrit « eux vont là où Jésus n’est pas encore connu ». C’est ainsi qu’il choisit de devenir Père Blanc.

Son parcours

Il débute sa formation en Tanzanie où le séminaire des Pères Blancs regroupe les étudiants de cinq pays ; après trois ans d’études il fait son noviciat en Suisse : il s’agit d’une année spirituelle pour se poser des questions sur ce que l’on veut. Il part ensuite deux ans au Congo pour un temps d’expérience pastorale dans le monde rural, et y apprend la langue. Ses études de théologie, il les fera à Toulouse, puis repart au Congo comme missionnaire. Il ira encore à Rome préparer une spécialisation en théologie et à Dublin pour une formation psycho-spirituelle destinée acquérir une aptitude pour accompagner de jeunes prêtres en formation. Pendant sept ans, il enseigne la théologie en Côte d’ivoire, à l’Institut catholique missionnaire, qui regroupe plusieurs congrégations. Revenu en France, il entame un doctorat à l’Institut catholique de Paris portant sur « l’engagement chrétien dans la transformation des sociétés », dans l’esprit du thème du synode africain « au service de la réconciliation, de la justice et de la paix » auquel il a participé en 2009.

Il est élu supérieur général des Pères Blancs en 2016.

Quel est le but de votre visite en Algérie ?

Je suis venu rendre visite aux différentes communautés de Pères Blancs présentes en Algérie. J’ai d’abord été accueilli à Alger, à la maison provinciale, je me suis rendu ensuite à Ouargla, puis Ghardaïa, Adrar, puis retour à Alger dans la communauté de la Basilique, et je dois enfin me rendre à Tizi Ouzou. C’est la première fois que je viens en Algérie si on excepte une visite très rapide en 2018, lors de la béatification. J’ai été très heureux de traverser le désert, c’est impressionnant.

Cette visite m’a permis de prendre conscience que c’est un défi de vivre dans un pays où il n’y a pas de communauté chrétienne. Pourtant, et c’est ce qui m’encourage, ces pères sont heureux. A célébrer la messe avec quelques personnes on découvre la réalité de l’Eglise

Avec les algériens musulmans, il y a des liens d’amitié, souvent depuis longtemps, des liens de respect aussi. J’ai pu rencontrer quelques-uns des amis des pères, je me suis senti accueilli.

Quand ils ont été créés en Algérie en 1868 les Pères Blancs venaient tous d’Europe ; aujourd’hui la grande majorité de ceux qui sont en Algérie viennent d’Afrique subsaharienne. Que vous inspire cette situation ?

Notre fondateur avait compris que l’Afrique ne sera évangélisée que quand les africains eux-mêmes seront missionnaires. Aujourd’hui, c’est à partir de l’âme africaine, de ses interrogations, que les africains accueillent la bonne nouvelle, ils se l’approprient en tant qu’africains.

De plus, nous, en étant envoyés dans un pays qui n’est pas le nôtre, nous offrons un service différent. Quelque chose se joue dans l’interculturalité. Pour donner un exemple personnel, quand j’étais au Congo, le fait que je sois d’un autre pays, que nous vivions à quatre, de nationalités différentes, en communauté malgré nos différences, cela faisait témoignage. Dans une Afrique déchirée par des guerres inter-ethniques, où même certaines communautés refusaient d’avoir un prêtre d’une autre tribu que la leur, nous les Pères Blancs qui venions d’ailleurs et vivions en bonne entente nous portions le témoignage que nous formons une seule humanité en Christ.

En Zambie nous avons beaucoup de prêtres, là où il n’y en a pas suffisamment, au Soudan du sud par exemple, ou ailleurs où il y a des besoins, nous pouvons aider. On a besoin d’une Eglise qui part.

Quel est pour vous le message que nos bienheureux Pierre Claverie et ses compagnons dont les 4 Pères Blancs de Tizi-Ouzou : Charles Deckers et Alain Dieulangard, Christian Chessel, et Jean Chevillard peuvent porter à l’Eglise universelle ?

Ils ont tout simplement aimé l’Algérie et son peuple auxquels ils se sont donnés. C’est si simple et j’ai mis 25 ans à le comprendre. Lors de l’assassinat des Pères Blancs j’étais étudiant à Toulouse. Pour moi ces morts c’était du gâchis. Je n’ai pas compris. J’avais de la haine pour les assassins… Mais quand je suis venu pour la béatification, que j’ai vu à Tizi Ouzou l’accueil des algériens, mon regard a changé. Je ne regarde plus le mal mais l’amour donné. Mon chemin de guérison a été d’épouser le regard de ces bienheureux.

Les martyrs sont témoins de l’amour chrétien et c’est ça l’Eglise : se donner par amour.

Aujourd’hui encore, dans des zones de conflit, la question de rester ou partir se pose. Et le choix de ces martyrs m’interpelle.

A travers vos visites, vous avez fait connaissance avec notre petite Eglise d’Algérie, quel message voudriez-vous lui adresser ?

Pour moi j’admire cette Eglise dans le sens où je sens que c’est là qu’il faut être. Il faut être ici dans le monde musulman. Le message du Christ a besoin ici de témoins.

Comme le dit le Pape, il faut sortir de nos zones de confort ; on y vit intensément sa foi

Propos recueillis par Marie-France Grangaud

Église Catholique d'Algérie