Évêque depuis un an !

« Être père en étant d’abord frère »

Mgr Nicolas LHERNOULD a été nommé évêque du diocèse de Constantine Hippone, en Algérie, voilà un an. Nous avons tenté avec lui une forme de bilan. Voici donc à découvert, son visage de père, son regard de frère, son émerveillement de « nouvel arrivant », sa vie de « Fiat ! ». Interview réalisé le 22 novembre 2020.

-R.S.: Comment va Mgr Nicolas LHERNOULD?

Mgr Nicolas : Bien! Très bien, même. Un an déjà: j’avoue ne pas avoir vu le temps passer…

-R.S.: -Quand avez-vous été nommé évêque de Constantine ? Comment s’est passée exactement la procédure de votre nomination?

Mgr Nicolas : Le Nonce Apostolique m’a appelé le 4 décembre 2019 pour me transmettre la demande du pape. J’ai donné ma réponse le lendemain, et le Saint Siège l’a rendue publique le 9 décembre. C’était un lundi, le jour de la fête de l’Immaculée Conception. Tout est allé très vite, comme ce qui a suivi. J’ai été ordonné évêque à Tunis le 8 février 2020, et trois semaines plus tard, le 29 février, mon ministère commençait au service du diocèse, lors d’une très belle journée sur la colline d’Hippone. Je me souviens qu’un autre programme avait été envisagé, qui prévoyait le jour de mon « installation » vers la fin du mois de mars. Heureusement que nous n’avons pas fait les choses comme cela. Sinon, avec le confinement qui a commencé mi-mars et ce qui a suivi, je pense que je n’aurais pas encore pu arriver…

-R.S.: -Est-ce que la Saint Nicolas n’a pas été le déclic ?

Mgr Nicolas : Je ne sais pas. En tous cas, je ne m’attendais pas du tout à ce qui s’est passé. Pour être exact, le Nonce avait essayé de m’appeler le 3 décembre au soir, mais je n’ai vu l’appel que très tard, et c’est seulement le lendemain matin que nous nous sommes parlé. Le 3 décembre, c’est le jour de la fête de saint François Xavier. Or il se trouve que la communauté qui m’avait proposé de partir en Tunisie en 1994 était justement… la Communauté Apostolique Saint François Xavier, fondée par Madeleine, la maman du Cardinal Daniélou. Avec le recul, j’y vois un clin d’œil de l’Esprit Saint dans la continuité. Tout comme la publication de ma nomination le jour de l’Immaculée Conception, qui n’est pas sans lien avec le « Fiat! » de la Vierge Marie, que j’ai choisi ensuite comme devise épiscopale. Saint Nicolas n’était peut-être pas bien loin non plus…

-R.S.: «Je viens m’émerveiller de ce que vous vivez, faites-le moi sentir » : Aviez-vous dit à Hippone le 29 février 2020. Vous sentez-vous accueilli à Constantine ? Que vous a-t-on fait sentir ?

Mgr Nicolas : « Dieu vit que cela était bon » (cf. Gn 1), dit en refrain le récit de la création. C’est Dieu lui-même qui nous enseigne l’émerveillement. Car c’est de cette manière-là qu’il nous regarde à tout instant. Oui je suis émerveillé de l’accueil des gens: en voisinage, au marché, à travers les rencontres, les amitiés, les solidarités de toutes sortes… Une expérience de fraternité qui élargit ma vie. Emerveillé par la famille diocésaine qui m’a accueilli et dont je suis désormais membre. Emerveillé de sa joie d’être justement une famille. Fragile, petite, pauvre sans doute, mais rayonnante de la simplicité de l’Evangile, de l’humilité de Dieu. Petitesse n’est pas faiblesse, mais promesse. C’est le chemin que Jésus a choisi pour que s’accomplisse la promesse du Père. Nous sommes ici serviteurs et servantes de cette humilité de Dieu.

– R.S.: Quel constat en arrivant dans un diocèse resté trois ans sans évêque ?

Mgr Nicolas : En 2012, l’archevêque de Tunis fut nommé à Amman, en Jordanie. Son successeur est arrivé dix mois après. J’avais trouvé le temps long. Pourtant, ce n’était pas grand chose au regard des trois ans que le diocèse a attendu ici… J’ai senti un soulagement chez beaucoup, qui m’a renvoyé, non sans vertige, à ma propre petitesse. J’ai demandé humblement d’être accueilli comme « frère ». J’apprends à être père en étant d’abord frère, en Eglise et au-delà. J’ai trouvé ici une famille vivante. L’absence d’évêque, malgré le manque, n’a pas entravé la vie de cette famille. Cette période a sans doute permis de se sentir plus encore coresponsables de l’Eglise: c’est ensemble que nous sommes appelés à vivre l’Evangile, à donner le meilleur de nous-mêmes, dans la complémentarité des états de vie, des charismes, des fonctions, pour que le corps que nous formons serve le Royaume, la communion et la fraternité avec tous.

– R.S.: Aussitôt installé aussitôt confiné. Êtes-vous à plaindre ?

Mgr Nicolas : J’ai reçu beaucoup de marques de sympathie qui allaient en ce sens. Mais en réalité, je ne me sens pas à plaindre. Au contraire. Bien sûr il est frustrant de ne pas pouvoir faire tout ce que l’on voudrait, de ne pas pouvoir rendre visite aux personnes comme on le souhaiterait, surtout lorsqu’on a tout à découvrir. Je me souviendrai aussi toute ma vie que la première « décision » qu’il a fallu prendre, qui s’est en fait imposée, fut d’annoncer que les messes paroissiales seraient suspendues. Mais au-delà de tous les imprévus et inconvénients, c’est aussi une période dans laquelle le Seigneur continue de me montrer l’ordre des priorités: « Il en choisit douze pour être avec lui » (Mc 3,14), dit l’Evangile. « Et pour les envoyer »… Etre d’abord avec lui, pour aller avec lui sur les routes, dans cet ordre que lui-même indique… C’est la priorité, et le meilleur moyen de le retrouver dans le visage de ceux et de celles qu’il nous conduit à rencontrer.

-R.S.: -Vous sentez-vous seul ? Qu’avez-vous pu voir et faire malgré le confinement ?

Mgr Nicolas : On n’est jamais seul quand on rencontre Jésus chaque jour dans le visage de l’autre. Et quand bien même cette rencontre se fait parfois plus rare, elle reste toujours possible dans l’intimité de la prière. J’aime beaucoup Saint Bruno, les Chartreux et les Pères du Désert. Ils continuent de m’enseigner que le silence et la solitude sont un terreau fertile et fécond de rencontre avec Dieu et avec les autres. Depuis mon arrivée, j’ai commencé à vivre la rencontre, avec le pays, le diocèse, les autorités, l’Eglise d’Algérie, nos communautés… La rencontre avec des visages nouveaux, une culture, une histoire, des amitiés à élargir et à cultiver, une fraternité à servir et à tisser… Le désert, en dépouillant, recentre sur l’essentiel: Dieu et le frère. Le confinement est une forme de désert, avec ses aspérités, avec aussi ses grâces.

-R.S.: -Des messages hebdomadaires en audio, pourquoi ? Quel bilan faites-vous de cela?

Mgr Nicolas : L’idée n’est pas de moi. Elle est venue d’une demande. Et je me suis lancé il y a environ huit mois, en promettant de continuer jusqu’à ce que tous les lieux de culte soient rouverts. Je ne pensais pas qu’à l’approche de Noël nous y serions encore… Je crois que cela a aidé, parmi beaucoup d’autres initiatives prises à tous les niveaux: à goûter ensemble la Parole, à relire notre vie à sa lumière, à servir la communion malgré les distances et l’impossibilité de se retrouver facilement. A titre personnel, j’ai mieux compris, à travers cette petite expérience, ce que Jésus dit dans l’évangile au sujet des brebis qui écoutent sa voix et que lui-même connaît (cf. Jn 10,27). Il y a une familiarité et une connaissance mutuelle qui grandissent par la voix. Cela m’encourage, comme brebis, à mieux me mettre moi-même à l’écoute de Jésus Bon Pasteur.

– R.S.: Qu’est-ce qui vous frappe dans l’encyclique « Fratelli Tutti » ?

Mgr Nicolas : Au paragraphe 111, le pape François écrit, au sujet de la personne humaine: « L’appel à se transcender dans la rencontre avec les autres se trouve à la racine même de son être ». Cette phrase me semble résumer l’essentiel du projet de l’encyclique: une invitation à la rencontre, une pédagogie de la rencontre, une spiritualité de la rencontre. Nos Eglises du Nord de l’Afrique aiment depuis longtemps se définir comme des « Eglises de la rencontre ». L’encyclique rejoint notre vie en son cœur. En 2014, nos évêques ont aimé redire dans leur lettre pastorale « Serviteurs de l’Espérance »: « Le chemin de la rencontre est notre chemin missionnaire […] Un chemin de consentement au projet de l’incarnation […] ». Une phrase que l’on peut lire au dernier paragraphe de cette lettre ; un paragraphe qui s’intitulait justement: « l’espérance de la fraternité universelle »…

-R.S.: L’épreuve du Covid ! Terminez par un message d’encouragement à ceux qui en souffrent et à ceux qui en ont peur.

Mgr Nicolas : Nous approchons de Noël, sans trop savoir comment nous le vivrons. Nous avançons dans une obscurité qui dure. Au milieu de cette épreuve, j’ai aimé cette méditation du Bienheureux Charles de Foucauld, que nous aurons fêté le 1er décembre: « Mon Dieu, vous ne nous laisserez pas dans l’obscurité quand nous aurons besoin de lumière… Vous veillerez sur nous et nous conduirez par la main, sans que nous le sentions, et lorsqu’il faudra à nos âmes la lumière, vous la donnerez toujours ». Ces paroles rejoignent celles du prophète Isaïe, que nous relisons à la messe de la nuit de Noël: « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi. Tu as prodigué la joie, tu as fait grandir l’allégresse […] » (Is 9,1-2). Au delà de l’obscurité, accueillons cette lumière et entrons dans cette joie, en fixant notre regard avec confiance sur le « Prince de la Paix » (Is 9,5) qui vient chaque jour à notre rencontre.

Propos recueillis par

Rosalie SANON, SAB

Le 22 novembre 2020

Église Catholique d'Algérie