La visite du Pape en Irak vue par un algérien

En convalescence du Covid, Mohammed a suivi intégralement la visite du Pape en Irak. Voici ce qu’il nous en dit.

Mohammed pour quelles raisons, toi qui n’es pas chrétien, as-tu eu envie de suivre le voyage du Pape en Irak et pourquoi de bout en bout ?

Accueil du pape François par les autorités

J’ai été tout d’abord interpellé parce que cela se passait en Irak et que je trouvais aventureux que le Pape François aille dans un pays où le calme ne règne pas encore, même s’il est chargé d’histoire, et de symboliques, et que l’une des plus anciennes communautés chrétiennes du monde y est présente. C’est vrai que j’avais suivi auparavant quelques déclarations du Pape que j’avais beaucoup appréciées, en particulier, le document « fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune » qu’il a signé avec Ahmed al-Tayeb, Imam d’Al Azhar, un fief du conservatisme musulman sunnite. Ce document est porteur d’un message d’espoir pour l’avenir commun des hommes, dans la construction d’un monde paisible, plus juste et plus solidaire qui respecte leur diversité. C’est aussi un message contre toute utilisation de la religion pour justifier la guerre, et la violence, et contre tous ceux qui attisent les feux de la haine, de l’exclusion, et du « choc des civilisations »

Dès la première intervention du Pape à son arrivée à Bagdad, j’ai été intéressé puis j’ai trouvé le second discours éblouissant et j’ai continué.

Le pape François avec des dignitaires musulmans à Ur

Sur quelle chaine as-tu suivi la visite du Pape ?

Essentiellement sur la chaine arabe « El Mayadeen ». C’est une chaine réputée pour être celle du Hezbollah libanais. Je la trouve très nuancée s’agissant des évènements du Moyen Orient et plus objective que les Média occidentaux. Elle fait montre d’ouverture religieuse sans sectarisme. J’ai été surpris de constater toute l’importance accordée par ce média au voyage du Pape, plus que les médias occidentaux que j’ai aussi regardés, et même que KTO. J’ai trouvé que les médias occidentaux prenaient de la distance par rapport à l’évènement, ne reflétaient pas l’étendue du message du Pape et assaisonnaient leur présentation de craintes et de doutes pour masquer parfois leur hostilité aux positions exprimées par le Pape.

Quels ont été pour toi les moments forts de ce voyage ?

Le premier moment fort aura été l’accueil populaire et chaleureux qui a été fait au Pape tout au long de son périple aussi bien par les chrétiens et les musulmans d’Irak, que par les autorités politiques du pays. La population a apprécié que le Pape vienne chez eux, dans ce pays détruit, et malgré tous les risques.

Accueil par le premier ministre Irakien

A l’aéroport, le Pape a été accueilli par le premier ministre irakien qui a prononcé un discours d’accueil positif et pertinent : acceptation de l’autre, travailler ensemble, développer des perspectives communes. Après l’aéroport, la visite au palais présidentiel était entourée d’un faste que je trouve exagéré, mais qui soulignait l’importance attaché par le Président irakien à cette visite. Le Pape ne s’est pas empêché malgré la bienveillance de l’accueil, d’adresser un message aux autorités politiques en leur rappelant leurs obligations de garantie de sécurité, de respect du droit, de justice sociale en combattant l’autoritarisme et en faisant la guerre à la corruption.

Le deuxième moment fort aura été son message aux Irakiens, à tous les Irakiens (et pas qu’eux) que je résume ainsi : Vous êtes tous des frères, .., vous faites partie d’une seule et même famille humaine, .., la religion ne doit pas vous séparer mais vous aider à être plus proches. Vous avez tous soufferts – les Yazidis plus que les autres- des affres des invasions, des guerres, des destructions, des égoïsmes et des intolérances, …trop d’injustices vous ont été faites, ..vous avez été solidaires, vous avez pansé vos blessures, et, … vous pouvez aujourd’hui construire ensemble, en vous respectant mutuellement, …, nul n’est autorisé à utiliser le nom de Dieu pour justifier la guerre, le terrorisme et la violence…, la vie doit être sauvegardée, …faites promouvoir la culture, la rencontre et le dialogue pour vivre ensemble en paix, en harmonie, et dans la solidarité, ..

Aux chrétiens d’Irak, le Pape a fait part de sa compassion pour les exactions et la terreur subies, avec leurs autres concitoyens : vous avez partagé la terreur, vous avez beaucoup souffert, continuez à travailler avec les autres communautés religieuses d’Irak qui apprécient votre présence et le rôle positif que vous jouez dans le rapprochement des communautés… l’Irak a besoin de vous, et à ceux qui avaient quitté le pays : ici on a besoin de vous. C’est vrai, beaucoup de chrétiens ont quitté l’Irak : ils étaient plusieurs millions avant l’invasion américaine, et ils étaient encore 1,5 millions il y a seulement 20 ans pour une population globale d’alors de 20 millions. Ils sont aujourd’hui à peine 400 000 pour une population de près de 40 millions d’habitants.

Le pape François avec l’Ayatollah Ali Sistani

Le troisième moment fort aura été la visite du Pape à l’Ayatollah Ali Sistani, le référent religieux chiite d’Irak. C’est un homme érudit, courageux, et remarquable à plus d’un titre : il a condamné sans nuance Daech dans une des rares « fetwas » prononcées par lui, , il est pour la liberté de conscience, il se prononce contre tout acte de violence ou de terrorisme, il condamne l’usage de la religion à des fins politiques, il s’interdit de recevoir des hommes politiques ou d’interférer dans le domaine politique, sauf d’un point de vue religieux ; chaque fois qu’il est intervenu, il a été un élément d’apaisement. Il prône la justice sociale, l’ouverture et l’acceptation de l’autre. Il réservera au Pape un accueil sobre et discret en sa demeure modeste, dans un quartier populaire pauvre de Najaf où il vit une retraite spirituelle intense. Il m’a semblé que le Pape est sorti bouleversé par sa rencontre : un grand, un sage, un homme de Dieu, dira-t-il à la fin de cette visite d’une heure.

Le quatrième moment fort, aura été cette rencontre multiconfessionnelle qu’il présidera dans la cité antique d’Our, un terrain de naissance et de cohabitation des grands monothéismes. Y participeront les représentants de toutes les communautés religieuses d’Irak : les chaldéens, les syriaques, les sabéens, les représentants des différents cultes musulmans, des Zoroastriens et des Yazidis. Un passage de la Bible et une sourate du Coran, portant tous deux sur Abraham ont été psalmodiés, en arabe. Une sabéenne a pris la parole pour dire que sa communauté est une des plus anciennes communautés chrétiennes d’Irak. Le Pape rappellera à tous que « Abraham est notre père à tous ».

Le passage du Pape à Mossoul, à Qaraqoch, deux villes marquées par les destructions de Daesh, et à Irbil ont été des moments de communion avec la population

J’ai retenu également une déclaration importante du Pape dans laquelle il affirme qu’« il ne faut jamais oublier le droit des humains à émigrer » et où il rend hommage à deux pays : le Liban, qui a accueilli 2,5 millions d’émigrés et la Jordanie qui en a accueilli un million. Ce droit à l’émigration cela veut dire le droit d’obtenir eau et nourriture mais également travail et service.

Qu’est-ce que nous algériens pouvons retenir du message du Pape ?

Les messages du Pape nous concernent tous. Ils constituent les fondements d’une société moderne ouverte, portée par le travail, et des valeurs humaines, éthiques et politiques et tournée vers la construction d’une société juste et solidaire. Ils font largement consensus parmi les algériens, mais il est important de les rappeler à chaque fois pour qu’ils se retrouvent dans nos pratiques quotidiennes. Sur la question du droit des émigrés il s’agit d’un processus lent, mais ma conviction est que l’Algérie sera nécessairement une terre d’accueil pour les Sahéliens qui vont remonter vers notre pays et c’est une bonne chose. On a mieux à faire que de les renvoyer chaque fois vers leur pays d’origine. On commence à entendre des embryons de ce discours à la Ligue algérienne des droits de l’homme ou au Croissant rouge.

Et pour l’Eglise d’Algérie ?

L’Eglise d’Algérie a montré pendant la guerre de libération qu’elle était capable de prendre des positions courageuses. Aujourd’hui je la trouve un peu timorée. Peut-être qu’une ouverture viendra des algériens chrétiens et des émigrés subsahariens. Et notre pays n’en sera que plus riche. On s’enrichit toujours au contact des gens qui sont différents de nous !

Propos recueillis par Marie-France Grangaud

14 Juil 2021 | A la une, Vivre ensemble

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