Aux côtés des archevêques de Tunis et de Rabat, Mgr Jean-Paul Vesco, récemment installé à l’archevêché d’Alger, représentera l’Église du Maghreb à la rencontre «Méditerranée, frontière de paix 2», dans la capitale toscane, du 23 au 27 février.

Aux côtés des archevêques de Tunis et de Rabat, Mgr Jean-Paul Vesco, récemment installé à l’archevêché d’Alger, représentera l’Église du Maghreb à la rencontre «Méditerranée, frontière de paix 2», dans la capitale toscane, du 23 au 27 février.

Entretien réalisé par Delphine Allaire – Cité du Vatican

Avec une superficie de plus 2 millions de km2, l’Algérie, coincée entre le désert et la mer, est le pays le plus étendu du pourtour méditerranéen. Aujourd’hui majoritairement composée de musulmans, la terre de sainte Monique et de saint Augustin abrite encore une minorité catholique, représentée par des migrants africains, des étudiants et quelques expatriés. Cette expérience de l’extrême minorité donne lieu selon Mgr Vesco à une manière plus forte de vivre l’Évangile. Dans cette Méditerranée «de douceur et de douleur», l’archevêque d’Alger exhorte à la fraternité, qui ne pourra d’après lui se construire qu’avec la conscience d’une appartenance à un univers commun.

De par sa composition et son histoire, comment l’Église algérienne peut-elle apporter sa pierre à l’édifice de paix et de fraternité en Méditerranée?

Le bassin méditerranéen représente une partie de l’Église algérienne. Grâce aux fidèles, nous sommes orientés vers l’Afrique subsaharienne: beaucoup sont migrants ou étudiants; la société arabo-musulmane dans laquelle nous évoluons nous tourne, elle, plus vers la Méditerranée.

L’Église du Maghreb est aussi l’une des Églises sources de la foi en Méditerranée. Cette Méditerranée n’est pas une frontière, mais un centre: le centre d’un bassin, d’une culture, de civilisations qui se connaissent et reconnaissent. Autour de cette mer s’épanouit la même végétation, le même climat, la même faune. Dès que l’on s’en éloigne vers le nord ou le sud, le cadre n’est plus même. Je crois aussi que, même si la partition nord-sud sur le plan religieux, l’occident au nord, le monde arabo-musulman au sud, est patente, il y a tout de même une spécificité dans la manière de vivre notre foi, que l’on soit musulman ou chrétien, parce que nous sommes autour de ce bassin.

Une expérience m’a, en ce sens, beaucoup touché, moi qui suis méditerranéen, -de Nice et de Monaco-, par ma mère. À Noël chez mes grands-parents maternels, les treize desserts -amandes, figues, dattes, oranges- étaient incontournables. Et voilà qu’arrivant en Algérie, je retrouve cette tradition provençale au Nouvel an berbère, le Yennayer. Cette tradition, plus forte que les différences religieuses, incarne l’esprit de la Méditerranée. Quand la Méditerranée devient frontière, celle-ci n’est qu’artificielle. Ce n’est pas pour rien qu’elle en est meurtrière, elle n’est pas faite pour cela. La vraie frontière entre le Nord et le Sud n’est pas la Méditerranée, mais le Sahara. Nous voyons bien, entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne, qu’il s’agit d’autres cultures, d’autres climats

L’autre point qui me touche beaucoup est la présence des maires à cet événement de Florence. Dans notre Église d’Algérie, nous disons volontiers que nous souhaitons être «une Église citoyenne», une Église engagée dans la société.

Que peut apprendre la petite communauté catholique algérienne de la rive sud aux catholiques des autres rives méditerranéennes?

L’expérience de la minorité, le bonheur d’être chrétiens en étant une extrême minorité. C’est l’expérience de l’Église algérienne depuis soixante ans. Elle qui a connu une influence majoritaire pendant le temps dit de la colonisation, qui ne se posait pas de questions, elle n’a cessé depuis ces décennies de devenir de plus en plus minoritaire. Une expérience que vivent aussi actuellement les pays du nord de la Méditerranée. Des Églises qui pays, après pays, prennent conscience de leur caractère minoritaire.

Nous pouvons leur dire que l’Évangile se vit alors de façon encore plus forte quand nous sommes en minorité. Nous faisons très souvent l’expérience des premiers temps de l’Église. Dès que l’on devient minoritaire, la question qui se pose est celle du «Pourquoi». Alors que dans un pays dit de chrétienté, la question est celle du «Comment». Le «pourquoi» a beaucoup de sens.

Quels pourraient être selon vous, depuis Alger, les difficultés actuelles à surmonter dans cet espace méditerranéen en crise?

Incontestablement, le défi de la fraternité pour lequel se bat sans cesse le Pape François. Ce n’est pas un vain mot. Pour être en fraternité, il faut avoir conscience d’appartenir à un univers commun: la famille, une région, l’espèce humaine. En Méditerranée, nous avons cet univers, façonné par une histoire commune même si elle est chahutée. Et en même temps cet univers est marqué par la fracture des trois monothéismes. L’enjeu est de souhaiter que ce qui peut nous réunir soit plus fort que ce qui nous sépare. La Méditerranée est à la fois un lieu de douceur et de douleur. Nous avons à construire cette fraternité en Méditerranée pour qu’elle rayonne sur le monde entier.

“Ce qui nous réunit doit être plus fort que ce qui nous sépare. La Méditerranée est à la fois un lieu de douceur et de douleur.”

Comment percevez-vous cette démarche du Pape François d’insister sur le rôle prophétique de la Méditerranée et sur la théologie de la Méditerranée?

Ce Pape venu d’Argentine, d’un autre monde, qui n’a pas eu d’imprégnation profonde avec le monde musulman, multiplie les gestes de fraternité islamo-chrétiens. Quelque chose se joue véritablement là. Car la relation entre chrétiens et musulmans est distincte et différente du «choc des civilisations» entre l’Occident et le monde arabo-musulman. Nous pouvons nous reconnaître croyants et faire avancer la fraternité, j’y crois beaucoup car c’est ce que nous vivons à notre échelle, et parfois à contre-courant en Algérie et dans le Maghreb. C’est tout le sens de notre témoignage.

 

Église Catholique d'Algérie