Confinés, de quoi discutiez-vous en chemin?

Le confinement a été aussi une source d’inspiration, continuons à profiter de cette grâce du moment, à marcher au-dedans ; ces lignes comme une histoire qui nous est contée en Afrique … et qu’elle nous garde dans l’envie de la rencontre toujours à espérer, toujours à venir…

– De quoi discutiez-vous tout en marchant ?

Telle fut la première question que nous a posée ce voyageur mystérieux, au visage caché par un masque artisanal. Nous, Albert et Christian, avions quitté la ville de X, il y a trois jours, dès que le gouvernement avait annoncé un confinement. Nous sommes du même village et nous avons décidé d’y retourner rapidement, car notre travail dans le bâtiment allait s’arrêter. Il fallait tenter d’aller survivre au village, plutôt que de mourir de faim dans notre ghetto. On était payés à la journée.

Ce fut Albert qui répondit le premier à la question du voyageur :
– Du coronavirus bien sûr !
Albert n’arrivait pas à dire coronavirus. À sa décharge, ce mot lui était inconnu la semaine dernière. Il ne savait pas écrire et sa famille avait eu d’autres soucis que de l’envoyer à l’école.

Oui, on parle de cette maladie qui nous fout la vie en l’air. Et pas que la nôtre.
Mais toi d’où tu viens ? Tu ne savais pas ? Mais si, puisque tu as un masque.
Pas nous, introuvables ces trucs dans notre quartier.

L’homme au masque nous fit parler un bon moment. On l’a trouvé plus sympathique, peu à peu. Il s’est intéressé à notre vie de famille, de travail, de village, à nos religions. On a causé librement. De temps en temps, il citait un texte du Coran, et même du livre des chrétiens. Albert s’étonnait. Mais il avait l’air de connaître aussi la science, la médecine. Il nous a remonté le moral.
On avait l’impression qu’il comprenait nos malheurs. Mais comment ? Il n’avait pas l’air basané comme nous, ni trop maigre. J’ai vu sur ses mains des cicatrices, peut-être un accident…

On est arrivé dans un village, apparemment plus sympa que celui d’hier d’où on s’est fait jeter.
Il allait faire nuit. On se demandait ce qu’on allait faire, avec cette faim depuis trois jours. C’est vrai que nos religions nous ont habitués au jeûne, mais quand même.
À ce moment, le gars nous dit :
– Allez, on s’arrête ici un moment.
Nous, on pense vite : qui va payer ? Le gars ajoute :
C’est moi qui vous offre le repas ce soir !
On s’est regardés, en silence, mi-souriants, mi-inquiets. C’est peut-être bon à prendre…

Tous les trois assis sur les petits bancs de la dame qui vendait de la soupe aux haricots. On mange, on le regarde, lui silencieux, comme s’il faisait une prière. Puis, avec un beau sourire, il nous souhaite un bon appétit. Pas difficile ! Premier repas depuis trois jours, ça réchauffe le cœur.
Puis il dit:
Il y a un vendeur de mainama là-bas, allez en chercher une bonne part. Je vous rembourserai.
Dès qu’on a fini la soupe, on file vite. Quand on revient, plus personne ! Le choc !
Heureusement, la dame arrive :
– Tenez ! Votre compagnon au masque, il a payé les soupes et il m’a demandé de vous donner ces billets pour la suite du voyage.
Nous deux :
– Mais vous le connaissez ?
– Vaguement, il me semble que je l’avais vu l’autre jour, mais avec son masque…

Albert et Christian, nous voilà repartis sur la route, sans attendre, on avait envie d’en parler à la famille, de ce truc incroyable. Tout d’un coup, un éclair. Je dis à Albert :
– À l’école chez les sœurs catholiques, il y avait dans une salle un monsieur qui m’intriguait : il avait l’air d’être cloué sur une planche. Il était mort bien sûr.
Et alors, Albert me dit :
– Le gars au masque, t’as vu ses mains ?
– Oui j’ai vu ses mains et même aux pieds, il avait des cicatrices pareilles. Ce ne serait pas lui ?

Le christianisme implique une relation à l’événement qui l’a instauré, Jésus-Christ ; être chrétien, c’est croire en la possibilité que l’événement ouvert par la parole de l’Évangile puisse ainsi devenir un événement pour moi. (D. Collin)

Combien d’Emmaüs n’avons-nous pas vécus en Algérie ?

Martine Devriendt avec Bernard Colombe

 

 

Église Catholique d'Algérie