« El Amel » Au service des enfants autistes

Pas très loin de la maison où j’habite, se trouve un grand parc boisé où je vais régulièrement marcher avec une amie. Notre itinéraire nous fait souvent passer le long d’une sorte de centre d’équitation situé dans un vallon. Interrogées, les personnes qui y travaillent nous disent qu’il est réservé aux autistes et en effet on remarque la présence d’enfants en général accompagnés d’un parent ou parfois, le week-end de toute la famille. Certains aident à transporter des brouettes, d’autres marchent à côté d’un cheval tenu en laisse, certains montés sur un cheval tournent dans un des manèges, d’autres sont allongés dessus. On entend parfois des cris inarticulés. Intriguée je prends rendez-vous avec la responsable du centre qui me reçoit rapidement.

Ce centre d’équitation est en fait une association « El Amel ». Association à but non lucratif, créée en 2010, elle offre aux enfants et adolescents à besoins spécifiques et particulièrement aux enfants autistes, un accompagnement psycho-éducatif avec le cheval (équithérapie). Meriama, la présidente de l’association a découvert l’équithérapie lors d’un stage de formation, alors qu’elle exerçait comme psychologue dans la police. Suite aux traumas traversés au cours des années 1990s, Meriama a démissionné de son poste et s’est par la suite engagée au service des enfants.

Au début il n’y avait qu’un mulet ; aujourd’hui le centre compte 22 chevaux dont 6 magnifiques bêtes de la garde nationale, réformées ou retraitées, impressionnantes par la taille et par la docilité. De jeunes poulains sont nés à la ferme équestre et habitués dès leur naissance à ce public particulier . Outre les chevaux, les enfants côtoient dans ce centre nombre d’animaux : des poules et des coqs qui picorent en liberté ainsi que des oies, des canards et des pintades. Ils peuvent aussi approcher des colombes dans la volière ainsi que des lapins. Il y a aussi des aigles, et toute une meute de chiens husky.

Les enfants participent à l’entretien de ces animaux : ils aident à panser et brosser le cheval, à balayer le crottin et à le transporter sur le tas de fumier, à nourrir les animaux ; ils assistent le cas échéant aux soins vétérinaires. Ils participent aussi à l’entretien des jardins en attendant la création d’un véritable potager.

Chaque jour, sauf le dimanche, à tour de rôle, une quarantaine d’enfants sont pris en charge, chacun pendant une heure par un moniteur, ou plusieurs qui se relaient. 140 enfants sont ainsi pris en charge dans le centre, à raison d’une à trois séances par semaine.

Une salle de psychomotricité a été aménagée mais aujourd’hui elle ne fonctionne pas faute de personnel spécialisé : les deux psychomotriciennes bénévoles, qui étaient des expatriées ne sont plus en Algérie, et l’association n’a pas les moyens de salarier un professionnel.

Les moniteurs sont des jeunes qui aiment les enfants et les chevaux et qui ont été formés sur le tas et grâce à des sessions de formation organisées sur place. Avec les gardiens ce sont les seuls salariés de l’association qui en compte 9 au total.

De très nombreux bénévoles- ils sont 30 à intervenir – apportent leur soutien à l’association : étudiants et étudiantes, des hommes et des femmes actifs ou encore retraités dont un ancien forestier présent en permanence. Ils sont multitâches : travail administratif, guidance parentale, soutien aux familles, animation pour diverses activités, nettoyage des locaux, jardins et aire de repos destiné aux familles, assistance aux professionnels selon les besoins, aménagement des lieux… Un conseil des sages choisi parmi les adhérents règle les différends qui peuvent survenir entre les adhérents et l’association ou entre ces derniers. Le covid a perturbé les activités l’an dernier mais celles-ci ont progressivement repris. Tout récemment, un groupe de psy (psychologues, psychiatres, psychanalystes) algériens qui travaillent en commun sur leur pratique, alerté sur les besoins de l’association, s’est engagé à tenir une permanence de soutien psychologique en direction des enfants, de leur famille, ainsi que des intervenants auprès de ces enfants.

Depuis 2012, l’association s’est installée au sein du Parc Zoologique et des Loisirs, actuellement dénommé « Parc de la concorde » ; elle est locataire des lieux : hangars bâtis en dur de 700m2, cours et terrains annexes (parking, rond de longe en sable pour les chevaux, carrière en contrebas revêtue de sable, destinée aux exercices d’équithérapie et dressage des chevaux). C’est l’association qui, conformément au contrat, a assuré l’aménagement les lieux, construit les boxes des chevaux, raccordé les locaux à l’eau et l’électricité, construit les sanitaires, aménagé la route d’accès et les espaces pour les parents, construit la chambre du gardien de nuit et du palefrenier ainsi que la cuisine …

Ces aménagements ont bénéficié de financements de la part d’entreprises. En revanche il est très difficile de trouver des financements pour le fonctionnement courant des activités et en particulier pour le fourrage nécessaire aux chevaux qui représente un poste de dépense très lourd. Les adhérents payent une cotisation mensuelle de 3000 DA pour une heure de prise en charge hebdomadaire. Pour près de la moitié des adhérents cette somme dépasse leurs moyens mais l’association a instauré un parrainage : une personne aisée prenant en charge la cotisation d’un enfant démuni.

J’ai pu interroger des parents pendant que leurs enfants étaient pris en charge. Ils sont heureux de parler de leurs enfants.

La maman d’un adolescent autiste, qui habite un quartier populaire de l’Est d’Alger, les Kalitous (lire les eucalyptus) vient chaque semaine au centre avec son fils depuis plusieurs années. « Toutes les portes se sont fermées devant moi. Ils n’ont pas voulu de lui à l’école. Toutes les portes se sont fermées devant moi ! Même à la plage ils ne l’ont pas accepté » me dit-elle. « Ici il est bien, il court dans la nature et moi je cours avec lui. Il a fait des progrès, maintenant il répond à son nom. Et il sait monter à cheval. Le cheval le calme ».

Un papa lui, a trouvé une crèche privée où son enfant de 5 ans a été accepté. Mais c’est cher ! Ici me dit-il « ils nous arrangent! ». Il n’habite pas très loin, à quelques kilomètres, et vient au centre à pied.

Une maman accompagnée de ses parents vient avec son fils depuis 4 ans. Ils ont beaucoup participé à l’aménagement du centre. Leur enfant de 7 ans est scolarisé dans une école privée avec un auxiliaire de vie. Selon sa mère, le contact avec le cheval a beaucoup aidé l’enfant au plan du comportement : il est plus calme et se concentre davantage.

Solidarité, audace et engagement sont les trois mots d’ordre de cette association qui porte bien son nom « Espoir ».

Marie France Grangaud

 

 

14 Mar 2021 | A la une, Société

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