Introduction à l’histoire de l’Eglise d’Algérie

Introduction à l’histoire de l’Eglise d’Algérie

(Présentation : Jean Toussaint)

On peut découper l’histoire de l’Eglise du Maghreb en 4 étapes :

La première Eglise
La disparition de la première Eglise et la nouvelle Eglise des marchands et des captifs
L’Eglise de la période coloniale
L’Eglise d’Algérie aujourd’hui.

Notre objectif est de parcourir les 3 premières étapes, soit 1800 ans !

 

Première partie: la première Eglise

 

L’apparition du christianisme au Maghreb remonte à la fin du premier siècle ou au début du deuxième siècle. D’où venaient les premiers chrétiens ? Des rivages italiens et espagnols, mais aussi de l’Est, du Moyen Orient.

Peu à peu des communautés se forment, qui sont organisées de la manière suivante.

Les laïcs qui sont de 3 catégories différentes :
Les fidèles ( parmi eux Les confesseurs : ceux qui ont subi la persécution et ont tenu bon)
Les catéchumènes qui se préparent au baptême en général célébré à Pâques
Les pénitents, qui ont commis une faute grave

Les fidèles choisissent les clercs qui sont répartis en 4 catégories :
L’évêque
Les prêtres, collaborateurs de l’évêque
Les diacres
Les lecteurs.

Dans cette première période, il n’y a pas encore d’églises, on se réunit dans la maison de l’évêque ou d’un des fidèles, ou dans les cimetières, un lieu où les rassemblements sont autorisés :

Soit pour un repas fraternel, avec des prières

Soit pour des prières régulières
Soit pour des offices (la messe) qui comporte : des lectures de la Bible, une homélie, le baiser de paix, la consécration et la communion. La langue utilisée est d’abord le grec mais très vite uniquement le latin.
Les chrétiens alimentent une caisse commune, pour financer le culte et la solidarité.

C’est une organisation assez semblable à celle des évangéliques aujourd’hui. Avec un risque, celui que chaque communauté prenne son propre chemin, donne une réponse différente aux questions qui se posent. Dans le souci de maintenir l’unité, les évêques ont multiplié les conciles :

– en 215 le premier Concile se tient à Carthage : 70 évêques

– en 255 un deuxième Concile : 90 évêques

On peut distinguer deux étapes dans l’histoire de la première Eglise

* I) Les persécutions et les martyrs

* II) La croissance et les divisions

I) Les persécutions et les martyrs

Ce qui va profondément marquer la première Eglise, c’est la série de persécutions

 

Citons celles de Sévère, de Dèce, de Valérien, et de Dioclétien. Entre chaque période de persécution l’Eglise connaît un temps de répit, pendant lequel elle peut respirer et se réorganiser. Pourquoi ces persécutions, alors que dans l’Empire romain on trouvait de nombreuses religions qui coexistaient relativement pacifiquement ? Cela vient d’abord de l’état d’esprit des chrétiens : ils veulent rompre avec les cultes païens, les spectacles, les sacrifices et surtout le culte impérial. Pour les romains païens, l’empereur était un dieu, il fallait lui rendre un culte. Pour les chrétiens, Dieu et César existent séparément, il faut obéir à César, mais pas lui rendre un culte. Les païens convertis veulent se démarquer des autres païens, ce qui augmente leur intransigeance. De plus en plus, des tensions apparaissent dans la société, l’opinion publique devient hostile aux chrétiens qu’on accuse de tous les maux.

Les autorités les considèrent d’abord comme des fous et hésitent à les condamner, mais sous la pression, ils finissent par céder et condamnent à mort des chrétiens pour satisfaire la foule.Durant toute cette période, il y aura donc de nombreux martyrs, impossible de les citer tous. Les premiers sont les martyrs scillitains, le récit de leur martyre en 180 est le premier écrit chrétien maghrébin. Citons simplement avec eux, Félicitée et Perpétue en 203 et l’évêque Cyprien en 258.Ces martyrs ont joué un rôle essentiel dans le développement de la première Eglise, mais il ne faut pas oublier que, dans le même temps, de très nombreux chrétiens ont cédé à la pression romaine et ont accepté de rendre un culte à l’empereur, pour sauver leur peau. Quand une persécution cesse, que faut-il faire de ces renégats ? Les exclure définitivement ? Leur pardonner et les réintégrer ? Cette question va empoisonner durablement la vie de l’Eglise.

Deux grandes figures ont marqué cette période.

La première est celle de Tertullien (150-?)

Né à Carthage vers le milieu du IIe siècle, Tertullien est le premier grand écrivain de la chrétienté latine. Cultivé, il devient avocat puis se convertit et écrit de nombreux livres consacrés à la défense du christianisme et de sa doctrine (on en connaît 31). Il loue le courage des martyrs, dénonce le caractère illégal des persécutions et développe la doctrine chrétienne.

Si le chrétien est dénoncé, il s’en fait gloire.

S’il est accusé, il ne se défend pas.

Interrogé, il confesse de lui-même sa foi ;

condamné, il rend grâce. …

Il est contraire aux règles de la justice

de nous forcer par la torture

à rétracter notre aveu. …

Nous devenons plus nombreux.

Chaque fois que vous nous moissonnez,

c’est une semence que le sang des chrétiens…

Malheureusement, Tertullien devient de plus en plus fanatique, rejoint une secte et consacre le reste de sa vie à combattre l’Eglise catholique.

La deuxième figure est celle de Cyprien(200-258)

Cyprien, avocat comme Tertullien, se convertit à l’âge de quarante-six ans. Aussitôt après, il est choisi comme prêtre, puis comme évêque de Carthage. Après la persécution particulièrement cruelle de Dèce, l’évêque s’engage pour rétablir la discipline dans la communauté chrétienne.

« Chaque chrétien n’avait qu’une passion : s’enrichir ! Chez les prêtres, tiédeur religieuse ; dans les cœurs, plus aucun sentiment de charité ! …Chez les hommes, barbes ; chez les femmes, visages fardés ; On se vouait (entre chrétiens) des haines inexpiables.Le plus grand nombre des évêques sont devenus des hommes d’affaires du siècle ; ils désertent leurs chaires ; ils abandonnent leurs peuples. On les a vus, courant de province en province, à la recherche de marchés noirs où traiter leurs affaires louches. … Tandis que, dans l’Eglise, les frères avaient faim, eux entassaient l’argent ».

Vis-à-vis des chrétiens qui avaient apostasié pour éviter la mort, saint Cyprien prônait plutôt la clémence, en disant que la miséricorde divine est plus grande que le plus grand des péchés. Durant son la persécution de Valérien, il est envoyé en exil, puis ramené à Carthage, où il est décapité.

II) La croissance et les divisions

Le 13 juin 313, l’empereur Constantin promulgue l’édit de tolérance de Milan par lequel il légalise le christianisme. La situation de l’Eglise change totalement, de persécutée, elle devient légale. Elle deviendra même la religion officielle de l’Empire en 380.

 

A partir du IIIème siècle, l’Eglise va connaître une période de forte croissance. Bien sûr, les évêchés d’alors n’étaient pas ce qu’ils sont aujourd’hui, cela correspondait plutôt à des paroisses… Cela fait quand même plus de 600 paroisses réparties sur la côte d’Afrique du Nord.

Mais, parallèlement à cette croissance, l’Eglise va être de plus en plus divisée.

 

La première grande division est celle du schisme donatiste.

L’origine : la grande persécution de Dioclétien (303-305) D’abord, les autorités ordonnent aux évêques de livrer les écrits sacrés et les objets du culte.

Puis, l’édit de 304 exige un sacrifice général aux dieux romains.Un grand nombre de chrétiens, y compris des clercs se soumettent. On les appelle les ‘traditores’ (ceux qui ont livré des objets sacrés) ou les lapsi (ceux qui sont tombés).

Le prétexte : En 312  Cecilianus, est nommé évêque de Carthage, mais il avait été ordonné par un évêque traditor . Donat, avec 72 autres évêques s’y opposent, ils élisent un autre évêque. Les donatistes développent rapidement une Eglise parallèle.

Le contexte : Depuis le début du IVème siècle, la situation sociale s’est détériorée. Des ouvriers agricoles itinérants, les circoncellions, se révoltent contre les propriétaires terriens. Les Donatistes font appel aux circoncellions pour appuyer leur mouvement, qui va durer plus de 100 ans.

Les donatistes se considéraient comme formant la véritable Église chrétienne, la seule. Pour eux, les lapsi, les traditores ne pouvaient retrouver leur titre de chrétiens et de ministres de l’Église qu’en recevant, après ne pénitence sévère, un nouveau baptême et une nouvelle ordination. Les sacrements qu’ils avaient administrés étaient nuls, et ceux qu’ils avaient baptisés devaient recevoir un nouveau baptême1.

La grande figure qui va s’opposer au donatisme est Saint Augustin

Initié à la foi chrétienne dès son jeune âge par sa mère Monique, il a pris un long chemin de traverse, y compris dans la liberté des mœurs, avant d’adhérer au Christ. Il a longtemps cherché dans les sagesses disponibles à son époque, la réponse à l’inquiétude intérieure qui le taraudait. Bien que né dans un milieu chrétien, Augustin est un converti, il a été saisi par le Christ. Une fois converti, il a commencé avec quelques amis une vie monastique, dans la prière et la pauvreté. Et c’est malgré lui qu’il est devenu prêtre à 37ans, puis évêque d’Hippone à 41 ans, l’actuel Annaba, durant 34 ans, jusqu’à sa mort. Une des principales activités d’Augustin comme évêque a été la prédication, plus de 300 de ses sermons (recueillis par ses disciples puis relus par lui) nous sont parvenus. Il a beaucoup écrit contre les donatistes et préconisait au début l’usage du dialogue avec eux, mais sans résultats.

« La question posée est celle-ci : Où est l’Eglise ? Est-ce chez nous, est-ce chez les Donatistes ? – Il n’y a qu’une Eglise, l’Eglise catholique, comme nos pères l’ont appelée, pour montrer par son nom même qu’elle est universelle. Tel est en effet le sens des mots grecs : kath’ olon. Or, l’Eglise est le corps du Christ, selon ces paroles de l’Apôtre : « Le Christ a souffert pour son corps, qui est l’Eglise. Donc, pour prétendre au salut promis aux chrétiens, il faut compter parmi les membres du Christ. C’est par les liens de la charité que les membres du Christ sont unis ensemble et qu’ils se rattachent à leur chef, qui est Jésus-Christ.».

(Saint Augustin : Lettre aux Catholiques contre les Donatistes ou Traité de l’Unité §317)

En 41, Augustin participe activement à une conférence à Carthage, avec 279 évêques donatistes et 289 évêques catholiques, dont la sentence fut la condamnation solennelle du Donatisme. Saint Augustin meurt à 76 ans, le 28 août 43en 430, dans sa ville d’Hippone, assiégée par les Vandales, qui vont établir leur royaume en Afrique du Nord pendant 100 ans.

Les Vandales imposent leur religion, l’arianisme, une hérésie chrétienne qui nie la divinité du Christ. Ils exilent les évêques et s’emparent des églises où s’installent des prêtres ariens. Une partie des chrétiens les rejoignent. Mais l’Eglise catholique tient bon jusqu’à la reconquête du pays par les Byzantins. Ceux-ci restituent à l’Eglise ses biens et prennent des mesures contre les donatistes et les ariens. Mais avec les Byzantins, d’autres hérésies apparaissent. De nombreux conciles tentent sans succès de rétablir l’unité. Le pouvoir byzantin remplace les évêques fidèles à Rome par des évêques médiocres, simples exécutants. L’Eglise, apparemment florissante, est en fait plus divisée que jamais.

Conclusion

La première Eglise d’Afrique du Nord a fait au moins 3 cadeaux à l’Eglise Universelle

La littérature chrétienne latine : En plus des premiers récits de martyrs en langue latine, les plus anciennes œuvres de théologie chrétienne en latin nous viennent du Maghreb. Alors que les chrétiens du nord de la Méditerranée, comme Irénée de Lyon, écrivent encore en grec Tertullien passe au latin pour atteindre son public africain. Cyprien ((†258), le second des Pères d’Occident est aussi un Africain qui écrit en latin. Parmi les Pères d’expression latine, se détache bien sûr la figure exceptionnelle de Saint Augustin.
Les plus anciennes traductions de la Bible en latin sont aussi africaines, antérieures à la Vulgate de Jérôme. Sans doute dès le milieu du IIe siècle la Bible fut traduite du grec au latin en Afrique romaine. On pense d’ailleurs que ces toutes premières traductions ont été faites par la communauté juive d’Afrique du Nord pour les besoins de ses propres fidèles.

3 papes berbères
– Victor Ier était berbère, né dans l’actuelle Tunisie, il gouverne l’Église romaine à partir de 189 durant une dizaine d’années

– Miltiade ou Melchiade, né en Afrique du nord, est pape de 311 à 314

Gélase Ier, également berbère, est pape de 492 à 496.

1 Certains historiens algériens contemporains font un parallèle entre la crise donatiste et la période coloniale. Ils comparent les donatistes et les circoncellions aux nationalistes algériens, et font d’Augustin un ‘harki’ au service des romains. Il s’agit d’une vision caricaturale de l’histoire, qui, outre son anachronisme, ne rend pas compte de sa complexité.

19 Fév 2023 | A la une, Actualités, Formation

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