Le premier décembre 2020. Midi, je viens d’apprendre la mort d’Henri Teissier.
C’était également un midi, en Mai 2007 que j’ai fait sa connaissance. Après un agnelage difficile je revenais de ma bergerie. Le téléphone fixe sonnait et je me demande encore aujourd’hui pourquoi, pour une fois, j’ai décroché. Une voix, au bout du fil, se présenta. « Bonjour, je suis Henri Teissier, archevêque d’Alger. Une amie commune m’a donné vos coordonnées et m’a transmis un message exprimant votre désir de partir en mission. » Il m’expliqua en quelques mots un projet en sommeil dans les camps de réfugiés sahraouis qu’il souhaitait relancer en ayant quelqu’un sur place. Puis il me demanda si je pouvais rencontrer l’un de ses proches collaborateurs, Jean-Marie Lassausse qui assurait le maintien de ce projet et qui revenait en congés dans les Vosges. Quelques semaines plus tard je rencontrai Jean-Marie, entre deux trains, à Paris. Avant même la fin de cette année 2007, je me retrouvai dans les camps sahraouis.
Je n’imaginais pas qu’un archevêque puisse directement décrocher son téléphone et appeler un inconnu. Je ne savais pas qu’un peuple en exil vivait depuis 1976 en plein désert au Sud-Ouest du Sahara Algérien. Mais j’étais prêt à partir. Une voix, d’un autre continent, m’ouvrait à une nouvelle vie. Et cette voix était celle d’Henri Teissier. Jean Marie, lui-même très actif et peu disert, n’avait pu trouver d’autre expression pour décrire Henri. « Tu verras, il vit trois journées en une ». Jean Marie n’était pas homme à exagérer, j’ai vite pu m’en rendre compte. Je ne sais comment et quand le père Teissier pouvait récupérer. Il semblait parfois « piquer du nez » au premier rang des réunions du soir mais à la surprise de tous posait, en ouvrant un œil, la bonne question ou apportait une précision à l’orateur.
A chacun de ses mails, l’attention qu’il vous portait était palpable. Ainsi il ne souhaitait d’autres vœux en fin d’année dernière que de savoir quels étaient mes projets à venir.
Je me rappelle ces après-midi où je le retrouvais dans la bibliothèque de la Maison Diocésaine d’Alger, répondant à son courrier ou écrivant les chapitres de son prochain livre. Il n’hésitait pas à interrompre son travail pour demander des nouvelles, donner des contacts. J’ai rarement rencontré un homme ayant cette capacité à mettre les gens en contact les uns avec les autres. Contacts amicaux, politiques, associatifs, interreligieux, culturels, Henri connaissait tout le monde et il nous confiait les uns aux autres pour obtenir le meilleur de nos rencontres.
Je me souviens de ce vendredi où il m’avait emmené sans trop me laisser le temps de répondre chez Rachid Boudjedra où nous attendait, je m’en rendrai compte plus tard, le gratin culturel d’Alger venu faire la surprise à Henri de lui souhaiter son anniversaire.
Henri Teissier illustrait à merveille et incarnait la phrase de Paul Eluard : « Il n’y a pas de hasards, il n’y a que des rencontres ». Il savait les imaginer, les provoquer, faire en sorte qu’elles se réalisent.
Dans ses « trois journées en une » il savait néanmoins trouver ce temps de la rencontre. Au-delà de ce qu’il a directement vécu et réalisé dans les périodes douloureuses de la décolonisation, puis de la décennie noire nous lui devons cet « au-delà de lui-même » entrainant un « au-delà de nous-mêmes », cet art de la rencontre initiant une dynamique horizontale et mélangée trop peu commune aux hiérarchies cléricales. C’est peu de dire qu’Henri Teissier était un homme de réseau et de communication.
Je me souviens des réunions chez lui toutes nationalités confondues autour de textes sacrés, de sa place à « la plonge » après les repas qu’il était hors de question de lui voler, de sa bibliothèque personnelle déménagée en catastrophe, jusqu’à la veille de l’arrivée de son successeur dans l’atelier d’imprimerie de Titisse, de la difficulté pour lui et ses amis à vivre les premières années suivant son départ de la Maison Diocésaine.
J’ai vécu à travers ses émotions, car il ne pouvait pas les cacher, l’Histoire d’une Algérie que je n’ai pas connue, dont celle de ses frères martyrs dont il était l’ami et l’Evêque, cette Histoire à laquelle sa propre histoire était si intimement mêlée.
J’ai toujours eu du mal à appeler « Père » les prêtres, les aspects dogmatiques du cléricalisme ayant peu à voir avec les sentiments paternels.
Le Père Teissier restera pour moi une exception.
Jean-François Debargue