De sa Pologne natale en Algérie !

Il y a 35 ans que Bozena MAJ est madame SEGMANE et vit à Annaba. Elle est une fille polonaise, épouse algérienne, mère de quatre enfants bien éduqués dont un fils et trois filles. Au travers de mille et une péripéties, elle s’est forgé une force mentale, un équilibre humain et spirituel, une volonté d’acier qui a donné le meilleur d’elle-même à son époux, à ses enfants et à son entourage. Tout en fleurissant elle-même, elle s’est investie à embellir la devanture de sa maison d’Annaba en venant à bout d’abord d’une tonne d’immondices qui y régnait. L’espace devant sa maison est tout en fleur. 

R. SANON : Comment es-tu devenue madame SEGMANE ?

Bozena S. : Il ne faut jamais dire : « jamais » tant qu’on est en vie, cette sagesse s’est imposée à moi. Jeune fille, quand je voyais quelques étudiantes se mettre en couple avec des étrangers, je m’imaginais mal en couple mixte : religion différente, pays différent. Je me disais : jamais je ne pourrais me marier à un étranger. Et pourtant c’est mon expérience aujourd’hui. En effet, il ne faut jamais dire : « jamais », car rien n’est impossible à l’amour. Nous nous sommes rencontrés, avec mon mari, pendant nos études en Pologne. Nous avons célébré notre mariage civil en Pologne. Après ces études, mon mari tenait à rentrer en Algérie pour participer au développement de son pays. La Pologne était en révolution, c’étaient les années ‘’Solidarnosc’’ et l’effondrement du bloc socialiste. Les deux premières années sont passées en allées et venues, et quand mon mari a terminé son service militaire, je suis restée définitivement en Algérie ; avec ma première fille déjà. Nos parents ont respecté notre choix, mais je sais que mes parents on souffert ne sachant pas vraiment comment j’allais vivre dans ce pays lointain et presque méconnu pour les polonais.

R. SANON : Que penses-tu de ton mari algérien, musulman?

Bozena S. : Mon mari était un homme ouvert ; instruit, intelligent, logique et plein d’idées ; on était jeunes, on voyait tout en rose ; on voyait une solution à tout. Avec lui, je n’avais pas peur. Je n’étais pas consciente de ce qui m’attendait en Algérie, en tant que chrétienne, mariée à un musulman. J’étais jeune, confiante en la vie et en l’homme que j’aimais, sans contact réel avec le monde musulman. Mon mari en était plus conscient que moi, il savait les risques, les inconvénients de notre union. Il a vu beaucoup de couples mal finir. Il s’est engagé à me protéger. Il me disait, « ne t’en fais pas, je suis là. » Il se sentait responsable de moi, jusqu’à sa mort en 2014. Il allait à l’essentiel. Grâce à mon mari, un homme sociable, je découvrais la vie réelle en Algérie, nous avons fait des amis ; ma belle famille me respectait, je n’ai pas eu de problème avec elle. Avec 30 ans de mariage, mon mari et moi, nous nous comprenions même sans parole. Mon mari enseignait à l’Université et aimait travailler.

R. SANON : Qu’elle est ta vie en Algérie en tant que chrétienne et épouse algérienne ?

Bozena S. : En Algérie je ne pouvais pas prétendre à un poste de travail. Mon mari a essayé de me trouver un emploi selon mon diplôme. Mais ce n’était pas facile. Ne sachant pas m’ennuyer, allergique à la paresse, je me suis mise à la couture au profit de ma famille et de mon entourage. Je faisais aussi de la décoration et je me suis fait connaitre comme couturière ; j’ai été occupée à l’éducation de mes enfants, le ménage, la cuisine… On passait aussi beaucoup de temps à la campagne , dans un terrain familial, abandonné. Nous y avons construit une petite maison. Nous avons planté des oliviers, et différents arbres fruitiers. Mon mari s’était beaucoup investi dans ses terres natales, il travaillait avec la mairie locale dans des projets dans cet endroit. J’adore travailler la terre. J’aime ce qui est propre et beau.

R. SANON : Et tes relations avec ton entourage algérien ?

Bozena S. : Ils savent que je suis chrétienne ! Je m’adapte et je ne provoque pas. Mes voisins sont adorables, accueillants, généreux, attentifs. On vit bien ensemble. Certains sont impatients pour ma conversion et pour mon bien disent-ils souvent : « On vous connaît, vous êtes si bien, seul l’islam vous manque… » Je suis une curiosité. Je leur réponds toujours calmement en disant : « Nous avons les mêmes principes ; bien vivre avec Dieu et le prochain. La religion n’est pas comme la politique pour changer par caprice. » Je ne maîtrise pas bien l’arabe, mais je me fais comprendre ; au marché et partout où je passe. Je lis le Coran pour mieux comprendre les gens. Mon mari a été longtemps malade ; toujours des portes s’ouvraient pour nous aider. Les amis, les médecins, les amis de nos amis intervenaient, orientaient. La maladie et la mort de mon mari sont des souvenirs douloureux. J’étais en ce moment partagée entre le choc de la fatalité, l’espoir, le besoin d’un miracle tout naturellement. Les algériens m’ont aidée à porter l’épreuve de la maladie de mon mari. J’ai beaucoup d’amis ici, et ils sont toujours là, à mes côtés, après la mort de mon mari, toujours prêts à apporter de l’aide dans ma vie quotidienne.

R. SANON : Et tes enfants entre un père algérien et une maman chrétienne ?

Bozena S. : Des gens essayaient de questionner mes enfants sur notre vie. Ils sont vus comme des enfants d’une femme non musulmane. On leur posait beaucoup de questions à l’école. Ça fragilisait les enfants un tant soit peu. Mon mari dictait aux enfants les réponses aux questions en les exhortant à ne point en faire un souci majeur. Il les aidait ainsi à la résilience. Maintenant, ils sont grands, ils s’assument et je constate que, vivant dans une ambiance de deux religions et deux cultures, ils sont devenus plus forts pour comprendre l’essentiel de la vie. Mon mari était rigoureux pour l’éducation des enfants, il maîtrisait bien l’arabe et les matières scientifiques et c’était lui qui encadrait les enfants pour leurs études. Ils ont tous fini des études supérieures et travaillent. Ils ont déjà fondé leur propre famille sauf ma benjamine.

R. SANON : Et ta vie chrétienne alors ?

Bozena S. : A la mort de ma mère en Pologne, pendant la décennie difficile en Algérie, j’étais dans l’impossibilité de m’y rendre. Une amie m’a conseillé d’aller à la paroisse, demander une messe à ses intentions. C’est ainsi que j’ai fait la connaissance de la communauté chrétienne à Annaba et de notre curé. Il m’a accueillie, écoutée et restaurée dans ma dignité de chrétienne. Comme le « Bon Samaritain » de l’Evangile, il m’a soignée et a pris sur lui ce qui faisait mon blocage depuis mes dix années de mariage avec un musulman c.à.d. sans mariage à l’Eglise. C’était comme une révélation, un immense soulagement. Merci au père Gérard !

L’église d’Algérie est en mouvement, vivante dans sa simplicité, et profondément humaine, on a le droit de se poser des questions, et c’est même encouragé. C’est comme ça qu’on peut évoluer, être en marche. C’est ici que j’ai compris beaucoup de choses, en côtoyant un autre monde, j’ai fais du chemin. Ma religion, je la vis bien ici. Nous faisons l’homélie ensemble et ça nous aide à nous écouter et à nous exprimer dans le partage réciproque. Pendant la longue maladie de mon mari, l’Eglise m’accompagnait dans la prière, venait aux nouvelles, demandait à m’être utile. Cette question revenait souvent : de quoi as-tu besoin ? Merci encore à chacun.

R. SANON : Regrettes-tu ta vie en Algérie ?

Bozena S. : Je ne sais pas qui je serais devenue en restant en Pologne, j’ai acquis la maturité ici en Algérie. Il ne faut jamais dire : « jamais » tant qu’on vit. Je ne m’imaginais pas dans un mariage mixte et pourtant…

Propos recueillis par Rosalie SANON, SAB.

7 Juil 2021 | A la une, Témoignages

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