Sœur Chantal qui va quitter les Glycines cet été répond à nos questions.
Pourquoi êtes-vous devenue sœur blanche ?Comment vous est venue l’idée de devenir sœur blanche ?
Je viens d’une famille catholique de Belgique. J’ai été scolarisée dans un institut religieux tenu par des sœurs. Quand j’ai terminé le secondaire, on nous a proposé un temps de retraite pour réfléchir à nos avenirs. Le thème de la retraite : ″Fraternité missionnaire″ m’attirait. La session a eu lieu chez les pères blancs et les sœurs blanches à Thy-le-Château au sud de la Belgique. Ils nous ont parlé de leur vocation et de leur mission. Nous avions des temps de partage et des temps de prière. J’avais 18 ans et je me suis dit : ″C’est cela que je veux vivre : partir en mission.″
J’ai continué à participer aux activités proposées par les pères blancs et sœurs blanches (camps de jeunes, routes missionnaires à travers l’Europe, partir à la rencontre de l’autre, différent…) durant mes études d’infirmière et d’accoucheuse. C’est ainsi que j’ai décidé d’entrer chez les sœurs blanches. Leur charisme m’attirait beaucoup : ″Missionnaire pour l’Afrique″. La spiritualité ignatienne me parlait beaucoup également ainsi que le : ″Tout à tous (1 Co 9. 22) »…parce que tout à Dieu. Pouvoir vivre une fraternité universelle dans une vie de rencontres et de services à l’autre, était le plus fort désir qui m’habitait.
Mes parents ont vu que j’étais heureuse dans mon choix de vie. Ils m’ont laissé complètement libre.
Quel a été votre parcours avec les sœurs blanches ?
J’ai commencé en Belgique, par vivre une année en communauté tout en suivant des études de médecine tropicale. Je suis ensuite allée à Toulouse pour mon postulat. Après cela, j’ai été nommée au Rwanda où j’ai vécu au pied des volcans de 1983 à 1985. Je travaillais à la fois dans un centre de santé et dans une maternité. Parallèlement à cela, je travaillais avec d’autres, à la promotion des femmes africaines. J’ai ensuite rejoint Lyon pour faire le noviciat. Une fois terminé, en 1988, on m’a proposé d’aller en Ouganda où j’ai été responsable d’un centre de santé. Nous organisions des campagnes de vaccination dans les villages de campagne. Le Centre a été passé à une autre Congrégation locale. J’ai été nommée ensuite au Kenya près de Mombasa, au bord de l’Océan indien. Après quelques mois et suite à un sérieux problème de santé, j’ai dû rentrer en Belgique. Savoir quitter et savoir rester fait partie de notre vie missionnaire. Ces années ont été très riches et les relations tissées avec les personnes demeurent encore aujourd’hui. Ne pouvant plus retourner en Afrique subsaharienne. j’ai été nommée à Alger en 1993. J’ai suivi les cours d’arabe aux Glycines. Je travaillais au Foyer des Jeunes et à la bibliothèque des Palmiers.
J’ai été impressionnée par la vie cette Église. On m’avait proposé d’aller à Tizi Ouzou mais comme la période était dangereuse, je suis allée en Italie, au PISAI (Institut pontifical d’études arabes et d’islamologie) pour un temps d’études. Cela a été pour moi une épreuve de voir ce qui se passait en Algérie et d’apprendre les assassinats de nombreuses personnes et des frères et des sœurs de notre communauté chrétienne.
À la fin de mes études, ne pouvant pas retourner à Tizi Ouzou, j’ai été nommée en Tunisie où j’ai travaillé à la bibliothèque de la maison d’Études des sœurs blanches pendant dix ans. Les sœurs y donnaient des cours d’arabe et d’islamologie. Avec mes sœurs, un travail de révision et de mise par écrit de la méthode Kamel, de darija tunisien, a été fait.
Ensuite, j’ai fait partie du Conseil général. Cela m’a permis de rencontrer et de connaître de nombreuses sœurs, et la diversité de nos engagements apostoliques, expérience forte d’être au cœur même de la congrégation. J’ai pris un temps d’études Institut de Sciences et de Théologie des Religions à la Catho de Paris pour mieux pouvoir en Église m’investir dans le dialogue entre les religions. Je suis retournée en Tunisie six ans, travaillant toujours dans le Centre d’Études des sœurs blanches. Voilà mon parcours qui m’a amenée à revenir à Alger, à la demande de l’Archevêque, pour travailler aux Glycines.
En quoi a consisté votre travail aux Glycines ?
Le centre des Glycines est un centre diocésain d’études et de recherches. Ce centre répond à une intuition du Cardinal Duval et de Mgr Teissier qui fut portée par l’exigence formulée au Concile Vatican II à savoir que l’Église se rende solidaire de l’environnement humain, culturel et religieux dans lequel elle vit.
Le travail aux Glycines est un service d’Église. Nous sommes une plate-forme interculturelle et interreligieuse. C’est très enrichissant de vivre une vie missionnaire qui se fait ″ tout à tous…″. Aller à la rencontre pour mieux connaître, respecter, aimer l’autre quelle que soit sa religion. Aux Glycines, nous accueillons des chercheurs, des étudiants et des professeurs qui viennent d’Algérie et du monde entier. Toute l’équipe, quel que soit notre travail, essaye d’être complètement à leur écoute, à leur service. Chaque rencontre est extrêmement riche. Ma plus grande joie a été de pouvoir continuer ce que mes prédécesseurs et spécialement Père Teissier ont accompli. Nous continuons de recevoir de nombreux témoignages de reconnaissance pour ce service d’Église. Les visiteurs trouvent une ″âme″ aux Glycines. Ils se sentent dans un ″havre de paix″.
Que signifie pour vous: vivre sa foi chrétienne dans un pays musulman ?
Pour moi, c’est une marche dans la confiance avec ce Dieu qui vient à notre rencontre et qui suscite la rencontre avec l’autre dans toute sa différence. Je suis émerveillée de tout ce que j’ai reçu de l’autre, des autres. Les liens d’amitié sont très forts. Je suis aussi l’héritière de liens tissés par mes sœurs et d’autres chrétiens qui ont vécu en Algérie. J’y reconnais la Présence de Dieu qui nous aime et nous accompagne dans notre marche au quotidien, dans le partage des joies et des peines de la vie.
Avec mes sœurs, en communauté, nous maintenons ces liens. Nous rassemblons chaque année toutes les familles pour un moment festif. Nous prenons soins des relations que nous avons avec les autres. Nous marchons dans la confiance; confiance que Dieu nous devance sur le chemin. C’est ce que je me dis chaque matin.
Quelles sont les découvertes que vous avez pu faire au contact avec le peuple algérien ?
Je suis émerveillée devant la qualité d’accueil et d’hospitalité que les Algériens peuvent offrir. Ils peuvent tout abandonner de leur travail au moment même où l’on demande un conseil, une aide. La personne peut nous accompagner quand on lui demande la route. Quand on a la confiance et l’amitié d’une personne, on peut faire un bout de chemin avec elle.
J’ai terminé mon mandat de 6 ans au sein de l’équipe de direction du Centre, je vais prendre une année sabbatique. Oui, là aussi, chaque expérience de vie n’est jamais une parenthèse. J’avance, je suis sur un chemin qui ouvre toujours de plus larges horizons, qui élargit l’espace de ma tente. Je pense à ce proverbe d’Antonio Machado : ″Voyageur, il n’y a pas de chemin. Le chemin se construit en marchant.″ Il se fait à la grâce de Dieu. On avance et Dieu nous accompagne de sa présence aimante.
propos recueillis par Éric DUBOIS