Au terme de ce parcours …
« Chaque fois, dans notre Occident, qu’un renouveau chrétien a fleuri, dans l’ordre de la pensée comme dans celui de la vie (et les deux sont toujours liés), il a fleuri sous le signe des Pères. Tous les siècles en témoignent – l’histoire en serait longue à retracer –, et la loi se vérifie encore dans le nôtre. » (H. de Lubac, in F. Quéré-Jaulmes et A. Hamman, Les chemins vers Dieu, Préface, Paris, Le Centurion, 1967, p.7). Cette pensée d’Henri de Lubac, le grand théologien dont les travaux ont, avec d’autres, préparé de manière décisive le Concile Vatican II, vaut certainement pour l’ensemble de l’Église, en particulier les nôtres dans le nord de l’Afrique.
Notre région est en effet éminemment riche de figures, de sites archéologiques, de textes et d’histoire patristiques, qui sont autant d’éléments de l’histoire sainte de nos pays et de nos peuples. Depuis bientôt trois ans, nous y avons consacré cette rubrique, moins pour évoquer des siècles lointains que pour sentir comment la vie des Pères, leurs œuvres, leurs recherches, leurs réflexions et les débats qui ont été les leurs pouvaient éclairer aujourd’hui les nôtres : en matière de synodalité, comme ont essayé de le mettre en relief les cinq derniers volets de ce parcours, ainsi que sur beaucoup d’autres sujets.
L’une des caractéristiques les plus saisissantes de leurs siècles, dans la diversité des personnes, des circonstances et des contextes, fut sans doute l’unité très forte entre la vie et la foi, cette dernière n’étant jamais séparable de tous les autres aspects de l’existence humaine, personnelle et communautaire, jusque dans la simplicité la plus banale du quotidien. Les Pères de l’Église ont montré le chemin d’un approfondissement de la foi en lien constant avec la vie, même dans les angulations apparemment les plus abstraites de leur pensée. Leur exemple nous rappelle à cette même unité, vitale au sens le plus étymologique du terme.
Les Pères nous ont aussi légué la conception d’une Église pensée et vécue sous l’angle de la communion, avec une forte insistance sur les relations internes entre les membres du corps, mais aussi de nombreuses ouvertures sur la nécessité, pour que ce corps soit vivant et qu’il témoigne de l’Évangile, de la qualité de la relation avec ce qui lui est extérieur. Sans doute n’ont-ils pas développé l’idée de fraternité autant que nous sommes appelés à le faire aujourd’hui. Le chemin qu’il ont tracé nous en laisse en tous cas les outils face aux questions qui n’étaient pas celles de leur époque mais désormais les nôtres.
Il est fort probable que nombre de réponses aux grandes questions théologiques et existentielles d’aujourd’hui, comme celle du lien entre l’Église et le Royaume, de la proposition de la foi dans un contexte du pluralisme religieux, de la redécouverte de la vie intérieure, de la réflexion sur la notion de mission… se trouvent, ne serait-ce qu’en germe ou en intuitions, dans la pensée des Pères, socle fondateur de la tradition de l’Église. Nous en sommes les héritiers autant que les acteurs, dans une histoire qui continue ; pas seulement dans l’ordre de la pensée, mais dans celui de l’agir dans le monde actuel.
Les pages de cette rubrique auront été trop courtes, souvent trop allusives, pour entrer dans la profondeur de cette réalité. Si elles sont parvenues à en donner le goût, elles n’auront pas manqué leur but. Quoi qu’il en soit, rendons grâce pour le trésor immense qui nous a été légué par les Pères et les Mères de l’Église, Félicité, Tertullien, Perpétue, Cyprien, Crispine, Optat, Monique, Augustin et tant d’autres fils et filles de nos pays. Nous pouvons être fiers, pour nos peuples et pour l’Église entière, d’un héritage aussi précieux. Continuons de le faire fructifier, en tâchant, humblement, selon ce que l’Esprit suggérera, d’être à notre tour des Pères et des Mères de l’Église aujourd’hui.
+ Nicolas Lhernould