Cardinal Vesco: «En Algérie, le jubilé aura un grand écho»

L’archevêque d’Alger fait partie des 21 nouveaux cardinaux créés par le Pape lors du consistoire du 7 décembre. Dans un entretien accordé à Radio Vatican-Vatican News, il revient sur son identité de religieux dominicain dans ce collège cardinalice, mais aussi sur les défis de l’Église en Algérie, et les fruits à venir de l’année jubilaire.

Olivier Bonnel – Cité du Vatican

Lundi 9 décembre, à l’issue d’un week-end riche en émotions au cours duquel il a été crée cardinal lors du Consistoire, Mgr Jean-Paul Vesco s’est arrêté dans nos studios pour nous confier comment il avait vécu ce moment unique dans sa vie de religieux et d’évêque. Encore étonné par le désir du Pape de l’avoir appelé au Sacré Collège, il témoigne aussi de la signification de cette barrette reçue des mains de François pour l’Algérie, un pays dans lequel il vit depuis une vingtaine d’années et dont il a la nationalité.

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Comment avez-vous vécu ce consistoire?

C’est un moment extraordinairement particulier, extraordinairement fort, extraordinairement inattendu, que j’ai reçu comme un appel à me renouveler profondément, intérieurement. Le terme de «création» est employé, il me paraît un peu anachronique, et pourtant je l’ai reçu au plus profond. Ce qui est particulier dans cette nomination, cette création, c’est qu’il n’y a pas véritablement un changement de fonction. Je reste archevêque d’Alger. C’est à la fois évidemment une dimension honorifique, mais au fond, ma question est pourquoi? Pourquoi je n’en ai pas besoin pour pour être l’archevêque que je suis?

Bien sûr, à la marge, on voit bien qu’il y a de l’intérêt pour la place de l’Église dans l’Algérie, pour cette reconnaissance pour l’Algérie, mais tout ça, ce sont des conséquences secondaires, et je reste profondément interpellé par cette question. Je ne suis pas meilleur que les autres. Beaucoup d’autres pourraient être cardinal. Ce n’est pas une récompense parce qu’une récompense est donnée au bout d’un chemin et je ne suis pas au bout de mon chemin, je suis dans ma course. Je quitte Rome avec ce « pourquoi ? », mais dans la confiance. Parce que ce « pourquoi » a trouvé son apaisement dans l’échange de regards avec le Pape François.

Durant le consistoire, vous avez gardé votre habit blanc de domincain. Pourquoi? Qu’est ce que cela représentait pour vous de garder cet habit au milieu des autres habits pourpres?

C’était une vraie décision qui, pour moi, m’a mis profondément en question. J’ai passé beaucoup de temps de réflexion, ce n’était pas du tout un coup de tête. Il y a plusieurs raisons. D’abord, tout simplement, c’est traditionnel, c’est dans le droit canon. Pour les évêques religieux, l’habit religieux tient lieu de soutane. Ce n’est pas du tout un uniforme, mais simplement l’habit de ville du prêtre diocésain, qui était traditionnellement en soutane, a été noir quand il était, quand il est prêtre. S’il devient évêque, elle devient violette ou avec une ceinture violette, et s’il devient cardinal, elle devient rouge avec ou avec une ceinture rouge. Mais ça reste une soutane et ça reste l’habit de vie du prêtre. Pour nous, religieux, notre habit de vie, c’est notre habit religieux et pour moi il est dominicain. Cela avait donc du sens pour moi de signifier aussi l’existence de cette règle-là avec la bénédiction du Saint-Père, et donc d’être créé cardinal dans l’habit dans lequel je suis entré dans l’Église.

La deuxième raison, c’est un clin d’œil à saint Pie V au XVIᵉ siècle, un Dominicain élu Pape qui décide de ne pas être en rouge comme ses prédécesseurs, mais de rester dans son dans sa bure, dans son habit religieux. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui, depuis Saint Pie V, les Papes sont en blanc dans un habit qui ressemble à l’habit dominicain.

Enfin, c’était aussi un signe de fraternité et de solidarité fraternelle avec mon frère Timothy (le père Radcliffe, ancien maitre de l’ordre des Dominicains, lui aussi créé cardinal le 7 décembre, nldr) qui, n’étant pas évêque, étant véritablement dans son ethos de dominicain, n’imaginait pas, dès lors que c’était possible, ne pas revêtir cet habit rouge. Rester en habit blanc était une vraie question pour moi, et loin de moi la volonté de me singulariser par rapport aux frères et au collège qui m’accueillait. J’avais un véritable dilemme intérieur, mais j’ai été heureux de rentrer dans ce collège, dans mon habit dominicain. En revanche, c’est aussi une soutane dite de chœur et les prochaines fois où je serai dans ce chœur des cardinaux, je serai comme les autres cardinaux, en rouge.

Vous vivez depuis une vingtaine d’années en Algérie, pays dont vous avez d’ailleurs acquis la nationalité, que représente pour cette Église et ce peuple qui a souffert, le fait d’avoir été incorporé au collège des cardinaux?

Je pense que c’est effectivement un très beau signe de reconnaissance et nous en avons besoin. Quand on est en situation d’extrême minorité, notre Église a besoin de ce signe qui donne de la force qui dit cette proximité avec nous qui sommes aux périphéries. C’est un lien avec le centre de l’Église, qui est perçu comme ça par les autorités algériennes et donc c’est un très beau cadeau. Je suis très heureux de ce que j’ai vécu pendant ces deux jours. Mon rêve aurait été de le vivre avec, avec toute l’Église d’Algérie rassemblée ici, parce qu’il y a eu énormément d’énergie, mais seulement une petite délégation, un petit troupeau d’Algérie pouvait être là, pas plus. Et j’aimerais dire que c’est notre église qui est devenue cardinale.

L’Algérie est une terre de dialogue avec l’islam, vous en êtes un des premiers témoins. C’est une terre aussi qui a beaucoup souffert avec une dramatique guerre civile. Une terre où se jouent aujourd’hui des oppositions, des fractures. En quoi l’Algérie est-elle aussi une terre de dialogue et peut être aussi une terre de réconciliation?

C’est une terre blessée, une terre profondément blessée. L’Algérie est blessée dans son histoire, pas seulement la dernière décennie, ou par la guerre d’indépendance, mais blessée par des colonisations successives. Et pour moi, ce que j’aimerais, c’est que cette blessure finisse par se cicatriser. Pour cela, il faut pardonner, et pour pouvoir pardonner, il faut aussi qu’il y ait une demande. Ça c’est une vraie fracture. Et puis cette terre est sur une de fracture de la Méditerranée. Toute la Méditerranée est devenue une zone de fracture: la Syrie, le Liban, la Palestine et puis si on étend jusqu’à la mer Noire, on est tout de suite en Ukraine. Nous sommes dans un bassin où la Mare nostrum, notre mer, est devenue une ligne de fracture. C’est important et c’est perçu comme tel par le Pape François et on le sait bien, on le voit bien. Sur cette ligne de fracture se joue la confrontation entre le monde arabo musulman et l’Occident, se jouent des langues et des cultures.

L’Algérie c’est aussi la porte de l’Afrique, c’est la migration. C’est un pays extraordinairement jeune qui est traversé par des immenses défis et qui porte une immense blessure. Voilà, c’est là où je suis. Et avec ça, il faut composer, comprendre, être patient, aider, et surtout aimer.

“L’Algérie est un pays extraordinairement jeune qui est traversé par des immenses défis et qui porte une immense blessure. Voilà, c’est là où je suis. Et avec ça, il faut composer, comprendre, être patient, aider, et surtout aimer.”

La rive sud de la Méditerranée est une «terre de cardinalat» puisque votre voisin, le cardinal Cristóbal López Romero à Rabat, a lui, été créé cardinal en 2019. Qu’est-ce que cela signifie pour l’Église que cette rive sud revienne au cœur de la préoccupation du Pape et de l’Église universelle?

Avec le cardinal Cristobal à la fin du consistoire nous étions ensemble et nous disions «et si nous pouvions aller voir nos responsables politiques ensemble pour essayer de dire: voilà, il y a deux cardinaux, là, quel message on a à dire?» Je sais que ce n’est pas possible parce que ce sont des logiques qui nous échappent complètement, et pourtant on doit travailler à la paix. Chaque chrétien est appelé à travailler à la paix et donc évidemment, les cardinaux aussi. En tout cas, c’est effectivement un beau signe posé par le Pape François.

Très franchement, à vue humaine, ça rendait impossible que je sois nommé cardinal. Notre conférence épiscopale de dix évêques comptait deux cardinaux, on peut comprendre mon étonnement et ma surprise. Mais voilà, c’est ce qu’a voulu le Pape François, et nous le recevons comme une mission davantage que comme un cadeau.

Quel visage africain a votre Église d’Algérie? Quel est son dynamisme?

Son dynamisme propre tient à son contexte qui est celui d’être, pour ce qui concerne l’Algérie, la Tunisie ou le Maroc, d’être des Églises sur des terres où le christianisme a disparu. C’est un phénomène unique dans l’histoire. Dans le nord de l’Afrique, le christianisme a disparu pendant des siècles. Il est revenu par les colonisations, mais il n’a pénétré l’âme d’aucun de ces pays. Et donc évidemment, ce n’est pas du tout la même position que les Églises du Sahel par exemple. Notre défi, c’est d’être tout de même une Église vraiment catholique, c’est à dire ancrée dans ce pays-là et la diversité des nationalités. Notre Église, au moindre rassemblement, c’est 60 nationalités. On ne peut pas être une Église nationale et on ne veut pas l’être et on ne veut pas être une Église étrangère. On veut être une Église vraiment catholique, c’est à dire qu’il y a un enracinement dans le pays, une inculturation et une ouverture à l’universel par la multiplicité des nationalités. C’est une composition qui est effectivement unique en son genre sur la terre d’Afrique.

Mais à la fois chez nous, tous nos liens nous relient à cette Afrique, parce qu’une grande partie des membres de nos églises sont de ce continent-là, une grande partie de nos prêtres, religieux et religieuses aussi. Par exemple, il y aura au mois de février prochain le 125ᵉ anniversaire de la fondation de l’Église du Burkina, par l’arrivée des Pères Blancs qui sont partis de Notre-Dame d’Afrique, d’Algérie. 2025 sera aussi l’année du 200ᵉ anniversaire de la naissance du cardinal Lavigerie, le fondateur des Pères Blancs et des Sœurs Blanches. Et je rêve de participer avec une petite délégation de notre église qui partira de Notre-Dame d’Afrique et qui ira signifier ce lien historique. Nous avons donné et maintenant nous recevons beaucoup.

Dans quelques jours, s’ouvrira le Jubilé sur le thème «Pèlerins de l’espérance», quel écho va t-il prendre dans votre Église d’Algérie?

Pour nous, il va avoir un grand écho, parce que ce jubilé marque 2025, donc c’est 25 ans après l’année 2000, qui est pour nous une année charnière, parce que c’est la fin des dix années de guerre civile, on ne sait pas comment l’appeler… « guerre idéologique », « conflit intérieur » dans laquelle 19 des membres de notre Église, dont les moines de Tibhirine, Mgr Pierre Claverie, ont trouvé la mort. Tout d’un coup, il y a une vie dans ce pays après ces années de terrorisme.

À ce moment-là, l’Église est celle des Bienheureux, mais 25 ans ont passé et elle s’est profondément transformée. 2025 sera donc un bon moment pour regarder en arrière, pour après pouvoir nous lancer une année jubilaire. Ce jubilé est aussi un moment pour ouvrir des portes d’espérance, c’est très beau. On a tellement de portes à ouvrir dans nos communautés, pour que l’on soit des témoins d’espérance aujourd’hui dans ce monde. Et puis une année jubilaire, c’est une année de demande de pardon, et je crois qu’il n’y a pas d’espérance sans assurance d’un pardon. Les deux se nourrissent. Je crois que nous avons que notre monde d’aujourd’hui a vraiment besoin d’une année jubilaire, d’une année de demande, de pardon, d’ouverture de portes et d’espérance.

 

Église Catholique d'Algérie