Hommage à Mgr Teissier, « prêtre des musulmans »

L’histoire de Mgr Teissier avec les Focolari remonte à 1966 lorsque les premiers focolarini arrivent en Algérie pour ouvrir un nouveau focolare à l‘emplacement du monastère bénédictin St Benoît à Tlemcen.

Mgr Duval demande au Père Teissier et au Père Thierry Becker de rencontrer ces jeunes hommes qui débarquent à Alger , ils ne connaissent pas grand-chose du pays ni de sa culture et les Focolari ne sont pas connus des évêques . «  On est content quand des personnes nouvelles viennent pour faire du nouveau mais il faut qu’on leur dise ce qu’ils doivent faire, c’est bien connu !» avait rappelé mgr Teissier lors d’un rassemblement à Tlemcen.

Ces dernières années mgr Teissier avait accepté d’être le président de l’association Dar es Salam de Tlemcen, propriétaire des lieux où se trouve le focolare. A la fin de son mandat d’évêque d’Alger en 2009, il est venu habiter durant deux ans au focolare de Tlemcen dans les locaux de l’association « Centre Mariapolis Ulisse » . Durant son séjour, à l’occasion des nombreuses rencontres des Focolari sur place, il a pu tisser des liens avec chacun. En 2018, il était invité d’honneur au congrès du cinquantième anniversaire de la présence des Focolari en Algérie, ainsi qu’au dernier séminaire « musulmans en chemin dans la spiritualité de l’unité ».

Toutes ces occasions ont créé un lien très fort entre lui et les membres des Focolari. C‘est ainsi que l’idée de faire un zoom, pandémie oblige, pour lui rendre hommage a été programmée le 16 janvier dernier.

Cinquante deux points d’écoute depuis l’Irak jusqu’au Maroc en passant par l’Italie, la France la Suisse, la Jordanie et bien sûr l’Algérie.

Voici quelques extraits des témoignages (certains noms ont été changés) :

« Je l’ai connu en 1979, il était venu au focolare avec son père et sa mère un soir, nous n’avions rien prévu pour le dîner, il se met tout de suite à la cuisine et prépare une excellente omelette. De la part d’un évêque ce n’était pas très courant pour moi. Il était alors évêque d’Oran et venait chaque mois aux rencontres de la « Parole de Vie » avec un imam et un petit public très disparate, ce furent des moments fondateurs de l’appropriation du charisme de Chiara Lubich par des musulmans. J’ai vécu avec lui durant ses années passées à Tlemcen, il était pour moi, un frère, un père, un guide, libre de sa parole. Son éloignement d’Alger faisait qu’il se sentait un peu en exil ! C’était la période « Tlemcen capitale de la culture Islamique ». Il allait à de nombreuses rencontres et colloques et il nous a fait rencontrer de nombreuses personnes. 

Elias

« En arrivant en Algérie en 1970 nous avions trouvé en la personne du Père Teissier un professeur qui nous aiderait par l’exemple à concrétiser et à harmoniser notre présence en Algérie. Il nous a montré que le vrai jeu des croyants en Dieu se joue au contact des personnes, côte à côte. »

Rose

« Le rôle que les musulmans d’Algérie ont joué au sein des Focolari dans le monde était une fierté pour lui : « Votre expérience est pionnière pour l’Église dans le dialogue interreligieux.  » 

En avril 2001 dans notre centre à Castelgandolfo, il a animé une école sur l’Islam pour tous les responsables de notre mouvement au Moyen-Orient. Avec sa préparation et son ouverture d’esprit, il a su apporter des réponses exhaustives aux nombreuses questions.

Il avait dit : « Je crois que nous avons permis à notre Église d’exister également au sein de la société algérienne, par de petits gestes simples de partage et de cohabitation prolongés dans le temps. »

C’était cela sa grande personnalité. »

Maria Teresa

« Ma rencontre avec Mgr Tessier remonte en 1991. Avec ma famille, nous avions décidé de partir à l’étranger pour fuir le marasme dans lequel l’Algérie était plongée et qui augurait d’une guerre civile.

Nous sommes arrivés la veille de notre départ au Centre Diocésain d’Alger vers minuit trente et à notre grande surprise, l’évêque d’Alger, Mgr Tessier nous attendait et de plus il nous a servi à manger. A table, nous avons échangé sur la situation du moment. Il a manifesté beaucoup d’intérêt pour nos opinions sur la situation et également pour notre projet de départ. Le lendemain, nous sommes descendus pour prendre le petit déjeuner, il était là. Il a été très tôt nous acheter des croissants et là il nous a parlé et suggéré de ne pas quitter le pays en nous disant que la situation allait s’améliorer et que nous avions une responsabilité envers notre pays. Scheherazad et moi avons eu l’intime conviction qu’il fallait revenir sur Oran car on a noté que cet homme était porteur d’un message d’espoir dans cette situation dramatique. Après cela, je l’ai rencontré plusieurs fois durant les années noires et il se dégageait toujours de lui cette sérénité, de la confiance et de l’espérance. Pour ma part, il est bien plus qu’un homme de dialogue et cela je l’ai compris un jour où j’ai assisté à une messe qu’il célébrait. Il affirmait que le bon pasteur est celui qui protège le troupeau des autres enclos, pas seulement le sien. Et là j’ai compris que Mgr Tessier avait une foi tellement profonde, tellement grande qu’elle le mettait en Dieu. Sa foi était tellement dans la vérité qu’elle ne pouvait être exclusive, elle intégrait tous les autres, elle intégrait les personnes d’une foi différente. »

Farouk

« Un exemple de son engagement sans faille au service des plus pauvres : lors du séisme qui a frappé la région de Zemmouri en 2003, il a été parmi les premiers à acheminer des dons aux sinistrés, avec des membres des Focolari. Un match de football a même été organisé avec l’aide de Caritas Algérie entre une équipe de la commune sinistrée et une autre d’Alger, alors même que les répliques du séisme se faisaient encore sentir. »

Zazi

« J’ai dormi dans une chambre de l’appartement où habitait Mgr Tessier à Tlemcen, nous avons discuté longuement en soirée et il m’a dit qu’il faut toujours avancer , je ne comprenais pas ce qu’il voulait dire , il m’a spécifié : avancer vers le bien. J’ai retenu cette phrase et je la retiens jusqu’à aujourd’hui dans mon cœur. »

Fatah

« Au début de la décennie noire , lorsque la parole s’était libérée pour un temps et que les algériens exprimaient librement leurs convictions religieuses, je me souviens que lorsque j’avais émis une critique sur la religiosité excessive des algériens qui adhéraient massivement aux mots d’ordre des partis religieux, lui y voyait l’attrait pour le spirituel de la société algérienne. Je suis convaincue que c’est grâce à son action inlassable pour le rapprochement entre les communautés que beaucoup ont pu surmonter l’isolement dans lequel les politiques locales et étrangères les ont enfermés, et que la fraternité a pris un sens. »

Fatima

«Dès ma première rencontre avec cet homme, je fus frappée par son accueil très chaleureux, son charisme et sa grande simplicité.

Je l’ai connu aux Glycines où je travaillais et j’ai commencé à cheminer pour m’engager avec les jeunes des Focolari, je savais également que le Père Teissier était proche du Focolare. Cela m’avait permis d’échanger avec lui et de profiter un peu de son expérience avec l’idéal de Chiara Lubich. Je m’apprêtais à aller en Italie avec ces jeunes pour y vivre une expérience et il a été pour moi à ce moment-là d’une grande écoute, et m’a donné quelques conseils.

La veille de mon départ il me remet une enveloppe, je n’avais pas compris et il m’explique que c’était sa modeste contribution pour mon voyage en Italie, je voulais refuser et il m’expliqua que c’était sa façon de soutenir les jeunes d’Algérie. »

Djalila

« Je ne comprenais pas chez lui comment cohabitaient cette humilité et son charisme , on buvait ses paroles, je voulais apprendre le maximum de choses avec lui . Le monde a perdu une de ses meilleures personnes. »

Nadjib

« Je participais à la messe du matin avec lui au centre diocésain , j’en sortais avec l’âme grande ouverte sur le monde. On était peu nombreux mais on avait l’impression de vivre dans un lieu très grand. Il nous mettait en lien avec tous, avec lui je me sentais importante. Il me libérait. »

Victoria

« J’habitais aussi au centre Mariapolis lorsqu’il y vivait et à cette époque je passais mon bac, j’avais beaucoup de difficulté à me concentrer et à travailler mais quand je voyais le soir, parfois tard et que la lampe de son bureau était allumée cela me donnait du courage pour mieux travailler. J’étais stupéfait quand je voyais qu’il était invité dans les zaouia ou par des imams de Tlemcen, pour moi je dirai qu’il était le prêtre des musulmans. »

Rassim

« En arrivant en Algérie je ne comprenais pas grand-chose de ce pays, son petit mot à l’homélie le matin à la maison diocésaine m’aidait à rentrer dans cette nouvelle réalité. Il avait l’art de mettre ensemble des personnes différentes. Durant les années noires, lors des funérailles des moines je l’ai vu, il était menacé mais il allait de l’avant cela m’a fait comprendre ce que veut dire l’amour , quoi qu’il en coûte, en le voyant debout nous avons trouvé la force de croire qu’un avenir était possible pour le peuple algérien. »

Viledi

« Il est toujours présent pas seulement en Algérie , sa simplicité m’a touchée, je me souviens d’un voyage en voiture avec lui au retour de Thibhirine pour le « ribaat », c’était vraiment un échange très riche et profond et c’est la phrase de St Paul qui me revient : Je me suis fait tout à tous ».

« On le voyait souffrir lors des années noires , mais il restait debout, lorsqu’il nous a raconté qu’il a dû reconnaître les têtes des sept moines de Thibhirine ce fut pour moi un moment très touchant avec toujours cette volonté de croire que l’Algérie restera debout. Humble et édifiant, certainement le vingtième bienheureux. »

Leila

« Dans son livre « Église en Islam » il dit :  » La plus importante découverte que peut faire un chrétien qui vit dans une société non chrétienne c’est de percevoir qu’il existe dans la vie de ses frères non-chrétiens des histoires spirituelles.  » Nous lui demandons de nous aider à voir dans l’autre, en tout autre, un don qui nous enrichit pour qu’ensemble nous cheminions vers la fraternité universelle. »

Michèle

Ce poème d’ Ibn Arabi exprime bien sa personnalité.

Zineb

« Mon cœur est devenu capable

D’accueillir toute forme

Il est pâturage pour gazelles

Et abbaye pour moines !

Il est temple pour idoles

Et la Ka’ba pour qui en fait le tour

Il est les Tables de la Thora

Et aussi les feuillets du Coran !

La religion que je professe

Est celle de l’amour

Partout où ses montures se tournent

L’Amour est ma religion et ma foi ! »

Didier Lucas

 

Église Catholique d'Algérie