Vous vous réclamez d’Augustin ?
Pour vous, qui est-il ?
L’élection du pape Léon XIV a suscité de l’intérêt en Algérie.
Elle a d’abord provoqué la surprise : « Je suis fils de saint Augustin ». Cette connivence avec une figure algérienne a été source de joie, d’autant qu’elle a été confirmée par les traces de sa venue à Hippone à la basilique Saint-Augustin en 2013, et par des paroles fortes sur Souk Ahras, l’antique Thagaste, lieu de naissance d’Augustin.
Mais voilà que cette joie se double d’un certain étonnement : Que représente donc Augustin pour le pape ? Comment peut-on se dire fils d’Augustin ?
Et la question se prolonge : Et pour vous, chrétiens d’Algérie, pères et sœurs inspirés par la règle d’Augustin, chrétiens qui avez choisi son prénom, diocèse de Constantine qui se tient sous son patronage, que signifie votre référence à Augustin ? Est-elle formelle, manière d’assumer l’héritage local ; est-elle intellectuelle, est-elle purement historique, ou d’un autre ordre ?
La question est bien sûr en filigrane celle des Algériens eux-mêmes : Que peut inspirer ce personnage du passé aux Algériens aujourd’hui, cet évêque chrétien aux Algériens musulmans : fierté qu’un fils de la terre d’Algérie soit allé enseigner jusqu’au sommet de l’empire romain ? qu’il soit connu et étudié dans les universités du monde entier ?
Peut-on imaginer qu’il soit référence pour nous pour des raisons différentes, que notre revendication d’une commune filiation repose sur une ambiguïté ? ou bien peut-on avoir des raisons communes de nous dire « fils d’Augustin » ?
Je vais tâcher d’y répondre pour ce qui me concerne, et serais heureux que d’autres apportent aussi leur contribution.
Je ne suis pas un spécialiste de la pensée d’Augustin. Je connais des passages de ses œuvres qui m’ont touché. Mais je suis surtout sensible à quelques aspects de sa personnalité.
Chercheur de la vérité
Augustin apparaît comme un infatigable chercheur de ce qui lui paraît juste et vrai. Ayant reçu de sa mère une éducation chrétienne, la tradition reçue de son entourage ne lui suffit pourtant pas. Il la met à l’épreuve, mène une recherche philosophique et spirituelle pendant de longues années, et, s’il revient à la foi de sa mère, c’est ayant charpenté ses convictions.
Le récit de sa recherche, dans « Les confessions », n’est pas sans faire penser à un autre ouvrage1, المنقذ من الضلال, d’une autre sommité de la réflexion théologique, Abû Hâmid el-Ghazâlî (mort en 1111).
Contre toutes paresses intellectuelles et spirituelles, l’ardeur d’Augustin à lire, chercher, réfléchir et approfondir m’est un bon stimulant ; et aujourd’hui où circulent facilement rumeurs, fake news et manipulations de toutes sortes, la rigueur d’Augustin me paraît un bon exemple.
Bâtisseur de l’unité
Quand Augustin parvient à l’épiscopat (395), l’Eglise est très divisée à cause du schisme donatiste, né d’un refus de proposer un chemin de pardon et de réintégration dans l’Eglise pour ceux qui avaient renié leur foi au temps des persécutions menées par les romains contre les chrétiens. La division est telle qu’il y a dans beaucoup de villes une double hiérarchie ecclésiastique, un évêque catholique et un évêque donatiste ; et la cathédrale donatiste d’Hippone est plus grande que la cathédrale catholique d’Augustin.
A force de rencontres et d’explications, Augustin va parvenir à ramener l’unité dans l’Eglise autour d’une attitude de miséricorde à l’égard des pécheurs. Ces deux éléments, du souci de l’unité et de faire prévaloir la miséricorde sur le rigorisme, me semblent fondamentaux. Dans une société où la défiance et les divisions sont si fortes, la figure d’Augustin me semble très stimulante.
Soucieux de cohérence
La colline d’Hippone, l’antique Annaba au temps de la Numidie romaine, est le lieu de trois institutions : la basilique, la maison de personnes âgées tenue par les Petites Sœurs des Pauvres, et la maison des Pères Augustins dont le tiers de la surface est une bibliothèque. L’Eglise a tenu à garder l’équilibre auquel veillait Augustin lui-même : honorer Dieu dans la prière, dans le service des pauvres et dans l’étude et la réflexion.
Cet équilibre me paraît un point de repère important dans la vie d’un croyant, aujourd’hui encore.
Témoin de fraternité
Augustin n’habitait pas seul. Il habitait avec ses prêtres. Plusieurs amis d’Augustin quand ils sont devenus évêques ont adopté le même principe : Alypius à Thagaste (Souk Ahras), Possidius à Calama (Guelma), … Il attachait beaucoup d’importance à cette vie communautaire qui lui paraissait encourager une vie de partage, simple, pure et non-oisive. Il a énoncé quelques principes de vie communautaire qui inspirent jusqu’à aujourd’hui beaucoup de congrégations religieuses.
J’aime cet encouragement à tous ceux qui ont une mission commune, et en particulier aux prêtres d’un même diocèse, pour vivre une vraie proximité, un partage entre eux.
Dans cette vie communautaire et sa vie de pasteur d’Hippone, Augustin a été, semble-t-il, un vrai père, encourageant, stimulant, corrigeant éventuellement, aidant chacun à prendre toute sa stature, dans sa communauté, dans son propre diocèse et pour l’Eglise d’Afrique du Nord.
Dans son ministère d’évêque de Rome et de pasteur universel, nous pouvons souhaiter au Saint-Père Léon XIV d’être un vrai père pour tous les hommes épris de vérité, d’unité, de cohérence et de fraternité !
Et vous, si vous vous réclamez d’Augustin, qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Michel Guillaud, administrateur du diocèse de Constantine et Hippone
28 mai 2025
1 El-Munqidh min ad-dalâl La délivrance de l’erreur, édition bilingue, Albouraq Editions, 2013.