Au milieu des flammes en Kabylie: Témoignage

Tout juste nous venons d’apprendre de vivre avec Covid, qu’une terrible tragédie nous frappe. Ce lundi, 9 août, une canicule très chaude pèse sur Larbaa-Nath Ivaten à l’horizon :un nuage gris, une odeur de fumée nous coupe le souffle ; à 20h00 ce soir-là, l’électricité part et dans l’obscurité, j’entends frapper à ma porte : c’est Samir, le voisin ami qui me dit : «  venez chez nous , ne restez pas seule dans cette grande maison, la Kabylie est en feu et en flammes, nous sommes tous en dangers, le feu menace les villages ! »

A minuit, la lumière revient et je rentre chez moi pour surveiller durant toute la nuit…

Le lendemain, mardi 10 août, que de terribles nouvelles : à Ait -Atelli, à Taouvirt-Amokrane, des maisons brûlées et à Jkhlidjen-Agolmim, il y a des morts, encerclés par le feu, plus de les sauver..

Ce même mardi, le feu avance vers la village d’Aguemoune, situé avant de rejoindre Larbaa-Nath-Ivaten. Il y a là tout prêt la station d’essence. Les hommes, jeunes et vieux se mobilisent pour creuser des tranchées pour arrêter les feux de descendre des collines ; Brahim, le voisin ami distribue des pèles de son magasin ; il fallait sauver la daïra et l’hôpital, juste y-une route qui les sépare des collines en feu et en flammes.

A la tombée de la nuit, ce mardi 10 août, toute la colline derrière l’hôpital et la daïra était en feu, les arbres devenus des torches brûlantes tournées vers le ciel – O mon Dieu !

Avec les voisins, nous sommes assis dehors, regardant l’effroyable spectacle, la respiration coupée par la fumée, le cœur serré par une terrible impuissance et une douleur profonde de voir la belle Kabylie verte avec ses arbres, réduite en cendre noire.

Surtout que l’arbre est l’Icône de la Kabylie : il présente l’homme debout le langage intime et secret. Un jeune d’Ait-Frat, m’a parlé des larmes de son père. Il me disait, je n’ai jamais vu pleurer mon père. Mais en voyant son champ et ses arbres, noirs de cendres, mon père a pleuré amèrement. Un vieux de Ain-El-Hammam, lui aussi a pleuré longuement en perdant ses oliviers de plus de 100 ans par ce feu rapide. Ils avaient nourri des générations de sa famille.

Quelques temps après, St Veronica, Mme Belgrade et quelques dames d’Alger, sont venues pour exprimer leur solidarité et empathie aux familles. Avec notre ami Brahim, nous sommes allés au village Jkhlidjen-Agoulmim, tout au creux des collines du Djurdjura. Nous sommes choqués : des voitures calcinées à droite et à gauche de la route et les collines si vertes sont devenues cendres noires , tout est noir !

Nous sommes allés au milieu du village, là ou on prépare un lieu digne pour les morts : 22 stèles avec le nom de chacun seront exigées. Les dépouilles mortelles de certains , c’est de la cendre noire qu’on a encore trouvée. Devant ces tombes, j’ai prié à haute voix :

«  Seigneur, maître de la vie et de la mort , donnez-leur le repos éternel dans ton paradis et que cette lumière brille sur eux, et console les familles ! ».

J’ai admiré la foi des ouvriers qui travaillaient sur le chemin qui va mener au cimetière. En parlant avec eux, j’ai senti à quel point ils s’appuient et se confient à Dieu qui va les aider à continuer à vivre et à surmonter la douleur.

Beaucoup d’enfants sont choqués et traumatisés. En ce moment , des psychologues vont dans les villages parler avec les enfants et aussi interpréter les dessins.

En revenant au Centre, une jeune femme a pleuré amèrement. Avec ses deux filles, elle se trouvait sur la route dans une camionnette pour aller dans son village . Tout d’un coup, le feu arrive sur la route, il fallait courir avec les deux enfants pour se sauver. Son sac est resté dans la camionnette, il y avait l’argent qu’elle avait gagné chez moi pendant un mois. Je vais tout faire pour sécher les larmes de cette jeune femme, artisane au centre de Broderie.

La solidarité et l’entraide inscrites dans la tradition du village Kabyle, n’a pas manqué devant cette tragédie et elle continue tous les vendredis : il y a le bénévolat dans les villages , chacun aide selon ses capacités : tailler les arbres brulés pour qu’ils repoussent , refaire des murs et des charpentes etc..

Nous demandons à Dieu de nous donner bientôt la pluie pour laver les collines noirs et que les petites herbes puissent pousser . La force et la vitalité de la nature, va nous aider à espérer un meilleur avenir.

Sœur Elisabeth

Extrait de « Rencontres » Septembre

Église Catholique d'Algérie