Le 4 avril dernier, le pape François a nommé Mgr Nicolas Lhernould archevêque de Tunis. Son épiscopat à Constantine, initié le 29 février 2020, touche bientôt à sa fin. Nous avons recueilli son témoignage et ses impressions.
Sr Rosalie : Vous devez retourner en Tunisie. Que se passe-t-il ?
Mgr Nicolas L. : Il y a quatre ans, le pape François me demandait de quitter la Tunisie pour rejoindre Constantine. Il me demande aujourd’hui de traverser la frontière dans l’autre sens pour succéder à Mgr Antoniazzi comme archevêque de Tunis. Bien que cela en ait l’apparence, je ne le vis pas comme un retour, mais comme un nouveau départ. La Tunisie m’a enfanté comme prêtre, l’Algérie comme évêque. Ici j’ai grandi. J’ai senti que s’élargissait pour moi l’espace de la tente (cf. Is 54,2) à mesure que j’ai été accueilli par le peuple et l’Eglise d’Algérie, desquels j’ai tant reçu. Il n’est jamais facile de partir. C’est aussi dans ces moments-là que l’on mesure le poids des relations tissées, des amitiés nouées, de tout ce qu’on a vécu… ou qu’il y aurait encore à vivre. La Tunisie elle aussi a évolué. Même si j’y ai vécu de nombreuses années par le passé, il y a beaucoup à redécouvrir. Un petit pas après l’autre, dans la confiance en l’Esprit Saint qui fait toutes choses nouvelles (cf. Ap 21,5). Je quitterai l’Algérie vers la fin du mois de mai. La cérémonie de passation et d’installation aura lieu à la cathédrale de Tunis le samedi 8 juin.
Sr Rosalie : Quels sont les faits marquants de la vie de l’Eglise d’Algérie et de Constantine dont vous avez été témoins où acteur ?
Mgr Nicolas L. : Ce qui m’a le plus marqué, ce ne sont pas les événements qui sortent de l’ordinaire, même s’il y en a eu beaucoup, mais plutôt les petits événements de la vie quotidienne, souvent discrets, qui sont comme autant de perles sur le fil de nos journées, où tout prend d’autant plus goût que l’on s’attache à y retrouver la Présence invisible de Celui qui nous fait vivre. « Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur », dit le psaume 33 : retrouver cette bonté dans le visage et dans l’ordinaire de la vie de chacun, y être attentif, la mettre en valeur, la cultiver, la célébrer, la seconder… Quand on mange rapidement, on se nourrit, mais sans apprécier toute la valeur des aliments. Certaines saveurs ne s’exhalent qu’en mastiquant patiemment ce qu’on porte à la bouche, en laissant le temps à tous les parfums de se révéler. Il en va des rencontres et des événements comme des aliments : c’est en les vivant et en les habitant pleinement, patiemment, que l’on accède à la saveur profonde de ce qu’ils sous-tendent : une part du mystère lumineux de la vie de chacun… et aussi de la nôtre.
SrRosalie : Que laissez-vous à l’Eglise diocésaine de Constantine et qu’emportez-vous d’elle ?
Mgr Nicolas L. : Quand je suis arrivé, j’ai été très marqué par le sens de coresponsabilité ecclésiale qui caractérisait le diocèse, en attente d’un nouvel évêque depuis trois ans. Sans le dire avec ce mot-là, je crois que se vivait déjà la synodalité que le pape François a ensuite demandé à toute l’Eglise d’approfondir. C’est cette manière d’être Eglise que j’ai vécue ici, en nous mettant ensemble à l’écoute de l’Esprit Saint. Un processus qui, je crois, nous a mieux fait goûter la joie d’être une famille, partie intégrante du peuple algérien, de son histoire, de son actualité… Nous avons fait l’expérience ensemble que la contribution de chacun et la rencontre avec les autres sont indispensables pour entendre les appels de l’Esprit et essayer de les vivre. Trois orientations ont alors émergé, fruit du discernement et de l’engagement de tous : construire la communauté locale, grandir comme disciples, creuser notre relation à l’autre. Nous continuons de les mettre en œuvre pas à pas au rythme de la prière, des rencontres et de la vie.
Notre Eglise est petite, humble, fragile, « dans la mangeoire », comme aime le dire Mgr Desfarges. Ici j’ai compris que la catholicité de l’Eglise n’était pas d’abord une question d’extension mais de mission, comme le disait le grand théologien Henri de Lubac : celle d’avoir conscience, en Dieu qui nous précède en toute culture, d’avoir reçu de lui, en partage, la responsabilité du salut du genre humain dans son entier. Simplement parce que telle est la mission de Jésus et que nous en sommes les serviteurs, en essayant d’aimer comme lui-même a aimé. « A l’amour que vous aurez les uns pour les autres, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples » (Jn 13,35). Quand on est pauvre et dépouillé de presque tout, on expérimente cela de manière encore plus forte. Je crois que c’est un des aspects les plus importants du témoignage que notre petite Eglise peut et doit donner à l’Eglise universelle et au monde.
Sr Rosalie : Comment appréhendez-vous ce retour et cette nouvelle charge d’archevêque ?
Mgr Nicolas L. : Quand je suis devenu évêque, j’ai choisi le mot « fiat » comme devise épiscopale. Une devise que je vais garder. Ce mot évoque la confiance de la Vierge Marie au jour de l’Annonciation (« Qu’il me soit fait selon ta parole » – ‘Fiat’ – Lc 1,38), mais aussi celle de Jésus la veille de sa Passion (« Père, que ta volonté soit faite » – ‘Fiat’ – Mt 26,42), ainsi que la création (« Que la lumière soit » – ‘Fiat’ – Gn 1,3). Ces trois consentements embrassent toute l’histoire du monde et en appellent un quatrième : le nôtre. Je demande à Dieu de pouvoir continuer de le prononcer tous les jours avec confiance, dans les moments joyeux, lumineux, douloureux ou glorieux. Une chose m’y a beaucoup aidé ici : c’est de ne jamais avoir été regardé seulement à travers la fonction qui m’a été confiée, mais d’abord comme un frère. C’est ce qu’éprouvait déjà saint Augustin en son temps : « Si ce que je suis pour vous m’épouvante, ce que je suis avec vous me rassure. Pour vous en effet, je suis l’évêque ; avec vous je suis chrétien. Évêque, c’est le titre d’une charge qu’on assume ; chrétien, c’est le nom de la grâce qu’on reçoit. Titre périlleux, nom salutaire » (Sermon 340,1).
Sr Rosalie : Quel message à l’endroit de l’Eglise d’Algérie et du diocèse de Constantine en particulier ?
Mgr Nicolas L. : J’ai été très touché par l’hospitalité, la diversité et la générosité du peuple algérien. Ces trois immenses richesses m’ont conduit à mieux comprendre le sens du témoignage que nous pouvons rendre au nom de l’Evangile : donner à l’autre la joie d’accueillir, d’être valorisé, de se donner. Trois attitudes qui font écho à l’Ecriture : « Qui vous accueille m’accueille » (Mt 10,40) ; « Jésus posa son regard sur lui et l’aima » (Mc 10,21). « Il y a plus de joie à donner qu’à recevoir » (Ac 20,35). Souvent nous lisons cette phrase en nous mettant à la place de celui qui doit donner. Choisir celle de celui qui reçoit, c’est permettre à l’autre d’entrer dans cette joie du don, qui est celle de Jésus lui-même. Je pense qu’il sera utile de continuer d’approfondir ces intuitions, pour nous, à Constantine, sur la lancée des orientations discernées. Avançons dans la confiance, en suivant Jésus pas à pas, en tâchant de vivre chaque instant qui nous est donné en essayant d’aimer, avec intensité et simplicité. C’est cela qui est important. Ne nous faisons pas de soucis. Le Père sait ce dont nous avons besoin. Cherchons d’abord le Royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste sera donné par surcroît (cf. Mt 6,31-33).
Propos recueillis par Sr Rosalie Sanon, SAB