A l’écoute de nos pères (XIV)

Aux plus petits de mes frères

Tel est le titre du quatrième tome des Œuvres Spirituelles de saint Charles de Foucauld, publié aux éditions « Nouvelle Cité » ; en référence à un verset dont Frère Charles disait quelques mois avant sa mort, qu’aucune parole de l’Evangile n’avait fait sur lui une plus profonde impression, ni transformé davantage sa vie que celle ci : « Ce que vous avez fait au plus petit de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40).

Charles de Foucauld ne semble pas avoir été un lecteur assidu des Pères de l’Eglise. Rares sont les passages qui s’y réfèrent dans ses écrits. Concernant ce verset, son expérience s’inscrit néanmoins dans une longue tradition : l’expérience que la présence de Jésus dans l’eucharistie, et du même Jésus dans les plus petits, se répondent, se complètent, et pour ainsi dire se superposent.

L’identification du Christ et du pauvre est un trait majeur de l’enseignement de deux grands Docteurs de l’Eglise : saint Augustin en Occident (354-430), évêque d’Hippone, et saint Jean Chrysostome en Orient (345-407), patriarche de Constantinople, dont la prédication, qui lui valut ce surnom de « bouche d’or », croisait fréquemment le « sacrement de l’eucharistie » avec le « sacrement du frère ».

Goûtons les harmoniques entre ces trois extraits, d’Augustin, de Jean Chrysostome et de Charles de Foucauld, en nous rappelant que « les deux bras du Christ sont reliés l’un à l’autre, inséparables, et dans la célébration et dans le bien fait aux autres. Il ne s’agit donc pas de faire un choix et de séparer les deux au profit de l’un pour l’autre. Les deux sont d’une certaine façon, indispensables pour la vie de la communauté chrétienne, pour la nôtre et pour la vie du monde » (Claude Rault, évêque émérite de Laghouat-Ghardaïa, « L’Eucharistie au défi du temps que nous vivons », février 2021, in Fraternité Sacerdotale Jésus Caritas, Courrier des Fraternités, n°246, avril 2022, p.25).

« Déjà voici l’hiver, par la grâce de Dieu : songez aux pauvres, cherchez à revêtir la nudité de Jésus-Christ. […] Ecoute ce qu’il dira au moment du jugement : « Ce que vous avez fait à l’un de ces petits, vous me l’avez fait » (Mt 25,40). Chacun de vous s’attend à recevoir le Christ assis au Ciel : voyez-le d’abord gisant sous les portiques ; voyez-le souffrant la faim et le froid ; voyez-le indigent et étranger » (Saint Augustin, Sermon 25,8).

« Tu veux honorer le Corps du Christ ? Ne le méprise pas lorsqu’il est nu. Ne l’honore pas ici, dans l’église, par des tissus de soie tandis que tu le laisses dehors souffrir du froid et du manque de vêtements. […] Quel avantage y a-t-il à ce que la table du Christ soit chargée de vases d’or, tandis que lui-même meurt de faim ? Commence par rassasier l’affamé, et, avec ce qui te restera, tu orneras ton autel. […] Lorsque tu ornes l’église, n’oublie pas ton frère en détresse, car ce temple-là a plus de valeur que l’autre. […] Tu veux voir ton autel ? Cet autel est constitué par les propres membres du Christ. Et le Corps du Seigneur devient pour toi un autel. Vénère-le. Il est plus auguste que l’autel de pierre où tu célèbres le saint Sacrifice […] Cet autel-là, partout il t’est possible de le contempler, dans les rues et sur les places ; et à toute heure tu peux y célébrer ta liturgie. » (Saint Jean Chrysostome, Homélie 50,3-4).

 » ‘Tout ce que vous faites à l’un de ces petits, c’est à moi que vous le faites’ : si l’on songe que ces paroles sont celles de la Vérité incréée, celle de la bouche qui a dit : ‘Ceci est mon corps, ceci est mon sang’, avec quelle force on est porté à aimer Jésus dans ces petits, ces pécheurs, ces pauvres, portant tous ses moyens matériels vers le soulagement des misères temporelles ! » (Saint Charles de Foucauld, Lettre à Louis Massignon, 1er avril 1916).

 

+ Nicolas Lhernould

Église Catholique d'Algérie