père Gérard de Belair (suite III)

   Pour en revenir au curé et agronome P. Gérard : Douze ans (12) ans comme agronome dans l’agriculture à Annaba, 20 ans comme enseignant à l’Université et toujours en recherche et dans la contemplation de la nature, enseignez nous, apprenez nous quelques choses de la nature en ces moments où l’on parle de plus en plus de sauver l’environnement. Le vert lui tient à cœur comme les défenseurs de l’environnement : les Verts et comme la couleur de la chlorophylle des végétaux.

La coloration de la nature

R.S. : Merci de nous instruire au moins sur quelques bienfaits des plantes sur l’humeur ou la santé de l’homme.

P.G. de BELAIR : Cette question, comme les suivantes, nécessiterait des développements plus sérieux. Je me limiterai donc à l’essentiel…

L’Algérie est très riche en plantes médicinales. Cependant, ce n’est pas ma spécialité. Je me contenterai de quelques plantes les plus connues. La plus connue est l’Armoise blanche (Artemisia, herba-alba), très répandue dans la steppe des Hautes Plaines, nommée « Chih » : soins des voies respiratoires, des maux de tête, des difficultés de digestion, etc. ; le Romarin également (Rosmarinus officinali, « Klil »), digestif, soins du foie, etc, utilisé en cuisine ; la Sauge (Salvia), tous les Thyms, Sariettes et autres ; l’artichaut cultivé ou sauvage (très efficace pour , le Marrube (tout ce qui relève des voies respiratoires), les Calaminthes parfumées : l’une d’elles est appelée dans la montagne : (taï arab : le thé arabe). Elles appartiennent à la belle série des cadeaux offerts par la nature avec un énorme avantage : ne pas être à l’origine, sauf mauvais usage, d’effets secondaires.

Il reste que, sauvages ou cultivées, les plantes sont indispensables à l’homme pour sa nourriture. Mais, sans respect de l’environnement et coopération avec lui, déjà apparaissent des phénomènes, aggravés par l’action directe de l’homme : famines, atteignant plusieurs peuples d’Afrique, inondations, ouragans, etc.

Par contre, je réagis souvent face à cet aspect uniquement utilitaire. Réflexion souvent entendue à propos des plantes : « A quoi çà sert ? » Ma réponse : « A rien ! » Elles sont là d’abord pour être admirées. J’attire l’attention sur leur esthétique, leur beauté. Les enfants y sont particulièrement sensibles, surtout lorsqu’ils peuvent contempler ces petites merveilles avec une loupe (comme le disait, un soir (chaîne 3, 25-11-2020), l’écrivain Le Clézio, « ce que nous avons vécu lors de l’enfance nous a définitivement marqués »). Ce n’est pas par hasard que Jésus a toujours mis en avant les enfants, contrairement à ses contemporains. Ainsi, les Orchidées ne sont pas comestibles, mais ont un charme particulier en raison de leur forme, de leurs dessins, de l’harmonie de leurs couleurs. Comment ne pas être sensible également à l’élégance des Fougères ou à la majesté d’un vieux Chêne-liège de l’Edough ou d’un Cèdre du djebel Chélia ? etc. ?

Il est essentiel surtout de souligner que les plantes, depuis le discret petit Thym jusqu’à l’immense Séquoia, en passant par tous les arbres de nos forêts (Chênes, Hêtre, Cèdre, Frêne, Sapin), les Algues et toute la faune qui les accompagne joue un rôle fondamental dans l’équilibre de notre planète. « Le réchauffement climatique » est bien du à l’action de l’homme, malgré ce qu’en pensent les climatosceptiques, qui se recrutent au plus haut niveau des « élites » politiques et, pire, religieuses. L’érosion de la biodiversité, la régression des forêts, les pollutions de tous ordres (nappes phréatiques, fleuves, lacs, mers et océans mettent en péril tous les écosystèmes (les scientifiques parlent d’une 6° extinction des espèces, la dernière datant de 65 millions d’années : l’extinction des Dinosaures). Il est nécessaire de savoir que chaque élément, même le plus discret (comme les champignons ou encore la teneur de l’atmosphère en différents gaz), de la faune et de la flore joue un rôle dans l’équilibre de chaque écosystème… Ce serait à développer…

Ajoutons que l’avènement de la COVID-19 a mis en évidence ce constat d’autant plus alarmant, qu’il émane du GIEC  (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, regroupant 3 467 scientifiques du monde entier) : « Les conclusions de l’atelier organisé en juin dernier par le GIEC de la biodiversité sur les liens entre dégradation de la nature et pandémies sont inquiétantes. Révélées ce jeudi 29 octobre, elles montrent que les futures pandémies seront plus fréquentes, se propageront plus rapidement, impacteront davantage l’économie mondiale et feront plus de victimes que l’actuelle pandémie de Covid-19 (L’IPBES, Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques, 29-10-2020 ) ».

R.S. : Les bestioles disparaissent également. Quel est le rôle des papillons par exemple sur les plantes de façon générale ?

P.G. de BELAIR : Ils y puisent leur nourriture comme le pollen (« vitamines, oligoéléments, acides aminés : 30 à 55 % de glucides. 25 à 30 % de protéines. 1 % à 20 % de lipides », internet : nutri naturel ) et ils jouent un rôle essentiel dans la pollinisation. Ils sont en voie de disparition partout dans le monde. Comme pour les plantes, plus que leur rôle, c’est sur leur esthétique que nous devons nous arrêter : richesse de leur dessin, de leur couleur, légèreté de leur vol… (cf. les clichés joints)

R.S. : Quel est le rôle des abeilles sur la nature en plus du miel ?

P.G. de BELAIR : Il faut ajouter la « gelée royale » fabriquée par les abeilles ouvrières, qui « stimule le système immunitaire et permet de lutter contre la fatigue, l’épuisement et même contre l’état dépressif » (internet : Doctissimo). Le plus important consiste dans leur rôle fondamental : la pollinisation. Aux abeilles domestiques se joignent les abeilles sauvages. Près de 80% des plantes sont pollinisées par ces hyménoptères, y compris nombre de plantes comestibles et d’arbres fruitiers. Leur disparition progressive en raison des insecticides et autres pesticides oblige certains arboriculteurs à transférer des essaims d’abeilles par camions, p. ex. aux USA. Si les abeilles disparaissent, l’humanité est en péril… « Si l’abeille disparaissait de la surface du globe, l’homme n’aurait que quatre années à vivre » disait Albert Einstein. (TPE sur l’environnement).

Il existe d’autres pollinisateurs : oiseaux, autres insectes (dont près de 80% sont en voie de disparition au niveau mondial) et même petits mammifères. « Selon l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature, avec laquelle j’ai collaboré), en 2015 : 23 250 espèces de plantes et d’animaux sont menacées d’extinction. Un chiffre sans doute sous-estimé : moins de 3 % des 1.9 millions d’espèces ont été évalués pour la Liste Rouge UICN ».

Le nombre d’espèces de papillons est en régression, au même titre que les autres espèces, animales ou végétales. « Une estimation vraisemblable admet que le rythme d’extinction a été d’une espèce par an au cours des temps. Actuellement 100 espèces, peut-être 1.000, disparaissent chaque jour à cause de l’Homme » (Ehrlich & Ehrlich, 1981, cités par Dajoz, 2006).

R.S. : Comment pourrons-nous vivre en ce sens aujourd’hui du « Laudato-si » ?

P.G. de BELAIR : Cette encyclique du Pape François est fondamentale. Elle devrait servir de charte au niveau mondial. Du reste, François ne s’est pas adressé seulement aux membres de notre Eglise, mais à toute l’humanité. Le déclin de la biodiversité a des conséquences très graves sur les plus pauvres de la planète.

A l’appui de l’importance de l’intervention du Pape, cette interview (Bruno Latour , sociologue, philosophe et anthropologue: «Nous devons savoir à quoi nous tenons», 08-02-2020) :

« Ce qui me préoccupe surtout, c’est pourquoi ce mécanisme de reprise s’est arrêté depuis le XVIIe siècle. Il a été remplacé par la question: est-ce que c’est fidèle à ce qui a été dit ? Mais être fidèle à ce qui a été dit ne suffit pas, il faut que cela « reprenne ». Aujourd’hui, Laudato si’ me paraît l’occasion de cette reprise. Pas parce que cette encyclique s’occupe de « trucs verts », mais parce que cela renouvelle l’ensemble des questions et surtout celle de l’incarnation, qui est quand même le centre du dispositif chrétien. Je suis convaincu que Laudato si’ est une occasion formidable de renouveler toutes les questions religieuses et pas simplement d’étendre les questions religieuses à l’écologie ».

Il ajoute : « Pour moi, il est temps de se débarrasser de la question de la croyance et d’en poser une autre : c’est quoi l’incarnation ? Où est-ce que vous vous incarnez et avec qui ? Là-dessus, le christianisme a des choses à dire. Quand ma grande sœur allait prier au milieu des Indiens Tapirapé dans l’Amazonie des années 1950, c’est évident qu’elle allait sur terre. Il n’y avait absolument rien qui était de l’ordre de l’évasion. C’était au contraire une incroyable incarnation ». – Il ouvre son intervention par cette parole d’espérance : « Nous pouvons encore sauver la Planète ».

« L’humanité possède encore la capacité de collaborer pour construire notre maison commune » (§ 13) – Insistance répétée de François sur l’attention aux pauvres (celles et ceux qui souffrent de diverses carences, réaffirmée avec force lors de son « cri » pour l’Amazonie), notamment les peuples oubliés, comme les Indiens d’Amazonie, les autochtones des Philippines, les Aborigènes d’Australie, les Pygmées du Congo, etc.

– « L’intime relation entre les pauvres et la fragilité de la planète ; la conviction que tout est lié dans le monde » (§ 16).

– Importance des écosystèmes : forêts, lacs, mers, océans et de leurs habitants, faune et flore. Il nous coûte de reconnaître que le fonctionnement des écosystèmes naturels est exemplaire (§ 22)

– Une terre grise vs Beauté (cette dernière fondamentale pour le grand Académicien, François Cheng, lui aussi passionné de St François).

Mais en regardant le monde, nous remarquons que ce niveau d’intervention humaine, fréquemment au service des finances et du consumérisme, fait que la terre où nous vivons devient en réalité moins riche et moins belle, toujours plus limitée et plus grise, tandis qu’en même temps le développement de la technologie et des offres de consommation continue de progresser sans limite. Il semble ainsi que nous prétendions substituer à une beauté, irremplaçable et irrécupérable, une autre créée par nous (§ 34).

Et cette lecture doit être poursuivie, méditée de bout en bout, étant donné le poids, la densité de la réflexion de François sur l’avenir de « Notre maison commune ».

Elle est une invitation à modifier notre manière de penser, nos analyses de la situation mondiale, souvent trop superficielle, et donc notre manière d’agir à la fois face à notre environnement et aux personnes de notre voisinage immédiat ou plus lointain. François ouvre un avenir à inventer, à modifier pour que la planète redevienne « Notre Maison », où tous les résidents vivent en harmonie entre eux et avec la nature…

Pour notre Eglise, comme le soulignait plus haut Bruno Latour, c’est redécouvrir qu’il faut aller vers le bas, l’incarnation, rejoindre les hommes sur terre et partager avec eux ce qu’ils vivent et, actuellement, pour beaucoup, dramatiquement.

R.S. : Voulez-vous bien partager votre réflexion sur l’intervention inattendue de la covid 19 et ses conséquences sur nos existences ?

Il y aurait beaucoup à dire. Pour moi, l’écoute est devenue fondamentale. Double écoute : celle des personnes, dont j’assure le service, tant bien que mal, celles rencontrées au hasard et qui ont besoin de s’exprimer, celle de la Parole. Jésus passe son temps à écouter et à réagir. Les Psaumes sont bourrés de souffrances, mais aussi de reconnaissance des merveilles offertes gratuitement par Dieu. Le Magnificat n’est-il pas, dans ce domaine, une magnifique synthèse des deux écoutes ? Je suis constamment émerveillé par la délicatesse des Algériens et leur capacité de gratuité…

J’ai également la chance de continuer ma formation de biologiste avec des jeunes professeurs de l’Université (sorties sur le terrain et échanges), de faire partie de deux plateformes internationales : Researchgate et Telabotanica Afrique du Nord. Occasion d’échanges, là encore, avec des collègues de toutes nationalités…


La confrontation avec un relatif isolement m’invite à découvrir ou redécouvrir l’essentiel et, à relativiser mes petits problèmes. Face à la surcharge des médecins, infirmiers et infirmières, ambulanciers et le risque de contracter la Covid jusqu’au risque de perdre la vie, la souffrance des malades, la douleur des familles, qui ne peuvent pas revoir leurs membres décédés, le déni d’un certain nombre de gouvernants, la vergogne de certaines multinationales et la course mercantile des industries pharmaceutiques pour la découverte d’un vaccin… je ne suis plus qu’un petit grain de sable bien avantagé…

Propos recueillis par

Rosalie SANON, SAB

22 Fév 2021 | A la une, Actualités, Société

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