https://www.youtube.com/watch?v=6BrKfu4ND90
En cette mémoire de Notre Dame de Lourdes, c’est le récit des noces de Cana qui nous est proposé. Il se trouve que c’est ce même évangile qui nous était déjà donné le 16 janvier dernier, lorsque j’ai célébré la messe à la maison diocésaine peu après ma nomination. Autant dire que le récit des noces de Cana est vraiment l’évangile que je reçois en arrivant à Alger ! Il n’est pas difficile d’y trouver des clés pour notre vie ici. J’en retiendrais trois :
D’abord, il est question d’un mariage, d’une alliance.
Notre Eglise, depuis l’indépendance de l’Algérie, est placée sous le signe de l’alliance avec ce pays et ses habitants, une alliance sans repentance pour le meilleur et parfois pour le plus difficile, parce qu’une alliance ne va jamais de soi, parce qu’elle est toujours à construire, à espérer sans se lasser. Les vies données des dix-neuf bienheureux sont signes de cette alliance sans repentance, et la célébration de leur béatification une lumière sur notre route.
Je ne peux être évêque dans ce pays qu’autant que je peux le bénir, c’est-à-dire étymologiquement, dire et vouloir son bien et celui de ces habitants. Nous partageons la joie et les peines des citoyens de ce pays, et nous voulons être une Eglise pleinement citoyenne qui ne revendique aucun droit sinon celui de pouvoir exercer ses devoirs et sa responsabilité de citoyen. C’est la couleur particulière du témoignage évangélique de notre Eglise.
Cette installation sur le siège d’Alger est aussi pour moi signe d’alliance avec le diocèse d’Alger. Cette alliance avec cette Eglise, je l’ai faite arrivant en Algérie, il y a 20 ans puis en devenant évêque d’Oran. A dire vrai, je ne m’étais jamais projeté dans l’idée de quitter un jour ce diocèse cher à mon cœur. Mais je ne le quitte pas vraiment tant nous formons une seule et même Eglise en ses quatre diocèses dont les vies s’unifient de plus en plus.
Ensuite, il y a l’attitude de Jésus.
Il semble invité, comme par effraction, « Jésus aussi avait été invité ». Il est discret, non pas par calcul mais en raison de ce qu’il vit intérieurement. Il ne se met pas en scène mais il rend discrètement un service qui fait signe et qui annonce déjà, à travers cette eau transformée en vin, le don de son propre sang pour le Salut du monde ainsi que nous en ferons mémoire lors de l’Eucharistie. Personne ne sait l’existence de ce geste qui réjouit le cœur de tous et sauve l’honneur du marié, sauf bien sûr les employés qui font le service de la table.
Notre Eglise en Algérie se veut elle aussi discrète, non pas par calcul ou par stratégie, ni même par obligation. Elle se veut discrète, non pas au sens d’effacée, de timorée, de peureuse. Elle se veut discrète au sens où on dit d’une personne respectueuse de la vie privée et de la foi des autres qu’elle est discrète. C’est la raison pour laquelle notre Eglise, dans son essence, n’est pas et ne peut pas être prosélyte.
Enfin un mariage est par excellence le lieu de la convivialité
Dans convivialité, on peut entendre « convivence », « vivre avec », ou « vivre ensemble » selon l’expression érigée en journée internationale par l’ONU, sous l’égide de l’Algérie et grâce à la détermination de mon frère, le cheikh Khaled Bentounès.
Dans convivialité, on peut aussi entendre « jovialité », qui sonne comme joie, comme bonheur d’être ensemble, pas seulement comme devoir d’être ensemble. Pendant ces 9 ans au centre Pierre Claverie, j’ai goûté à cette joie de « perdre du temps » ensemble, et j’espère que « nous perdrons beaucoup de temps ensemble » ! L’évangile des noces de Cana, nous invite à cette joie de la noce, et il arrivera sans doute une fois ou l’autre que nous transformions l’eau en bon vin d’Algérie, mais avec modération, pas comme Jésus à Cana !
La convivialité sera, avec la fraternité et la synodalité, les trois mots qui m’accompagneront dans mon ministère d’archevêque d’Alger.
Fraternité.
Loin d’être la valeur faible et consensuelle dans laquelle nous pouvons l’enfermer, la fraternité est une valeur aussi universelle qu’exigeante, elle se décide autant qu’elle se reçoit, et elle plonge ses racines au plus profond du mystère de la croix
A la suite du pape François, j’ai acquis la conviction que la fraternité choisie, décidée, celle par laquelle nous pouvons nous adresser à Dieu en lui disant Notre Père, porte en elle une clé de lecture théologique essentielle, un horizon pour la vie de notre Église. Elle dit pour aujourd’hui l’urgence de nos rencontres : de rencontres en rencontres, nous contribuons ici, chrétiens et musulmans ensemble, à construire cette fraternité tellement vitale pour l’avenir de nos sociétés au point que le Pape François puisse parler de la fraternité comme la nouvelle frontière de l’humanité.
Synodalité
Fraternité et synodalité vont de paire. La synodalité, c’est inscrire la fraternité au cœur de la vie de l’Eglise. Ce vaste et ambitieux chantier ouvert par le pape François est une chance pour notre diocèse qui s’y est déjà bien engagé.
L’arrivée d’un nouveau pasteur est toujours une occasion précieuse de regarder à neuf, d’interroger nos pratiques, nos habitudes. C’est vrai pour le diocèse d’Alger aujourd’hui, ce le sera demain pour le diocèse d’Oran quand mon successeur portera un regard renouvelé sur la vie du diocèse dont il recevra la charge. Il ne faut pas laisser passer cette occasion de renouvellement, nous seulement pour moi qui m’apprête à découvrir une réalité nouvelle, mais aussi pour chacun de nous. Pour le bien de tous, je vous remercie par avance de vous laisser chacun interroger.
Le Pape François appelle l’Eglise à oser, alors osons ! Ne laissons pas passer cette chance qui nous est donnée ! Osons profiter de ce nouveau départ qui rythme la vie de chaque communauté humaine pour expérimenter de nouvelles façons de « faire Eglise », de rêver l’Eglise. Mais plus encore que toutes les réformes institutionnelles, notre Eglise diocésaine sera d’autant plus synodale que nous nous intéresserons à ce que font et vivent les autres. Se sentir vraiment concerné par ce que fait et vit l’autre est la clé d’une synodalité en acte.
Pour terminer, je souhaiterais revenir sur le dialogue entre Pierre et l’infirme de la « Belle Porte » entendu en première lecture. A l’infirme qui lui demande l’aumône, Pierre répond : « De l’argent et de l’or, je n’en ai pas ; mais ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus Christ le Nazaréen, lève-toi et marche ! »
Chers frères et sœurs, en ce jour où je suis au centre de la fête, je mesure mieux que quiconque mes manques et mes limites, à commencer par celle de n’avoir pas pu entrer autant que je l’aurais voulu dans la maitrise des langues de ce pays, sauf la langue du cœur. Alors, à l’imitation de Pierre, je souhaiterais te dire, Eglise d’Alger : « Je n’ai ni grande érudition ni grands dons, mais tout ce que j’ai, tout ce que je suis, je te le donne : au nom de Jésus le Nazaréen, lève-toi et marche ! »