Billet de l’évêque « SOUMIA »

Un an seulement depuis que je suis arrivé en Algérie. Je découvre. Chaque jour. Beaucoup. Et j’espère ne jamais cesser de découvrir. Car sans l’émerveillement continu de la découverte, on flétrit rapidement comme une plante qui manquerait de lumière.

Au « Mémorial pour notre prière en islam », à la date du 25 mars, je découvre la figure de Soumia LAMRI, qui mourut d’un cancer des os à Aïn Sefra le 25 mars 1999, au jeune âge de 17 ans et demi, après trois ans de lutte contre la maladie.

Le Père François COMINARDI, de la Société des Pères Blancs, qui rejoindrait Soumia dans la lumière six ans plus tard, écrivait: « Malgré trois opérations le mal se généralise. Elle se sait condamnée à brève échéance et, bien que croyante, elle redoute la montée de la souffrance : ‘Plutôt mourir que de souffrir autant’. Elle est hospitalisée et toute une équipe médicale l’entoure de soins affectueux, en soutenant son courage et sa foi, en veillant à ce qu’elle ne manque pas de calmant pour atténuer ses douleurs. Parfois cela va mieux, elle veut écouter de la musique, lire Hayat, faire des mots croisés, regarder la télé… Parfois on la trouve prostrée, engourdie par les [médicaments]… Souvent elle gémit, et même crie sa douleur. Estomac, foie, poumons, le mal est partout. Un matin, je la trouve au plus mal. Elle se sent mourir. Je la reverrai toujours prononçant de toutes ses lèvres sa profession de foi, sans qu’aucun son ne sorte de sa bouche, ses grands yeux tournés vers le ciel, avec une concentration et une solennité extraordinaire. Je lui tiens la main, accompagnant sa prière : ‘Soumia, Dieu, le Miséricordieux, plein de tendresse, t’attend, il est prêt à t’accueillir’. Elle approuve d’une pression des doigts. Le 25 mars 1999, Soumia est partie vers son Créateur : foule énorme au cimetière. Huit jours après, sa maman me confie le petit cahier sur lequel elle avait transcrit trois poèmes, écrits depuis qu’elle se savait condamnée. » http://www.peresblancs.org/soumia.htm

Voici un extrait du second de ces poèmes :

« Une maladie s’est assise sur mon âme,

mon pied se dérobe à mon mouvement.

Une maladie qui m’a fait perdre le souffle de la jeunesse,

et a tué à l’intérieur de moi tous mes rêves.

Mes rêves en tant que jeune fille,

rêves de quiétude et de tranquillité.

Une maladie qui m’épouvante le jour,

et hante mes nuits des tourments du lendemain.

Y aurait-il peut-être quelque guérison, Seigneur,

une guérison venant de Toi,

pour moi et pour tous mes frères ?

C’est Toi Seigneur, notre Berger,

notre Bienfaiteur,

celui qui nous fait vivre et mourir, Seigneur.

Seigneur, réponds à ma prière,

et à la prière de tous mes frères.

Ô Seigneur des mondes.

Ô Créateur de la création tout entière. »

« L’impact de ces longues semaines de souffrance et de courage de Soumia a été très fort sur tous ceux, parents, amis, personnel hospitalier qui l’ont accompagnée jusqu’au bout », poursuit le Père François.

Vingt deux ans plus tard, ces lignes me touchent aussi beaucoup. Par ce mélange de souffrance et d’espérance ouverte à l’universel, qui donne force et lumière en ce temps de pandémie mondiale.

« Soumia, concluait le Père François, nous garderons le souvenir de ton douloureux sourire au cours de ton épreuve et de ta foi lumineuse. Puissent ces quelques poèmes que tu nous as laissés, nous aider à affronter la vie avec plus de courage… tant il est vrai que ce sont ceux qui vont mourir qui nous apprennent à vivre. »

Le « fiat! » de l’Annonciation, le 25 mars prochain, s’enrichit cette année pour moi d’une teinte que je ne connaissais pas encore : celle du consentement de Soumia à la confiance.

Combien de nouvelles teintes à découvrir encore, en accueillant dans chaque visage, jour après jour, quelque chose du Mystère qui nous fait vivre tous ?

+ Nicolas LHERNOULD

Evêque de Constantine et Hippone

Église Catholique d'Algérie