Le va-et-vient des religieux et religieuses en Algérie ne ralentit pas ! Exemple avec sœur Danuta qui, après presque trente-cinq années en Algérie va quitter le diocèse d’Oran pour une nouvelle mission. Elle nous parle de sa mission en Algérie et de ce qui l’attend.
Danuta, sœur blanche, depuis combien d’années êtes-vous en Algérie? Quelles ont été vos activités durant cette période ?
Je suis arrivée en Algérie il y a presque 35 ans. J’ai d’abord été à Alger, où j’ai commencé par deux activités principales. La première était de travailler à la bibliothèque des Glycines. C’est mon métier, et j’ai été envoyée là-bas. Cela m’a permis de rencontrer des étudiants, des professeurs et des intellectuels algériens. C’est ainsi que j’ai véritablement appris l’histoire, la culture et tout ce qui touche à la société algérienne, grâce aux rencontres avec les personnes qui fréquentaient régulièrement la bibliothèque.
Ma deuxième activité consistait à travailler avec la jeunesse, notamment avec des jeunes à la maison diocésaine. Je faisais partie de l’équipe qui animait un groupe de jeunes. À l’époque, il y avait encore beaucoup de chrétiens, donc nos activités tournaient aussi autour de la foi chrétienne : groupes bibliques, partage de la Parole de Dieu. Mais il y avait aussi des activités pour les jeunes chrétiens et musulmans ensemble, principalement des activités sportives et culturelles : sport, musique, danse, théâtre et la bibliothèque. J’ai également travaillé à la bibliothèque des Sœurs Blanches les Palmiers, cela pendant deux ans.
Au moment des événements durant la guerre en Algérie, dans les années quatre-vingt-dix, la congrégation m’a demandé de partir. J’ai quitté l’Algérie à ce moment-là, j’étais encore un jeune professe.
Quand je suis revenue en Algérie, cinq ans plus tard, j’ai été nommée à Oran. J’ai commencé à travailler à notre bibliothèque, et j’y suis restée jusqu’à aujourd’hui. Aujourd’hui, nous avons réduit les heures d’ouverture de la bibliothèque, malgré cela elle continue à bien fonctionner, avec différentes activités culturelles : clubs de lecture, ateliers de bien-être, jeux de société, et des activités manuelles avec du carton mousse, et j’espère que ces activités persisteront.
Il y a quelques années (je ne me souviens plus exactement de la date), j’ai commencé à faire partie de l’aumônerie de prison, en m’engageant à visiter nos frères et sœurs. Pendant plusieurs années, je n’aie visité que des hommes ; j’ai commencé cette activité avec le Père Thierry, qui m’a beaucoup aidée à comprendre l’enjeu de ces visites aux frères incarcérés. Ce fut une expérience pleine de grâce pour moi. J’ai beaucoup appris et reçu de ces rencontres avec des jeunes hommes, qui étaient là pour diverses raisons, mais que je trouvais toujours d’une grande dignité dans l’épreuve, avec une foi profonde et une confiance inébranlable en Dieu. J’ai énormément reçu pendant cette période, tant pour ma foi que pour ma vie personnelle. Je rends grâce au Seigneur pour ce temps.
Que gardez-vous dans votre cœur de toutes ces années en Algérie ?
Ce que je garde de l’Algérie, c’est surtout beaucoup d’amitié et de bienveillance. C’est un pays vraiment déroutant et parfois difficile à vivre, mais qui offre en même temps de nombreuses possibilités et opportunités de rencontre et de partage.
Nous nous enrichissons mutuellement en découvrant que, finalement, nous ne sommes pas si différents. Par exemple, certaines périodes de l’histoire algérienne ressemblent beaucoup à celles de mon pays, la Pologne. J’ai reçu beaucoup de bonnes choses de la part des Algériens. Je rends grâce au Seigneur pour cela.
Un grand enrichissement pour moi a été l’arrivée des étudiants subsahariens et des migrants en Algérie, surtout au niveau de la paroisse. Ils nous ont apporté une ouverture dont nous avions vraiment besoin en vivant comme chrétiens dans un pays musulman. Depuis leur arrivée, ils se sont massivement engagés dans la vie paroissiale. Notre vie de foi et nos prières ont été grandement enrichies. C’est une expérience unique que l’on ne peut pas vivre partout. C’est vraiment quelque chose de spécifique que j’ai vécu ici. Ce multiculturalisme, à un niveau très modeste et avec des gens simples comme nous tous, est vraiment merveilleux. Ce ne sont pas des gens des ambassades ou des puissants de ce monde.
Cette amitié ne se limite pas à l’Algérie. À travers les migrants et les prisonniers, j’ai pu entrer en contact avec les familles de ces personnes dans le monde entier. Certaines familles se sont confiées à moi et m’ont partagé tant de choses de leur vie familiale, y compris des secrets que je ne pouvais révéler à personne, même pas à leurs proches en Algérie. J’ai toujours été sidérée par la confiance que ces familles m’ont accordée.
Vous partez pour Rome, quelle sera votre nouvelle mission ? En êtes-vous heureuse ?
Quant à ma nouvelle mission, au fond de moi, je la désirais déjà depuis un certain temps. Donc, quand la demande m’a été faite, j’étais tout simplement heureuse !
Ma mission consistera à faire partie d’une petite équipe de trois sœurs, chargée de gérer nos maisons des sœurs âgées en Europe et en Amérique. Mais surtout, nous serons responsables de visiter nos sœurs âgées.
Comment ce désir est-il né en moi ? J’ai toujours eu des contacts avec nos sœurs âgées, avec qui j’ai vécu en mission tout au long de ma vie. Pendant la pandémie de Covid-19, nous avons eu plus de temps, et ce temps de confinement était propice pour contacter les personnes vivant seules. Cela m’a permis de prendre contact avec plusieurs sœurs. J’ai même participé à des réunions intercommunautaires en France, au Canada et ailleurs. J’avais vraiment un désir profond de rejoindre ces sœurs âgées. Je me disais que j’aimerais vraiment aller à leur rencontre, les écouter et partager ce que nous avons vécu chacune dans la mission.
Quand la demande m’a été faite de rejoindre cette équipe, il y a deux mois, j’ai eu la conviction que le Seigneur répondait à un désir fort que je portais en moi, sans en être pleinement consciente auparavant.
Propos recueillis par Didier Lucas