Nous sommes une communauté de 2 sœurs franciscaines missionnaires de Marie à Aïn Sefra aux portes du Sahara en Algérie. Soeur Isabelle et soeur Ludi.
Notre activité principale est de faire la kinésithérapie pour les enfants IMC (infirmes moteurs cérébraux) et la construction du matériel (attelles, verticalisateurs…).
Un jour Ludi et moi étions assise sur le lit et elle m’a dit:”ça y est on vit l’expérience de Job”.
Ça a commencé en juillet, le 20 une sœur qui était venue rester avec Ludi alors que j’étais en congé en France a pris la voiture pour regonfler les pneus avant de partir pour Alger le 22 pour me récupérer et continuer en Tunisie où nous devions faire notre retraite. Au coin de la rue un vieux monsieur lui grille la priorité… accident la voiture ne peut plus rouler. Le commissaire de police est venu personnellement à la communauté pour tout régler… 1er ange gardien !
Nous décidons alors qu’elles me rejoignent en bus et que nous partions en car en Tunisie. Le 22 nous nous retrouvons à Alger pour partir le lendemain soir. Tout était prêt quand le lundi matin, coup de téléphone du commissaire de police d’Aïn Sefra: “Mes sœurs votre maison a été cambriolée”. C’est le choc ! Annulation de la retraite bien entendu. Mais nous n’avions pas le cœur à rentrer toutes seules dans une maison où la porte ne ferme plus… heureusement Ouali notre ami du diocèse d’Oran nous a ramené à Aïn Sefra, a dormi chez nous et a réparé la porte en mettant une serrure trois points… 2ème Ange gardien!
Il fallait réparer la voiture et il était impossible de trouver la pièce à Aïn Sefra et dans les environs… notre grande amie Fadila qui est médecin et son mari Ramez chirurgien me téléphone en disant : ” Isa je suis à Alger, je rentre vendredi matin, venez manger à la maison vendredi soir ou samedi. Demande à Ramez de s’occuper de ta voiture”. Le vendredi matin, une heure après son retour d’Alger, Ramez mourrait dans ses bras d’une crise cardiaque. Il était à la fois notre ami intime et notre sécurité médicale, on pouvait lui téléphoner le jour et la nuit si on était malade.
En une semaine nous avons perdu la voiture, le matériel des enfants volé et notre ami qui était aussi notre sécurité médicale… le premier mot qui est sorti de notre bouche c’est “C’est TROP”.
Nous ignorions à ce moment-là que ce n’était que le début.
Après une semaine de vacances à Aïn el Turk avec nos frères capucins René et Pascal, nous sommes rentrées à la maison, pensant reprendre nos activités. Le samedi suivant Pascal nous appelle en disant : René a été opéré, il avait une infection à la jambe mais ça va. La nuit de samedi à dimanche il a plu beaucoup. Le dimanche matin notre réflexe a été de penser à l’oued, mais un coup de téléphone de Pascal nous annonce que notre frère René est parti chez le Seigneur… pendant 18 ans René est venu célébrer la messe chez nous tous les mois, faisant 7h de bus aller et 7h de bus retour pour venir jusqu’à nous de Tiaret… vous pouvez imaginer le choc. Mais nous n’avons même pas eu le temps de pleurer, j’avais encore le smartphone dans les mains quand le commissaire de police a sonné à la porte : ”Mes sœurs l’oued a détruit le mur de protection de la ville, l’eau monte très vite, je vous donne 5 minutes pour évacuer.” Nous avons mis en hauteur le saint sacrement et l’argent et nous sommes parties sans rien avec nous chez notre voisin qui a une maison à 3 étages. Pendant 4 heures un torrent de boue et d’eau a déferlé sur le centre-ville dévastant tout sur son passage. Nous avons assisté, impuissantes, à l’inondation de notre maison et de tout le centre-ville, entendant des murs et des maisons s’écrouler…
Quand l’oued s’est retiré, spectacle de désolation ! Toute la maison qui est de plain-pied était remplie de 4 cm de boue. Tout avait été renversé et flottait dans cette boue encore liquide. Dans les rues à côté de nous il y avait 1m50 de boue. Un sentiment d’impuissance et de tristesse … là c’est vraiment trop !
Toutes seules à deux que pouvions nous faire ?
Et là ce n’est pas un ou deux anges gardiens qui sont venus mais des dizaines ! :
Le commissaire de police qui nous a pris sous son aile et est venu tous les jours 3 fois par jours pour voir si nous avions besoin de quelque chose ; notre amie Fadila, qui venait de perdre son mari, nous a hébergées pendant 15 jours, car nous ne pouvions pas dormir dans notre maison ; les parents des enfants se sont relayés pour que, chaque jour, il y ait au moins 5 personnes pour nous aider à enlever cette boue, sortir tous les meubles et jeter tout ce qui baignait dans la boue (3 camions). Les scouts sont même venus avec l’Imam de Naâma pour enlever la boue et l’imam lui-même a mis son bleu de travail, ses bottes en caoutchouc, et a raclé pendant toute une journée la boue de la maison des sœurs ! Nous avons été profondément touchées de tous ces gestes d’amour. Une personne a même écrit sur la page Facebook d’Aïn Sefra en arabe “venez aider les chrétiennes du centre-ville, elles ont été inondées”.
Notre frère Michel de Bel Abbès est venu nous aider une semaine et notre sœur Angela d’Alger est venue dix jours quand nous avons pu réintégrer la maison partiellement. Le père Jean Toussaint de Tlemcen est venu célébrer la messe avec nous le 1er jour où la chapelle a été propre. Nous n’avons jamais reçu autant d’amour ! Nous avons découvert combien les gens de cette ville nous aiment et combien nous faisons partie de cette population. Le wali nous a dit devant tout le monde: ”Vous vivez avec nous, vous êtes inondées avec nous, vous serez indemnisées comme nous.”
Après 20 jours de travail acharné de 8h du matin à 8h du soir la maison a été enfin nettoyée. Maintenant il faut reconstruire, car le carrelage s’est soulevé et la peinture est complétement à refaire. Tous les meubles sont cassés et il faut remplacer tout ce qui a été jeté. Heureusement des dons sont venus d’un peu partout, et un ami nous a vendu le carrelage à prix coûtant.
Alors oui presque tout nous a été enlevé mais nous avons découvert ce que veut dire “Dieu seul suffit”. A un moment c’est trop, alors on est obligé de tout lâcher et c’est là que nous avons pu faire cette expérience de “Dieu seul suffit”, de sa miséricorde infinie et de sa providence pour nous remettre debout. C’est aussi dans cette vulnérabilité et cette impuissance que nous avons pu laisser s’exprimer tout l’amour que les gens ont pour nous.
Et comme Dieu est infiniment bon nous avons eu la grâce, il y a 10 jours, d’accueillir notre nouvelle sœur Barbara qui vient de Pologne… Dieu est grand !