Salutations de Worth Abbey en Angleterre !
On va publier une petite biographie spirituelle de frère Henri Vergès, le 15 mai, que je viens d’écrire. Pour aiguiser votre appétit (!) ci -joint vous trouverez la couverture et l’avant-propos. Que le Seigneur vous protège toujours, Amitiés, Martin.
Avant-Propos
Parmi les dix-neuf martyrs algériens (1994 – 1996), le frère Henri Vergès a été le premier, et selon Mgr Henri Teissier, Archevêque d’Alger (1988 – 2008), le plus remarquable, quelqu’un agissant avec le maximum de fidélité et de dévotion : « C’est le premier qui a été victime de la violence, mais c’est certainement celui qui représentait la plus grande fidélité quotidienne dans tous les secteurs de sa vie. »1 Dans cette biographie spirituelle j’ai essayé de comprendre le parcours humain et spirituel de frère Henri, d’abord dans le contexte de sa formation mariste, et ensuite dans celui de la spiritualité de l’Eglise d’Algérie. Toutes les deux jouèrent un rôle capital dans son épanouissement personnel.
Au moment de son assassinat à la Casbah, le frère Henri faisait partie d’une communauté de frères maristes. Il n’est pas fortuit que tous les martyrs algériens aient été des religieux ou religieuses. Sans doute les valeurs de l’Évangile se font-elles voir plus clairement dans une vie communautaire et, pour cette raison, les communautés religieuses sont-elles plus susceptibles d’attirer l’attention des extrémistes. Quant à Henri, son appartenance à l’Institut Mariste était fondamentale pour son identité chrétienne : « En résumé, c’est mon engagement mariste qui m’a permis, malgré mes limites, de m’insérer harmonieusement en milieu musulman, et ma vie dans ce milieu, à son tour, m’a réalisé plus profondément en tant que chrétien mariste. »2
Ayant quitté sa famille à l’âge de douze ans, Henri a continué son apprentissage de la vie en commun au sein d’une communauté de frères. Grâce à cette vie communautaire, il a trouvé la force et l’énergie spirituelle pour aller à la rencontre du peuple musulman, qui l’attirait par une présence mystérieuse qui l’habitait : « Parce qu’il y un dessin mystérieux de Dieu sur le peuple de l’Islam, un temple de sa présence où il m’invite à entrer, une ouverture réciproque à favoriser, un dialogue entre croyants à promouvoir, à développer. Nos cheminements en Dieu ne peuvent que converger. »3
Une Église de la rencontre
Après l’indépendance du pays en 1962, l’Église d’Algérie a connu des « morts » successives, une conséquence de la perte de la quasi-totalité de ses fidèles et de ses institutions. C’est de cette position de faiblesse qu’elle a appris, et apprend, à servir ses frères et sœurs musulmans. Le P. Jean Landousies4 a écrit en 2018 : « Il y a tant de choses, qui nous encombrent et qui ne sont pas nécessaires pour être vraiment l’Église du Christ, pour présenter son visage authentique. Le dépouillement est une condition essentielle pour aller en vérité à la rencontre des gens. C’est bien ce qu’a été amenée à comprendre et à vivre l’Église en Algérie. »5 C’est grâce à ce dépouillement, grâce à l’humilité qu’il enseigne, que l’Eglise d’Algérie a pu devenir une Église de la rencontre, ouverte et accueillante à l’Esprit qui est à l’œuvre dans ses frères et sœurs musulmans. Le frère Henri a eu la chance, au sein de cette Eglise pauvre et meurtrie, de vivre « le sacrement de la rencontre ».
L’archevêque émérite d’Alger, Mgr Paul Desfarges (2016 – 2021), a donné une définition parlante de cette rencontre qui était au cœur du dialogue qu’Henri avait pratiqué durant ses vingt-cinq ans en Algérie : « Aller à la rencontre de quelqu’un sera s’ouvrir au mystère qu’il porte, à la manière unique qu’il a de l’incarner dans sa vie, par-delà ce qui peut parfois le voiler et même l’étouffer. C’est pourquoi toute vraie rencontre est une heureuse surprise. Elle est une lumière sur la présence du Tout-Autre, en chaque autre. »6 C’est ce sacrement de la rencontre qui nourrit les relations quotidiennes d’Henri et le rendit heureux.
Pourtant il ne faut pas oublier que frère Henri et les autres martyrs n’étaient pas des surhommes/femmes. Au contraire, c’étaient des gens ordinaires qui ont su laisser l’initiative à l’Esprit dans leurs rencontres quotidiennes. En pensant à ses confrères de Tizi Ouzou, et aux autres martyrs algériens, Mgr Claude Rault, ancien évêque de Laghouat (2004 – 2017), qui les a tous connus personnellement, a souligné le fait qu’ils étaient comme tout le monde, avec leurs difficultés et leurs soucis : « Pierre Claverie, tout brillant qu’il était, avait ses emportements, le Fr. Christian de Chergé ses crispations, nos confères de Tizi Ouzou leurs problèmes personnels et communautaires… comme vous et moi ! Et parfois les Moines encore plus… ! Voilà, j’ai fait l’avocat du Diable ! »7
Bien qu’individuellement les dix-neuf aient eu leurs points forts et leurs points faibles, grâce à leur appartenance à l’Église d’Algérie ils ont pu se donner à fond au peuple algérien. Par ce don de soi, ils ont découvert le visage d’un Christ pauvre et bafoué dans leurs voisins musulmans. « Ensemble, ils sont une grâce ecclésiale. Leur oui à rester proche de leurs amis dans la souffrance, au moment de l’épreuve était et est encore le oui de notre Église aujourd’hui. »8
Mais, en même temps, il serait facile de sous-estimer ce que Mgr Desfarges appelle « la sainteté ordinaire » de frère Henri et des autres martyrs. Henri savait que sa vie était en jeu, mais son amour de Dieu et de ses voisins algériens primait. Il aurait pu faire siens les mots du Testament du frère Christian de Chergé : « J’aimerais que ma communauté, mon Église, ma famille se souviennent que ma vie était donnée à Dieu et à ce pays. » Le frère Henri est un bel exemple de cette sainteté du quotidien qui ne rechigne pas devant les épreuves et, par la grâce de Dieu, reste joyeux et fidèle à sa vocation. C’est à travers la fidélité aux tâches peu spectaculaires de sa mission comme éducateur de la jeunesse musulmane qu’il a fait preuve de sainteté. Lorsque le moment est venu, Henri était prêt à donner sa vie librement en signe d’amour pour un peuple musulman.
Découvrir le don de Dieu à chacun
On pourrait se poser la question de savoir si frère Henri et l’Eglise d’Algérie ont quelque chose à nous enseigner dans l’Église de France et dans les Eglises des autres pays occidentaux, tellement différentes à première vue de celle de l’Algérie ? Après l’indépendance en 1962, l’Eglise d’Algérie a perdu la quasi-totalité de ses fidèles, et en 1976 avec la nationalisation de ses écoles, hôpitaux et dispensaires, elle a perdu aussi toute sa puissance institutionnelle. Je crois que cette situation douloureuse se reproduit dans nos Églises occidentales avec la diminution rapide du nombre de pratiquants dans une société peu favorable à la recherche spirituelle. L’Église d’Algérie et frère Henri nous indiquent des pistes à suivre.
Dans ce dépouillement radical, l’Église d’Algérie s’est rendue compte que son seul trésor se trouvait dans les relations qu’elle entretenait avec ses voisins musulmans ; il fallait aller à la rencontre de son prochain. Frère Henri aura ces mots : « Plutôt que de tolérance à l’égard des autres, il faut nous essayer à découvrir le don de Dieu à chacun pour s’en émerveiller. »9 En reconnaissant la présence de l’Esprit à l’intérieur de nous-mêmes et dans l’autre – le don de Dieu – les rencontres quotidiennes nous dévoilent la profondeur de notre humanité et le visage de Dieu dans l’autre, le bonheur de la relation réussie.
Dans nos pays occidentaux, en plus de nos frères et sœurs autrefois chrétiens, se trouvent aussi des concitoyens musulmans. Le frère Henri et l’Église d’Algérie nous rappellent que notre voisin musulman, au même titre que notre prochain chrétien, est un croyant au Dieu unique, que c’est un frère où l’Esprit de Dieu est aussi à l’œuvre. Face à la désintégration d’une civilisation chrétienne où la croyance en Dieu diminue à une vitesse accélérée, et le matérialisme et la réalité virtuelle prennent le dessus, n’est-ce pas le moment propice pour chrétiens et musulmans de travailler ensemble ? Ils pourraient alors promouvoir leurs valeurs communes, fondées sur l’existence d’un Dieu miséricordieux.
Je souhaite que l’exemple de frère Henri, éducateur chrétien dans un monde musulman, puisse inspirer tous les éducateurs chrétiens, surtout ceux qui travaillent dans les écoles catholiques comptant des élèves musulmans. Ce livre les aidera, j’espère, à découvrir le don de Dieu présent chez leurs élèves musulmans. La vie de frère Henri parle de la joie d’une telle rencontre.
Martin McGee osb
1 Entrevue avec l’auteur, Alger, avril 2005.
2 Alain Delorme et Michel Voute, eds, du Capcir à la Casbah, vie donnée, sang versé, Notre-Dame de l’Hermitage, 42405 Saint-Chamond, France, 1996, p. 34 : ci-après dénommé du Capcir à la Casbah.
3 du Capcir à la Casbah, p. 247.
4 Il a vécu plus de 20 ans en Algérie,1975-1995, chargé de la formation permanente dans les diocèses et Secrétaire général de la Conférence des évêques d’Afrique du Nord.
5 P. Jean Landousies, La Croix, 5 décembre, 2018.
6 Mgr Paul Desfarges, Une Église dans la Mangeoire, Lettre Pastorale, Noël, 2012, p. 7.
7 Homélie par Mgr Claude Rault, le 8 mai 2020, Paris : https://mafrome.org/homelie-de-mgr-claude-rault-pour-le-8-mai/
8 Mgr Paul Desfarges, Les 19 Martyrs Catholiques d’Algérie, Lettre Pastorale, novembre 13, 2018 : https://fr.zenit.org/2018/11/13/algerie-la-beatification-de-nos-freres-et-soeurs-une-grace-pour-notre-eglise-texte-complet/
9 du Capcir à la Casbah, p. 112.