A l’écoute de nos Pères … V

Saint Cyprien de Carthage, patron de l’Eglise d’Afrique du Nord

Le 16 septembre, nous fêtons saint Cyprien, patron de l’Eglise d’Afrique du Nord, qui fut le premier évêque de la région à connaître le martyre, le 14 septembre 258, sous la persécution de l’empereur Valérien.

Son histoire nous est principalement connue par sa biographie, écrite par le diacre Pontius, par ses propres œuvres et par les actes proconsulaires de son martyre. Né à Carthage aux alentours de l’an 200 au sein d’une famille aisée, Thascius Caecilius Cyprianus exerça d’abord comme professeur de rhétorique. Il se convertit au christianisme à la faveur d’une expérience intérieure qu’il raconte avec force et pudeur dans une longue lettre adressée à un ami du nom de Donat. Sitôt après sa conversion, Cyprien devient prêtre. Élu évêque de Carthage en 249, il se dépouille alors de tous ses biens, en donnant aux pauvres le fruit de leur vente.

La période est trouble : il lui faudra affronter deux persécutions, celle de Dèce en 250, puis de Valérien, dont il sera lui-même victime. Au cours de la première, beaucoup de chrétiens avaient renié leur foi. Certains, contrits et désireux de réintégrer la communauté chrétienne, qu’on appelait les « lapsi » (littéralement : « ceux qui étaient tombés »), vinrent trouver Cyprien qui leur offrit un chemin de pardon après s’être acquittés d’une pénitence sérieuse. Une attitude pastorale courageuse et mesurée, sur cette question délicate qui divisait alors la communauté entre laxistes et rigoristes, exemplaire aussi de la manière de Cyprien, homme de gouvernement et d’autorité, mais avant tout pasteur au service des brebis.

A travers ses nombreuses lettres et ses traités, Cyprien ne cherche pas à faire œuvre de théologien, mais à édifier une communauté fragile et éprouvée. Son traité sur l’Unité de l’Eglise compte parmi les textes les plus célèbres de l’antiquité. Cyprien fut aussi un grand maître spirituel, comme en témoigne son long commentaire sur le « Notre Père », dont le Pape Benoît XVI avouera qu’il l’a lui-même beaucoup aidé « à mieux comprendre et à mieux réciter la prière du Seigneur » (cf. Benoît XVI, Audience Générale, 6 juin 2007).

Les dernières années de son épiscopat furent marquées par un différend important avec le pape Etienne au sujet de la validité du baptême administré par des chrétiens « hérétiques ». A la différence d’Etienne, Cyprien considérait qu’il n’était pas valide. Le litige prit fin avec l’intensification de la persécution. En 257, suite à un premier décret de Valérien, Cyprien fut condamné à l’exil tandis qu’Etienne était martyrisé à Rome. Après un second édit de l’empereur, Cyprien sera décapité à Carthage, en même temps que plusieurs de ses compagnons.

Parmi les difficultés moins connues auxquelles Cyprien dut faire face, il y eut la peste qui frappa l’Afrique du Nord pendant presque dix ans au milieu du IIIe siècle. Dans l’une de ses lettres les plus fameuses, adressée aux chrétiens de la ville de Thibar, dans le nord-ouest de la Tunisie actuelle, Cyprien encourageait ses frères et sœurs à tenir bon dans l’épreuve de la persécution, doublée par les débuts de cette grande peste. Le passage que nous avons choisi de citer est étonnant d’actualité. En y remplaçant le mot « persécution » par celui de « pandémie », n’y trouve-t-on pas des paroles à même de nous encourager aujourd’hui, quand, pour d’autres raisons, nombre de nos activités et moments de prière commune deviennent plus difficiles ou doivent être annulés ?

« Frères bien-aimés, en voyant notre peuple mis en fuite et dispersé par la crainte de la persécution [pandémie (?)], que personne ne se trouble de ne plus pouvoir se trouver à la synaxe fraternelle [la messe] et de ne plus entendre l’instruction des évêques. Nous ne pouvons maintenant nous réunir tous ensemble, nous qui n’avons pas le droit de donner la mort ni la possibilité de l’éviter. En ces jours, partout, chacun de nos frères peut se trouver séparé du troupeau pour un temps par la force des choses, non pas d’esprit mais de corps : qu’il ne se laisse pas émouvoir par l’horreur de cet exil ; même éloigné et caché, qu’il ne se laisse pas épouvanter par la solitude de ces lieux déserts. Il n’est jamais seul, celui que le Christ accompagne dans sa fuite ; il n’est jamais seul, celui qui, gardant le temple de Dieu où qu’il soit, n’est jamais sans Dieu. »

Saint Cyprien de Carthage, Lettre 58 aux chrétiens de Thibar, in V. Saxer, Saints anciens d’Afrique du Nord, Rome 1979, p.75-76.

+ Nicolas Lhernould

Église Catholique d'Algérie