Homs: le discernement ignacien à rude épreuve

La compagnie de Jésus est installée au cœur de Homs, en Syrie. Elle a payé un lourd tribut pendant la guerre avec la mort du père Franz Van Der Lugt, en 2014, tué par les djihadistes. Elle s’efforce aujourd’hui, non sans difficultés, à offrir aux jeunes une source d’espérance.

Vatican News

Homs a été longtemps le carrefour des routes commerciales et industrielles de la Syrie. Située à mi-chemin entre Damas et Alep, la ville est aussi une porte vers le Liban voisin et c’est aussi de là que partent les voies principales pour les côtes syriennes de la méditerranée. La troisième ville de Syrie, avec environ 700.000 habitants avant la guerre, est également l’une des plus abimées par 10 années de conflit. Des quartiers entiers dévastés, éventrés, et le sa sensation que la guerre s’est arrêtée hier. Le temps semble figé depuis quatre ans. Difficile de dire combien d’habitants compte l’agglomération aujourd’hui, il n’existe aucune statistique fiable. Mais au vu des destructions, du nombre de maisons réduites en tas de gravats, et prenant en compte la fuite massive des syriens vers l’étranger ou dans les camps de réfugiés du Liban, tout proche, qui accueillent 1,5 millions de personnes, la population de Homs s’est sensiblement réduite.

Encore une fois, comme cela s’est souvent produit dans la région lorsque les tensions atteignent des points de non-retour, les chrétiens sont les premiers à prendre les routes de l’exil. Les «terroristes» ont développé des méthodes d’intimidation sanguinaires, ne laissant guère le choix à la minorité chrétienne.

Un lieu de rencontre pour les jeunes

Chez les jésuites de Homs, les jeunes chrétiens, mais aussi des musulmans, se retrouvent presque tous les jours de la semaine pour participer aux différentes activités de la paroisse «ignacienne». Le père Vincent de Beaucoudrey est l’un des pères jésuites de Homs qui reçoit Vatican News dans la petite cour carrée de la résidence, en débutant par un temps de recueillement devant la tombe du père Franz Van Der Lugt, égorgé seul, ici, dans la cour, le 7 avril 2014. Ses compagnons étaient partis loin des combats, mais lui avait décidé de rester pour continuer à accueillir tous ceux qui pendant la guerre, auraient souhaité un temps de prière, de dialogue ou de réconfort. Les djihadistes n’ont eu aucune pitié. Ses compagnons l’ont enterré sur le lieu de son martyr. Une tombe en forme de croix permet aujourd’hui de se recueillir et de ne pas oublier.

Le père Vincent, Mansour en arabe, nous étale les difficultés des gens que les jésuites côtoient. Elles sont liées au manque de travail, de perspective et d’espérance. «Nous vivons avec eux, autant que nous le pouvons» dit-il. «Nous essayons de les aider spirituellement, et bien-sur – ajoute-t-il – nous souffrons avec eux».

Le jésuite précise que sa communauté opère sur deux niveaux : social et pastoral, et qu’une nette distinction est faite entre les deux. Ainsi, au total, un millier de jeunes se retrouvent pour jouer au Basket dans la cour, pour jouer au foot, pour des activités théâtrales, des camps ou des fêtes. Autant de moments de détente que les compagnons partagent avec ces jeunes, mais qui sont bien distincts des temps pour Dieu. «S’ils viennent, ils savent pourquoi ils viennent. Pour jouer, ou pour prier ou un temps d’écoute. Nous ne souhaitons pas mélanger les deux», explique le prêtre. Homs est tellement dévastée que les espaces de détente sont quasiment inexistants, et le couvent des jésuites peut offrir cet espace : «Ils sont nombreux, 20% de plus chaque année. On pourrait dire que nos activés ont du succès. Mais on sait aussi que si nous n’étions pas là, ils n’auraient rien d’autre à faire».

Pas lumière au bout du tunnel

En revanche, les temps d’écoute, de partage et de prière suivent un autre calendrier. Et c’est ici que le père Vincent se laisse déborder par l’émotion: «je n’en sais rien, je ne sais pas», répond-il lorsqu’on lui demande quel peut être l’avenir de ces jeunes, puis il ajoute : «On ne peut pas être focalisé sur le long terme, on essaie de vivre, de se laisser toucher par l’Évangile. Le charisme des jésuites c’est d’aider les gens à prendre des décisions, et quand on est aumônier d’étudiants, on se dit qu’on va aider les gens à construire leur vie. Mais qu’est-ce qu’on fait quand on ne sait pas ce qui peut être décidé ? C’est compliqué».

Vincent de Beaucoudrey reprend ses esprits et développe : «une de nos plus grandes difficultés est d’aider au discernement. Lorsqu’on propose à quelqu’un de choisir, cela signifie qu’il peut opérer un choix entre deux bonnes choses. Mais on ne peut pas parler de choix lorsque toutes les issues sont bouchées. Ils n’ont rien à choisir dans ce contexte sans lumière au bout du tunnel».

Les limites du discernement

Les étudiants se retrouvent souvent dans des filières qui ne les intéressent pas vraiment. Ils n’ont pas choisi leurs études pour la plupart, mais se sont adaptés aux moyens de transports disponibles dans leur quartier, et aux universités desservies. «Quand on connait cela, que l’on parle avec eux, que l’on essaie d’évoquer leur avenir, ils nous répondent ‘oui, et après ?’. Ils n’ont plus aucune source d’espérance», regrette le père De Beaucoudrey. «Il nous faut donc descendre plus bas, dans les petits détails du quotidien. Ce sont nos activités sociales qui peuvent constituer pour eux un début d’espérance». Mais cette espérance est comme enfermée dans une boite, et le jésuite admet que cette condition l’amène à toucher les limites du discernement ignacien. «On ne peut aider au discernement uniquement lorsqu’ils ont à choisir entre deux bonnes choses. Il n’y a aucune décision à prendre, devant le Seigneur, entre une bonne et une mauvaise chose, vous choisissez la bonne. Mais ce n’est plus du discernement», dit-il, avant de poursuivre : «Ici les jeunes peuvent choisir éventuellement entre deux petits boulots, s’ils ont la chance d’avoir ce choix. Mais comment peut-on les aider au discernement lorsqu’ils doivent choisir entre faire leur service militaire [ndr : ce qui implique rester plusieurs années dans l’armée, jusqu’à 7 ou 8 ans, parce que le pays est en guerre] et partir pour l’étranger ? Lorsqu’ils viennent me demander s’ils doivent rester ou partir, je suis incapable de répondre. Je ne peux que leur dire de prendre soin d’eux, et que Dieu les accompagne».

 

Église Catholique d'Algérie