Billet de l’évêque: dépassement

Dépassement

On n’en parle généralement que lorsqu’il se produit : le « jour du dépassement », calculé depuis 2003 sur la base d’environ 300 millions de données statistiques concernant quelque 200 pays, désigne la date à partir de laquelle le monde est supposé avoir consommé l’ensemble des ressources que la planète est capable de générer sur le cours d’une année. Les données statistiques sont toujours critiquables, et les contre-arguments ne manquent pas sur le mode de calcul, voire la légitimité de la démarche elle-même. Les tendances néanmoins sont là : cette date avance de manière vertigineuse. En 1986, elle correspondait au 31 décembre : nous consommions alors exactement en un an ce que la terre était capable de produire sur la même durée. En 2006, le 9 octobre ; en 2016, le 3 août ; en 2021, le 29 juillet : il aurait fallu l’année dernière 1,7 planète Terre pour couvrir les besoins de toute l’humanité. Il n’y a guère qu’en 2020, en raison du ralentissement de l’activité mondiale dû à la pandémie, que la date avait reculé au 22 août. Cette année, il y a fort à penser que la tendance reprendra sa course folle, avec certes de grandes disparités selon les pays, qui n’enlèvent cependant rien au fait que nous sommes tous solidaires de la trajectoire engendrée par nos comportements.

« Ces situations provoquent les gémissements de sœur terre, qui se joignent aux gémissements des abandonnés du monde, dans une clameur exigeant de nous une autre direction. Nous n’avons jamais aussi maltraité ni fait de mal à notre maison commune qu’en ces deux derniers siècles. Mais nous sommes appelés à être les instruments de Dieu le Père pour que notre planète soit ce qu’il a rêvé en la créant, et pour qu’elle réponde à son projet de paix, de beauté et de plénitude. Le problème est que nous n’avons pas encore la culture nécessaire pour faire face à cette crise ; et il faut construire des leaderships qui tracent des chemins, en cherchant à répondre aux besoins des générations actuelles comme en incluant tout le monde sans nuire aux générations futures. Il devient indispensable de créer un système normatif qui implique des limites infranchissables et assure la protection des écosystèmes, avant que les nouvelles formes de pouvoir dérivées du paradigme techno-économique ne finissent par raser non seulement la politique mais aussi la liberté et la justice », écrivait le Pape François en 2015, dans son encyclique Laudato Si (n.53).

Cette « culture nécessaire » que le pape appelle de ses vœux grandira d’autant mieux que la date du dépassement sera pour chacun… chaque jour : c’est aujourd’hui, dans le rythme et les activités de ma journée, qu’il s’agit de cultiver une attention positive au problème ; aujourd’hui, à la maison, dans mon travail, mes déplacements… que je peux m’efforcer à plus de sobriété, de partage, d’évitement du gaspillage ; aujourd’hui que je peux contribuer à inverser la tendance en exerçant pour ma part cette responsabilité partagée de nous dépasser collectivement nous-mêmes plutôt que nous laisser dépasser par les faits. Insignifiant, ce que je peux faire à mon niveau ? Un battement d’ailes de papillon à New York peut entraîner un ouragan à Tokyo, énonce ce qu’on appelle la « théorie du chaos ». Ce qui peut prévaloir dans le domaine du risque ne le pourrait-il pas dans un sens positif ? Si l’on en doute sur la base d’une théorie, souvenons-nous avec l’Evangile qu’à partir de cinq pains et de deux poissons, le Seigneur a nourri toute une foule sur les bords du lac de Tibériade…

+ Nicolas Lhernould

Evêque de Constantine et Hippone

10 Juin 2022 | A la une, Eglise d'Algérie

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