Décès de Mgr Teissier, Hommage et Témoignages de Nadia Ait-Zai et Jean-Pierre Henry

Hommage à Monseigneur Teissier

Nadia Ait-Zai

J’ai connu monseigneur Teissier en 1984 alors que je croyais qu’il n’y avait plus d’église en Algérie après la nationalisation des écoles diocésaines, je pensais que celle -ci se résumait au cardinal Duval, car il était médiatisé et connu pour son engagement pour l’Algérie. Je prenais alors des cours d’arabe assurés par les sœurs libanaises aux glycines.

Je le rencontrais à l’Archevêché secondant discrètement monseigneur Duval (puisqu’il était son coadjuteur). Il était grand, bien droit, beaucoup de charisme, et discret. Sa stature m’impressionnait. Au fil des rencontres je découvrais non pas uniquement un homme de religion mais un homme au grand savoir, d’une grande culture, parlant plusieurs langues dont l’arabe et le Kabyle, un homme au grand cœur, passionné.

Il était entier, passionné dans ce tout ce qu’il entreprenait, il avait de l’énergie, Il allait vite, parfois en coup de vent ce qui désarçonnait un peu ses interlocuteurs mais c’était une qualité car il avait un mot pour tous ceux qu’il rencontrait.

Il était humble, modeste : Il savait aller vers les autres et leur proposer son aide. De grande culture, il partageait son savoir des religions, de la religion musulmane, il m’avait prêté un coran annoté de Hamidoullah, une belle version explicative de versets. Il croyait au dialogue inter-religieux. Il avait du respect pour la personne humaine.

Il était présent : J’ai perdu mon père en 2005, il était là chez moi, en silence et spontanément il a suivi le cortège funèbre emmenant mon père au cimetière d’el Alia. Quelle belle marque de respect de l’autre. De loin il était présent pour le décès de ma mère et de mon frère.

Il était généreux : il ne manquait pas de mettre la main à sa poche. Il en a aidé plus d’un. Je partais à New York pour une réunion sur les droits des femmes, il m’a sorti quelques dollars qu’il avait. Pour me les donner. C’était sa contribution à la défense des droits de la personne.

Quand il ne pouvait pas, il savait utiliser ses réseaux pour le faire, nous devions partir en chine en 1995 pour la conférence mondiale sur les femmes, nous étions deux et nous avions besoin d’un sponsor, il nous a introduit auprès de l’Ambassadeur d’Espagne qui a accepté de le faire. A mon retour de chine, intéressé par la question il m’a demandé de faire un compte rendu à la maison diocésaine de cette rencontre mondiale des femmes.

Il était fervent défenseur des droits de l’homme , lors d’une rencontre rapide à l’archevêché, il m’avait demandé si je voulais faire une présentation de l’encyclique du pape Jean-Paul II sur les droits de l’homme, j’ai dit oui avec plaisir, c’était un premier janvier ici à notre dame d’Afrique. Il croyait fermement comme l’écrivait le pape Jean-Paul II « que la personne humaine est le fondement de l’ordre social et qu’elle possède des droits inaliénables qui ne viennent pas de l’extérieur, mais naissent de sa nature même, de telle sorte qu’aucune contrainte extérieur ne peut les annuler ».

Il avait une « âme limpide » Il aimait l’échange et le partage. Soucieux des relations entre jeunes des deux rives : Aux colonies de vacances que nous organisions avec notre association culturelle en 1995, 1996, 1997, 1998, il tenait à ce que de jeunes animateurs français soient avec nous, échangent et partagent avec nos animateurs, ce qui les a d’ailleurs mutuellement aidés et enrichi.

Toujours présent à aider Nous avons vécu ensemble le séisme de Boumerdès et les inondations de Bab el oued.

Toujours A l’écoute des droits des femmes il a fait sien le projet d’ouverture du CIDDEF dans les sous- sols de la cathédrale. Il était pressé de voir ce projet se concrétiser, il l’a inauguré en 2002.

Il était Engagé dans les causes justes, l’indépendance de l’Algérie, La Palestine, ses homélies y faisaient référence. Il a traversé avec son église, la décennie noire avec beaucoup de courage, Solidaire avec le peuple algérien, son peuple.

Il était humain et sensible versant une larme au souvenir des 22 religieux assassinés et des 200 000 morts algériens. La présence de l’église, le courage de monseigneur Teissier, des religieux qui l’ont accompagné et ont accepté de ne pas nous abandonner, de vivre avec nous les heures sombres traversées nous a rapproché et nous a donné une leçon d’humilité, d’amour pour l’Algérie et pour son prochain. On ne quitte pas l’autre dans la tourmente.

Il se mettait en colère quand on lui posait la question de qui tue qui ?

Il avait la réponse et nommait sans hésiter les coupables.

Il était Rassembleur, Il savait mettre autour de sa table à déjeuner ou à dîner des personnes au même parcours ou susciter des rencontres entre personnes. A Noël ou à Pâques après la messe on partageait son repas. Son humour n’avait d’égal que sa prestance dans les échanges que nous avions.

Il était Agréable, simple, je l’ai accompagné en voyage à plusieurs rencontres dont celle de l’année de l’Algérie en France, nous étions à Lyon et nous avons parlé de notre Algérie lui et moi à un public subjugué par sa présence, une autre à Paris sur l’alliance des civilisations qui s’est tenue à l’Élysée du temps du président Chirac.

Il était élégant : Retraité, exilé à Tlemcen parce qu’estimé trop présent, trop connu, trop apprécié des Algériens les siens, il a su traverser en silence et élégance cette retraite forcée.

Nous avions hâte qu’il revienne à Alger, une fois revenu, toujours alerte, le cours de sa vie, de ses relations, de nos échanges, de nos rencontres les uns chez les autres, de nos discussions ont repris. Parti à Lyon, j’attendais son retour pour reprendre ce qui n’a jamais été interrompu une amitié sincère. Il y a encore beaucoup de choses à dire.

Merci monseigneur pour ce que vous avez été, pour ce que vous nous avez donné, pour votre exemple de vie et engagement sincère, merci pour votre amour pour l’Algérie et les Algériens dont vous faisiez partie. Vous êtes là parmi nous, vous êtes revenu chez vous.

Monseigneur je parle de vous au passé mais vous êtes et vous serez toujours présent parmi nous et dans nos cœurs.

Notre dame d’Afrique est celle qui nous unit à vous et à jamais.

Nadia Ait-Zai

Témoignage de Jean-Pierre Henry

C’est en 1955 que j’ai rencontré pour la première fois Henri Teissier, j’avais 19 ans ; à l’époque animateurs des scouts musulmans algériens et des scouts de France nous déjeunions chaque semaine à la pêcherie d’Alger et ces rencontres informelles se concluaient par un stage en commun ; Henri était notre aumônier à cette rencontre.

Ce n’est que beaucoup plus tard, à 32 ans, quand je suis devenu prêtre et que j’ai voulu faire de l’arabe au petit séminaire de Kouba à Alger, que j’ai retrouvé Henri Teissier. C’était un prêtre mais pour moi d’abord un ami. Puis Henri est parti à Oran comme évêque et je ne l’ai revu que quand il est devenu coadjuteur de Monseigneur Duval. Ce dernier lui faisait une confiance totale.

Devenu responsable du Centre des Glycines, Henri Tessier était apprécié de tous- apprécié mais pas « admiré »- ; malgré le haut niveau des débats dont il était l’âme, ses rapports restaient simples et conviviaux. Il n’en imposait pas en dépit de sa grande culture. C’était pour chacun une présence affectueuse, un proche. Il avait beaucoup d’humour.

Henri m’a chargé des archives historiques de l’Eglise d’Algérie. J’en étais très heureux : l’histoire de l’Eglise fait partie de l’histoire du Salut.

Henri était fermement opposé à l’initiative de San Egidio de réunir les différents partis de l’opposition algérienne. Néanmoins après le premier tour des élections législatives il avait rédigé un message pour préparer son Eglise à la venue d’un gouvernement islamiste. Le processus électoral ayant été arrêté ce texte n’a jamais été rendu public.

Il stimulait et accompagnait toutes les initiatives allant vers l’ouverture, d’où qu’elles viennent. Disponible partout où sa présence était sollicitée, c’est-à-dire tout le temps, il m’envoyait souvent à sa place à Rome pour le représenter à des conférences, si bien que j’ai du apprendre l’italien.

Je l’ai vu recevoir des journalistes dont les propos étaient hostiles à l’Eglise ; il se mettait en colère et se fâchait, mais jamais l’entretien ne se terminait sur ces dissensions : il entrait en dialogue avec son interlocuteur et créait entre eux une relation humaine.

Henri n’impressionnait pas, il créait du lien.

 

 

 

 

Église Catholique d'Algérie