Le Père Pierre Téqui est un prêtre « Fidei donum », du nom de l’encyclique du pape Pie XII qui encourageait les diocèses riches en prêtres à envoyer des prêtres aider des diocèses moins pourvus. Normalement, avec l’accord de leur évêque, ces prêtres partent pour une période de trois ans, qui parfois se prolonge. Pierre Téqui, il y a trois ans, a donc quitté son diocèse de Perpignan pour rejoindre l’Église d’Algérie où il a servi dans le diocèse de Constantine et Hippone et dans le diocèse de Ghardaia. Voici son récit de cette période passée chez nous.
En 2020, j’ai demandé à mon évêque, en France à Perpignan, de me laisser partir en Algérie, pour trois raisons:
- D’abord parce que je me lassais de mon ministère de curé de paroisse : c’est un ministère qui m’épuisait autant qu’il me passionnait, avec énormément de sollicitations, et pourtant j’avais l’impression que tout ce travail ne portait pas beaucoup de vrais fruits, et j’aspirais à prendre du recul pour y voir plus clair.
- Ensuite, je sentais une crise intérieure gronder en moi, avec beaucoup de questions : pourquoi je souffre ? qui suis-je ? quelle est ma vocation ? ai-je de la valeur ? Et j’aspirais à prendre le temps d’affronter ces questions et d’y répondre, plutôt que de fuir dans l’activisme.
- La troisième raison pour laquelle je voulais partir, c’est que j’avais peur de ma vocation de prêtre. Je me sentais de plus en plus pauvre pour prêcher et pour être le ministre de Jésus, et j’avais très peur de cette pauvreté. Alors j’ai été tenté de fuir. Et une fois en Algérie, je me suis demandé si je n’étais pas ici comme Jonas dans le ventre de la baleine, avant de repartir vers ma mission.
Au-delà de ces raisons qui m’avaient fait partir, j’ai réalisé ici que Dieu avait ses raisons lui aussi de m’amener ici. Et je crois vraiment aujourd’hui que Dieu voulait m’amener ici pour me sauver, et me détourner de mes mauvaises habitudes et de mon infidélité, comme il dit dans le livre d’Osée : « L’épouse infidèle, je la conduirai au désert, et je parlerai à son cœur. »
Je me suis donc retrouvé à Alger à la rentrée 2021. J’y ai d’abord passé une année d’initiation aux Glycines, où j’ai pu faire la connaissance de l’Algérie, de sa langue, et de son Église.
Après quoi j’ai passé un an à Batna comme aumônier des étudiants, et en contact avec beaucoup d’Algériens qui rendent chaque jour visite à la paroisse.
Et puis j’ai poursuivi mon inspiration qui m’a conduit cette année jusqu’au diocèse du Sahara et à la paroisse d’El Meniaa, avec cinq missions :
- Aumônier des sœurs de Notre Dame de la Salette.
- Aumônier de prison. Nous avons 60 chrétiens à la prison d’El Meniaa et ce ministère a été pour moi une révélation, qui m’a vraiment passionné.
- Troisième mission : vivre la fraternité avec les Algériens au hasard des rencontres, qui sont assez simples à faire dans la vie de tous les jours à El Meniaa.
- Accueillir les visiteurs à l’église Saint-Joseph, et à la tombe de St Charles.
- Accueillir nos hôtes de passages à Dar Leclerc, où nous avons cinq chambres d’amis.
Ce que j’ai reçu en Algérie, c’est difficile à expliquer, et il y aurait beaucoup de choses à dire. Peut-être aussi que je ne saurai discerner que plus tard ce que l’Algérie m’aura vraiment apporté. Mais je me propose de vous citer au moins quatre points parmi d’autres :
- J’ai rencontré des gens admirables là où je ne m’y attendais pas : soit parce qu’ils étaient musulmans, soit parce que c’étaient des prisonniers. Les musulmans qui font les 5 prières m’ont impressionné, ceux qui font le ramadan m’ont impressionné, et j’ai rencontré plusieurs fois des gens dont j’ai été convaincu qu’ils agissaient sous la motion du Saint Esprit. J’ai compris que « l’Esprit souffle où il veut », et qu’il souffle plus particulièrement peut-être sur les pauvres. En prison j’ai croisé des pauvres qui sont livrés totalement au souffle de l’Esprit Saint. Et j’en suis resté impressionné…
- Deuxièmement, ces trois ans en Algérie m’ont confronté à la différence : notre Église internationale nous met en relation quotidienne avec des frères et sœurs qui n’ont ni la même langue maternelle, ni la même culture. Et l’Algérie m’a fait découvrir les musulmans, qui m’ont beaucoup parlé de l’Islam, et m’ont souvent questionné sur ma foi. Cette expérience de la différence m’a aidé à mieux discerner qui je suis, et à affirmer plus clairement mon identité. En Algérie j’ai choisi de nouveau d’être chrétien, j’ai choisi à nouveau d’être prêtre, et j’ai choisi aussi de retourner vivre ma mission dans mon diocèse, pour une nouvelle évangélisation de la France.
- En Algérie, j’ai appris à aimer une Église humble et petite. Avant cela je me rendais très souvent malheureux parce que je rêvais de perfection pour l’Église, et je la voyais pourtant toujours imparfaite et fragile. En Algérie, et dans notre petite Église, j’ai vu et expérimenté que l’Esprit Saint agit dans la pauvreté, et dans l’impréparation.
- Pour finir, j’ai fait ici l’expérience de mes propres limites. Une partie de moi rêvait qu’en Algérie, je devienne un contemplatif, et un intellectuel, mais c’était une illusion et cela n’est pas arrivé. Alors, je me suis rendu à l’évidence, et j’ai décidé d’accepter d’être moi-même pauvre et petit. Il me faudra du temps pour y arriver mais j’ai compris que c’était ce que je devais faire. Jusque-là ma pauvreté était pour moi une source de tristesse et de découragement. Mais à l’école des prisonniers, et à l’école des chrétiens algériens j’ai redécouvert le trésor de la miséricorde du Père, et de l’Espérance, et j’ai compris que la pauvreté était la piste de décollage de la vie dans l’Esprit Saint.
Pour ces quatre raisons, et pour beaucoup d’autres encore, je remercie l’Église d’Algérie, et chacun de vous, de m’avoir aidé à grandir durant ces trois années passées à votre école.
Père Pierre Téqui